< Port de Kendra Kâr>Arrivé aux portes des docks, mon état s’améliorait doucement. Désormais, l’odeur agressive du poisson pourrissant ne me mettait plus le cœur au bord des lèvres. Elle me dégoûtait simplement.
Je constatai qu’une petite file d’attente s’était formée devant deux gardes qui filtraient les entrées de la ville. Ils avaient l’air aguerris et leur équipement marqué de couleurs bleue et rouge imposait le respect. Les voyageurs étaient fouillés minutieusement et se voyaient poser les questions d’usage. Je profitai de l’attente pour passer en revue ce que je possédais : quelques yus, des vêtements usés, ma baguette et ma cape. L’inspection ne durerait pas longtemps. Je me passai une main dans les cheveux, piteuse tentative de paraître en meilleur état. Ce fut enfin mon tour :
« Nom, origine, et but de votre visite ? »La voix était rugueuse et un peu agressive. Sous l’œil inquisiteur de ce garde, n’importe qui se serait senti coupable. Mon cas ne fut pas différent. Je répliquai humblement :
« Corwin, je viens d’Eniod et je me rends auprès…. d’une visite… d’une connaissance »Ma langue balbutiait et les mots s’engluaient dans mon esprit. Ma diction, sous l’effet de la peur, s’alourdissait. C’était parfaitement stupide car je n’avais rien à me reprocher. Mais l’œil glacial du garde me faisait perdre mes moyens.
Pendant ce temps, le second garde me fouillait fermement. Il fronça le nez en inspectant les vêtements. Je ne m’étais pas lavé depuis près de dix jours et le remugle de sueur et de bile aurait indisposé même le garde le plus enrhumé de cette ville.
« Nom de cette connaissance ? »« Euh, sir Elone, dépeceur de son état »La question m’avait pris de court. J’espérais mon mensonge suffisamment convaincant.
« Mouais, lavez-vous et tenez-vous correctement et on ne se reverra plus. Compris ? »Je pris mon air le plus sérieux possible :
« Parfaitement compris »Il me regarda, semblant douter de l’utilité de sa prochaine phrase :
« Parfait et si vous recherchez un peu de travail, renseignez-vous auprès de la Milice, un peu plus loin sur la grande rue. Vous pouvez entrer. »Sur ce, le second garde s’écarta me laissant pénétrer dans l’enceinte de Kendra Kâr. Les deux gardes s’affairaient déjà auprès du voyageur suivant sans plus me prêter attention.
La grande rue fut pour moi un choc encore plus troublant que le port. Tout semblait en mouvement. Des chariots passaient brutalement en grinçant de toutes pièces, des gens de toutes races hurlaient, dormaient, riaient, vomissaient. C’était comme si toutes les activités humaines avaient été réunies en un seul endroit. La tête me tournait à nouveau mais j’essayais de ne pas y prêter attention. Je remarquai à quelques mètres deux hommes bedonnants occupés à discuter de l’intérêt d’un outil qui m’était complètement étranger :
« Pardonnez-moi messieurs mais je cherche une échoppe où acheter quelques outils. Sauriez-vous me renseigner ? »S’arrêtant de discuter brusquement, ils me dévisagèrent froidement. Mon aspect devait être encore fort peu avenant car ils eurent une moue de dégoût que ne leur aurait pas arrachée une mouette chiant dans leur ragoût. Ils m’indiquèrent vaguement une direction en marmonnant quelques indications et s’éloignèrent rapidement. Il était évident qu’il fallait que je règle ce problème d’aspect au plus vite.
La direction qu’ils m’avaient donnée était celle de la grande rue que j’empruntai aussitôt. Un peu plus loin sur la gauche se dessinaient les contours d’une grande bâtisse qui semblait neuve. Elle était décorée des armoiries que les deux gardes de l’entrée affichaient. Cela devait vraisemblablement être la Milice de la ville. Je classai cette information en gardant à l’esprit qu’en dernier recours il me serait toujours possible de m’y adresser pour gagner quelques Yus.
Pendant que je progressais dans la rue, je contemplais les habitations de cette ville. Celles de droite étaient en très mauvais état. Certaines, totalement écroulées, étaient manifestement à l’abandon. D’autres tenaient encore debout mais étaient totalement insalubres. Leurs portes éventrées indiquaient clairement qu’elles étaient vides, mais je crus apercevoir quelques mouvements furtifs qui me firent douter de cette conclusion. D’autres encore étaient barricadées tant bien que mal, les habitants craignant vraisemblablement des intrusions. Cette dernière observation me fit resserrer mon étreinte sur la petite bourse qui contenait mes maigres richesses. Il n’était pas question de me la faire voler.
Le vent du sud charriait des odeurs en provenance de ces habitations qui faisaient presque regretter le port. Je hâtais le pas instinctivement.
Enfin après avoir parcouru quelques dizaines de mètres, je distinguai une grande bâtisse de trois étages sur ma gauche. Au dessus de la porte cochère qui permettait d’y entrer, le vent faisait grincer une plaque métallique sur laquelle on distinguait encore, malgré la rouille et le gouano : Auberge de la Tortue Guerrière.
D’après les indications que j’avais obtenues, l’échoppe que je recherchais devait se trouver juste en face. Et en effet, au fond d’une cour dont le centre était occupé par une fontaine finement travaillée, se trouvait une boutique dont la devanture était composée de différents objets manifestement à vendre.
Je délaissai provisoirement l’auberge et me dirigeai vers la boutique. Il semblait régner sur cette place, une ambiance électrique. On pouvait distinguer un petit attroupement dont s’échappaient des exclamations particulièrement véhémentes.
< Devant la boutique de chez Lilo>