Suite à mon discours éloquent, plusieurs propositions jaillissent de toutes parts dans la pièce. Mais également plusieurs inquiétudes, et déjà les premières tensions. Sans bouger, attentif, je suis tout ce qui se dit en tentant de réfléchir à chaque implication pour notre mission le plus rapidement possible. Comme moi, Lillith semble songeur et pensif. Salymïa, elle, avant de prendre à son tour la parole, semble même complètement ailleurs, comme si elle se fichait de la réunion. Je me renfrogne en moi-même en voyant son attitude inconsidérée quand on sait ce qui nous attend. Pourtant, elle arrive à donner un avis construit lorsqu’à son tour, elle parle.
Je m’efforce de mon côté à faire la part des choses entre tout ce qui s’est dit. Mon boulot va d’être de proposer une synthèse efficace de plan d’action, à partir des nombreux éléments apportés, et de calmer les tensions tout en apaisant les craintes. Ou en tout cas en mettant les choses au clair.
Stratégiquement parlant, je décide de commencer par le moins dur : la question de mon nom de code.
« Rewolf n’a aucun moyen de savoir qui est Pourpre. Et s’il le sait, ma foi, ça fait une raison de plus de le tuer. Il ne peut que suspecter ce pseudonyme d’être lié à toute cette affaire, mais en aucun cas ne peut avoir de certitude sur l’identité réelle de son propriétaire : moi. »Je suis interrompu par l’arrivée d’un serviteur de la rose, qui brise le huis clos de cette réunion pour donner une information futile à Salymïa. Pulinn semble s’encolérer, et se dirige droit vers le serviteur en livrée rouge pour le tirer littéralement jusqu’à la sortie pour le mettre hors de la salle à manger. Les seules paroles que je perçois n’augurent rien de bon pour sa poire :
« Reste dans les parages, je m’occuperai de ton cas plus tard. »Je m’éclaircis la gorge devant la tension naissant au sein de la pièce, et je décide d’y couper court aussitôt, passant complètement au-dessus de l’incident du serviteur.
« Il n’y a aucun traitre ici. Inutile d’alimenter ce genre de suspicions. J’ai en ma possession un objet magique me permettant de reconnaître les personnes fidèles à notre cause. Je serais directement prévenu d’une traitrise. »Et comme une menace, je précisai :
« Et il n’y a aucune place en ce monde pour les traitres. »Daulandi, Fizold, tant d’exemples cadavériques de ce que j’avance. Et c’est à l’inquiétude du petit mage de feu que je réponds ensuite.
« Je ne vais pas vous cacher que Rewolf Grantier sait ce qui l’attend. C’est une tradition du Temple, que de supprimer les traitres afin de nommer un nouveau Gardien du Désir. C’est la raison pour laquelle il a quitté son domaine de Bouhen pour se retirer dans sa forteresse cachée. C’est également la raison pour laquelle il tente de mettre fin à mes jours. Inutile de nous cacher de notre but… il est clair pour notre ennemi. Tout ce que nous avons comme atout, c’est un éventuel effet de surprise. Il sait qu’on va l’attaquer, mais ne sait pas quand, ni comment. Hors, en nous ne faisons pas remarquer, il aura moins de doute sur l’approche de cette offensive. »Et je reviens sur la proposition d’envoyer deux personnes par la voie des airs…
« Sectionner le groupe en plusieurs voyages, aériens et terrestres, peut être une bonne idée. Mais là-bas, nous aurons besoin d’être tous ensemble pour le vaincre dans sa forteresse. Et je ne peux me passer de deux d’entre vous, que je ne saurai guider après coup. N’oubliez pas que rien ne vous lie à moi, ou à cette mission, pur Rewolf. Il ne sait pas que nous viendrons en groupe. Peut-être suspecte-t-il mon arrivée en solo. Raison pour laquelle vous courrez moins de danger que moi tant que vous n’êtes pas associés directement à cette cause. »Il est temps de mettre à plat un plan définitif. Et Pulinn m’y aide, en intervenant à son tour.
« Les symboles sur vos équipements peuvent être cachés des regards. » Elle se leva et alla dans un coin de la pièce pour se saisir d’une dizaine de manteaux de cuir à capuche noirs, fauves ou brun foncé. Je comprends aussitôt ce qu’elle a en tête, et poursuit sur ma lancée :
« Vous devrez chacun vous rendre séparément dans des endroits de la ville où vous pourrez enfiler ces manteaux sans qu’on vous voit : boutiques, tavernes ou auberges. Des lieux où on ne pourra surveiller les allez et venues de manière précises. Les habitations personnelles sont donc à éviter. Une fois ce manteau enfilé à l’abris des regards, vous quitterez individuellement la ville pour prendre la direction de Bouhen. Les voyageurs sont nombreux, sur cette route, et vous n’attirerez pas l’attention. Notre point de rendez-vous sera la première ferme sur la route. Ne la manquez pas. Elle ne doit pas être très éloignée. Quant à mon apparence, elle ne me posera pas problème… »Et avec un sourire mutin, Lysis activa mon pouvoir de métamorphose, et je me changeai en les traits d’une elfe bleue à la courte chevelure rousse. L’apparence que j’ai prise sur Gramenou, celle de la désormais défunte Sidë. Je ressens un pincement au cœur à prendre ainsi son physique, mais c’est nécessaire. Avec sa voix, je préviens :
« Vous pourrez vous fier à cette apparence… En revanche, quiconque révèlera ce secret qui est mien verra sa vie considérablement raccourcie. Il ne faut en parler à personne, et sous aucun prétexte. »Et puis, je reprends mon apparence normale, et me saisis d’un manteau de cuir fauve pour le glisser dans mon sac.
« Cela vous convient-il ? »