Pulinn en revanche ne se formalisa pas de la réponse, du moins en apparence et l'absence de connaissance que j'avais de la dame ne me permit pas d'en analyser plus … et ce n'était pas l'insondable acquiescement et l'expéditive invitation qui filtra d'emblée de ses lèvres d'albâtre qui pouvaient éclairer sur ses intentions.
La stupeur se lut sur les deux visages des jumeaux mais ils n'avaient jamais été plus différents depuis que je les connaissais. Ahad, de son naturel blasé à la limite du dédain, vécut la dure réalité de l'indifférence avec peu de noblesse, car à sa bouche coincée sur ouverture s'ajouta des joues plus rouges que son sang. Tayeb, lui, perdit son optimisme et sa capacité à sourire à tout. Il me jeta un regard si meurtri que je ressentis quelque chose comme de la culpabilité de pas m'être une seule fois réellement arrêtée sur ce qu'il pouvait leur arriver.
Ils disparurent derrière une porte encadrée par des gardes nettement moins affables que ceux de l'entrée. Lorsqu'ils furent de l'autre coté je m'installais sur l'une des banquettes du grand hall et me recoiffais à l'aide des aiguilles de manière à m'occuper sans en avoir l'air. Je jetais un coup d'œil circulaire à la salle et essaya de me contenter d'observer, de canaliser mon attention sur eux plutôt que sur moi car le moindre moment d'oisiveté complète, même s'il n'était que le temps d'un battement de cœur, me faisait l'effet d'une soufflante. Je ressassais les sens des regards, des propos et des actions de cette journée … et c'était pour moi aussi récent que détestable. Je ne savais pas qui était l'idiote qui s'était mit dans la tête qu'une nouvelle vie était l'occasion d'une nouvelle manière d'être mais je lui aurais bien coupé la langue pour de tel propos.
Je soufflais longuement, incapable d'oublier, incapable de m'ôter de l'esprit ma vie à Oranan, sa facilité, réglée comme une horloge où chaque minute de mon temps était destiné à faire ou être quelque chose de bien particulier, à agir comme il le fallait sans penser à mes envies, à vivre mille vies en une semaine sans avoir à juger la mienne.
A croire que la liberté devait faire partie de son bagage à la naissance pour savoir quoi en faire …
Mais heureusement l'attente ne fut pas longue. Elle ressortit seule, ses gardes refermèrent la porte et reprirent leur poste sans même détourner le regard vers la Dame qui pourtant attirait toutes les autres paires d'yeux. A son passage, les têtes se tournaient, les paroles se faisaient murmures et les courbettes plus insistantes. La légèreté des ses vêtements et la sensualité de sa démarche étaient comme inscrits dans sa personne … ses draps avaient probablement des vapeurs à chaque fois qu'elle s'y allongeait.
Elle se dirigea vers moi sans ambages et je me relevais, jetant un coup d'œil par réflexe à la porte d'où elle était sortie.
Je me penchais en avant lorsqu'elle me remercia pour ma participation, qui n'en méritait pas tant à mon avis car l'épisode avec la sangsue écarté, je n'avais eu besoin que de patience et n'avais fait que jouer aux cartes.
Mais ses propos suivant furent plus inattendus car lorsque je lui tendis le miroir pour lui remettre elle posa ses mains sur les miennes et me dit de le garder. Je balbutiais quelques mots, dont la faible force n'était pas le reflet de mes intentions.
- Je ne peux ... je n'ai fait que …
Mais elle était si proche maintenant que son souffle était comme paralysant, j'étais partagée entre l'impossibilité de garder un objet de grande valeur vu sa réaction lorsque je lui montrais la première fois … et la curiosité de ce qu'elle allait faire, mêlée à un je ne sais quoi de délice de la savoir si proche.
Je bus littéralement la suite de ses paroles. J'imaginais sans mal à quels nocifs détournements pouvaient mener un tel pouvoir entre certaines mains, et surtout à quel point il pouvait rendre obsolète les gens comme moi. Mille questions s'abattaient dans mon esprit comme une pluie de flèche et tandis que j'imaginais des événements passés sous d'autres angles, je menais un combat intérieur car l'utilisation même de ce miroir me donnait l'impression de perdre quelque chose du jeu auquel j'ai joué toute ma vie durant … et en même temps je ressentais l'envie pressante de retrouver ce fils de catin, l'énigme de mon présent et d'en faire un chiot tout juste bon à japper et quémander une attention.
Je ne saurais dire combien de seconde je restais silencieuse, le regard braqué sur le tissu cachant le miroir … mais je m'aperçus en refaisant surface que l'idée même de l'utiliser avec Pulinn ne m'avait pas effleuré ce qui m'amena à me demander s'il avait des limites, si certaines personnes pouvait déjouer son pouvoir.
- Écoutez, je … c'est inattendu. Pourquoi me le remettre, ce n'était pas prévu. Je pensais que c'était un objet rare qui vous tenait à cœur. Mais là, c'est une drôle de responsabilité d'avoir ça en main … comment pouvez-vous être sûre que je le mérite.
J'ai du mal à réaliser je vous avoue, il y a encore quelques jours je n'aurais même pas imaginé que des objets comme ça existaient.
Aussi obscur qu'était le lien qui me liait à Menimienai, j'avais découvert l'existence de tels pouvoirs à son contact … mais celui-ci était tout autre, il y avait comme un avant goût d'interdit.