Je ne sais pas depuis combien de temps je n’avais pas mangé, mais tout en entamant ce petit déjeuner, je ressentais un bien fou, un peu comme quand on n’a pas gouté à une friandise depuis longtemps, et que l’on tombe dessus par hasard. Mon hôte ne fut qu’à moitié étonné par mon appétit d’ogre, et il m’expliqua d’un ai amusé qu’il devait tenir l’auberge, ses parents étant parti faire le marché. Encore une fois, il fut très gentil avec moi, se préoccupant avant tout de mon confort, et m’interrogeant quand au fait de la quantité de nourriture qu’il m’avait apporté. Je lui répondis tranquillement qu’il y’ne aurait largement assez, et que sa bonté n’avait d’égal que sa bonne humeur, ce qui parut le rendre encore un peu plus joyeux, à vrai dire. Tout en se retirant, il m’intima le conseil de descendre à la réception une fois mon petit déjeuner avalé. Puis, je fus seul.
Après quelques délicieuses tartines dégustées sur mon lit douillet, je me décidai à me lever, et à aller jeter un coup d’œil à la fenêtre de la chambre. Après tout, c’était une nouvelle ville pour moi, et j’étais curieux de voir à quoi elle ressemblait ! Après quelques pas incertains sur le parquet, je fus bien debout devant l’ouverture, m’émerveillant devant ce que je devinai être une place publique. C’était splendide ! Le doux soleil matinal rayonnait, inondant les rues d’une douce chaleur, et une légère brise nous apportait de l’air frais, celui dont on se gonfle les poumons en ayant l’impression de purifier tout notre système pulmonaire. L’auberge de Trun et de ses parents était donc située sur une des places de la ville, adjacente à quelques échoppes où l’on semblait travailler gaiement. Il me semblait apercevoir un forgeron tout près, et je devinai à l’odeur qu’un boulanger exerçait lui aussi son métier tout près. Mon regard se baladait au loin, passant de toits en toits, explorant ce nouveau monde avec joie et impatience, quand je vis soudain le point le plus élevé de toutes ces bâtisses : Le Clocher. Ce n’est pas tant sa vue qui m’impressionna, ni même la blancheur pure de sa cloche. Mais à l’instant où je vis ce bâtiment, le plus grand de tous, je sus que par le passé, je m’étais tenu à son sommet. Je me vi, observant la ville de ce point culminant. Je ne savais pas pourquoi ni comment, mais j’étais déjà monté au sommet de cette cité. Et, en basculant mon regard vers le sol, d’autres souvenirs me revinrent vivement, forçant la main à ma mémoire défectueuse. Je revivais une course effrénée dans les escaliers de ce clocher, poursuivi par des cris et des bruits de bottes martelant le sol, je crus même distinguer une lame d’épée en jetant un coup d’œil derrière moi…
Ces visions me firent perdre l’équilibre, et je profitai des quelques instants de pleine conscience pour revenir vers le lit, avant de m’effondrer comme une masse sur le matelas.
Je restais allongé un moment, réfléchissant au choc que je venais de subir. J’en étais sur :
C’était des souvenirs de ma vie ! Et bien que la découverte fût douloureuse, je me mis en tête de rassembler tous ces souvenirs, et de reconstituer ma vie. Qui sait, peut être y’avait t-il dans la ville d’autres endroits propices à la remontée de mon ancienne vie ? Pour en avoir le cœur net, il me fallait visiter cette citée, tâche que j’envisageai d’accomplir ce jour même. Mais pour l’instant, je devais rejoindre mon hôte. Lentement, je réussis à me remettre sur pied, puis j’atteignis la porte en vacillant. Mon pallier n’était qu’un des nombreux du couloir, témoignant de la grandeur de l’établissement, et, je l’imaginais, de sa prospérité. Je ne savais pas combien d’étage comptait le bâtiment, mais une chose était sûre, il me fallait descendre pour retrouver mon ami ! Je m’engageai donc avec précaution à travers l’escalier de bois ciré, traversant cet étroit chemin de colimaçon, et découvrant une odeur de bonne cuisine un peu plus forte à chacun de mes pas. Nous devions approcher de midi, et mes admirables hôtes devaient préparer à manger pour le reste de leurs invités. J’avais hâte de les rencontrer ! Arrivant au rez de chaussé, je me retrouvai dans le hall d’entré de l’auberge. C’était très coquet : Une grande porte de bois massif se dressait devant moi, marquant la frontière avec la rue, un comptoir qui faisait office de bureau et derrière lequel était accroché un tableau contenant toutes les clés des chambres. Et dans un autre coin de la pièce, quelques canapés accueillants, gouverné par une table basse sur laquelle se trouvait du thé fumant, à la disposition de chacun. Et derrière le comptoir, je fus heureux de revoir mon ami Trun, toujours le sourire aux lèvres, traitant avec une vieille clientes qui avait l’air inquiète.
« Effrayant ! Disait-elle, ces gens semblent pris d’une folie extrême, comme dans un délire permanent ! Je pense m’enfermer chez moi jusqu'à la fin de cette épidémie, la contagion est bien trop menaçante !
-N’exagérez vous pas un peu les choses, ma bonne dame ? L’interrogea mon ami, après tout, ce n’est qu’une simple maladie passagère !
-Grands Dieux non ! Pensez ce que vous voulez, mais écoutez donc cette histoire que la nièce de mon fils m’a conté : Elle connaissait un homme, un homme droit et sensé, et cet homme fut frappé il y’a peu… Ecoutez donc… Mais Trun l’arrêta quelques instants.
-Oh mon ami, tu es rassasié ! S’exclama t-il en m’apercevant. Je t’en prie, fais comme chez toi, mes parents se trouvent en cuisine, juste au bout de ce couloir ! Mais je voue en prie madame, continuez donc ! »Laissant ces bonnes gens à leurs histoires, je pris le chemin de la cuisine, enchanté à l’idée de rencontrer mes sauveurs ! Je les aurai trouvé même sans l’indication de mon ami, à vrai dire, car l’odeur délicieuse de la nourriture me mènerait à eux, j’en étais sur. Après avoir parcouru quelques mètres, je tombai nez à nez avec une porte, que je devinais être celle de la cuisine. Poliment, j’annonçais ma venue, et frappai trois fois contre ce mur de bois gondé. A peine une seconde plus tard, on vint ouvrir, et je me trouvai face à une ravissante dame. Elle devait avoir entre quarante et quarante-cinq ans, avait de long cheveux blonds, des yeux bleus, et conservait malgré son âge, un charme certain. Et derrière elle, je devinai le père de Trun : Un homme massif portant un tablier de cuisine usé, les cheveux mi-long, rabattu à l’arrière de sa tête, et arborant le même sourire gai que son rejeton.
« Ah, salut à toi ! Me lança t-il, enthousiasmé
-Salut à notre grand blessé ! Ajouta sa femme, sur le même ton.
-Et bien le bonjour à mes nobles et incroyables sauveurs ! Lançais-je, subjugué de la joie générale
-Mais entre, ne reste pas là, reprit la femme »J’entrai dans la pièce. L’odeur était à présent toute proche, et c’était vraiment très agréable ? En plus de leurs autres qualités, je devinais que mes hôtes, ou l’un d’eux au moins, étaient d’excellents cuisiniers ! Ils me désignèrent une chaise, et je m’assis à la table, face au père, mon sauveur. Sa compagne elle, resta debout, gardant un œil sur les marmites.
« Et bien et bien, comme j’ai hâte que tu nous contes ton aventure, mon ami ! Commença celui grâce à qui j’étais vivant. Un sacré aubaine, que nous étions à la pêche ce jour là ! Mais commençons par nous présenter, voyons ! Je suis Sam Timùn , et voici ma femme Tina. Tu as déjà rencontré notre fils Trun, et il ne te reste plus qu’a apprendre que tu te trouve dans l’auberge de la Tortue Guerrière, où l’on s’arrête pour se détendre, et où l’on laisse tous ses problèmes à la porte, ah ah ! Et toi alors, qui es-tu, finalement ?
-Enchanté de faire ta connaissance alors, et mille fois merci, tant à toi qu’a ta femme ou à ton fils, je vous dois la vie, et serais aux services de vos majestés éternellement. Quand à mon identité, mon âge, et même mon prénom… Je n’en sas rien, j’ai tout oublié. Mon dernier souvenir est qu’un mage m’ait lancé un sort puissant, qui m’a laissé inconscient sur cette plage ou vous m’avez recueilli… »Je gardai les visions que j’avais eues dans la chambre pour moi, de peur de passer pour un monstre. Et je sentais au fond de moi, que je ne devais en parler à personne, que cela était la clé de mon salut, et de l’entreprise titanesque qui m’attendait : Recouvrer la mémoire. Sam parut bien surpris de ma réponse, et fronça ses épais sourcils plusieurs seconde, avant de reprendre :
« Et bien, c’est la une bien étrange histoire, au moins aussi étrange que ce qui se passe en ville en ce moment… Mais après tout, la magie est très étrange, et il m’est d’avis qu’elle pourrait bien rendre amnésique ! Alors, que comptes-tu faire maintenant ?
-A vrai dire… Je comptais rembourser ma dette envers vous, en premier lieu. Ensuite, je partirai sans doute à la recherche de mon passé, je trouverai certainement une piste dans mes rêves, ou en me baladant. Mon avenir est incertain à vrai dire, mais pas autant que mon passé…
-Tu ne nous dois rien, voyons ! Déclara t-il, sur le ton de l’homme humble et généreux qu’il était.
-Je vous dois la vie, répondis-je, et un jour viendra où vous aurez besoin de moi. Ce jour là, je serais prêt ! Je n’oublierai jamais ce que vous avez fait pour moi.
-C’est tout naturel, mon ami ! Reste ici le temps qu’il te faudra pour démarrer une nouvelle vie, trouver tes marques et t’installer, dans cette ville ou ailleurs. Et sois assuré que si un jour j’ai besoin d’une quelconque assistance, je m’en remettrai à toi ! As-tu faim ?
-Je te remercie, mais ton fils à été plus que généreux avec moi, et je suis rassasié au moins pour la journée ! Je vais aller me balader dans cette ville, et découvrir quelques peu ce nouveau monde !
-J’imagine que tu dois en mourir d’envie oui ! Cria t-il presque, toujours aussi gai. Reviens pour souper ! Ou à l’heure que tu penseras être la meilleure, la prote te sera grande ouverte ! »Le remerciant encore une fois, je me levai, promettant que je serai bientôt de retour, et bénissant intérieurement ces gens de bonne famille. Mais alors, que j’allai franchir la porte, Tina, l’épouse de Sam et la mère de Trun, s’adressa gentiment à moi.
« Oh, au fait, j’ai lavé les vêtements que tu portais à ton arrivé ! Tu ne les as sans doute pas remarqués ! Ils sont dans l’armoire de ta chambre, il s’agit seulement de quelques tissus et d’une grande cape verte, mais c’est déjà mieux que rien ! Bonne visite de Kendran Kâr, et prend gare à toi, avec cette maladie qui rôde ! »Il devait sans doute s’agir de la même maladie dont parlais cette femme à la réception. Quoiqu’il en soit, je saluais mes hôtes, et quittait la cuisine pour retourner à ma chambre, et me lancer dans la découverte de la cité, avec l’espoir de retrouver quelques fragments de ma vie à n’importe quel coin de rue.
Je remontai en hâte, et une fois dans ma chambre, je constatai effectivement que les vêtements qu’avait mentionnés Tina étaient bel et bien là. Sans tarder, j’enfilai ces quelques haillons, et surmontait le tout de cette cape magnifique, bordée de deux manches qu’on aurait dit semblables à mes bras. A l’instant où je me retrouvai à l’intérieur, je me sentis comme en sécurité, à l’abri de tout regard hostile ou menaçant. Je ressenti également un poids dans ma manche gauche. Intrigué, je la tâtai de mon autre main, pour découvrir qu’un objet y était finalement dissimulé, dans une sorte de poche cousue à l’intérieur même de la manche. Avec lenteur et prévention, je glissai ma main à l’intérieur, et mes doigts se posèrent sur un petit pommeau. Je l’empoignais, et avec milles précautions, le tirai vers l’extérieur de la manche, vers ma main gauche. Les manches de ma veste étaient amples, et j’eus tôt fait de sortir tout à fait l’objet. Et quelle ne fut pas ma surprise, quand je découvris que la chose en question n’était autre qu’une magnifique dague ! Elle faisait la taille de mon avant bras, et resplendissait, témoignant d’un polissage tout récent. En l’approchant de mon visage pour mieux l’examiner, je découvrais une inscription sur la lame, trop petite pour que je la distingue auparavant. Il était gravé :
Cyowä, prince des voleurs
De plus en plus étrange… Cette dague m’appartenait, j’en étais certain. Elle me paraissait si familière que j’en aurai mis ma main à couper ! Donc, je devais être ce Cyowä, et en même temps, le… Prince des voleurs ? Encore un détail trouble dé mon passé, pensai-je. Je fis quelques mouvements avec l’arme. L’aisance avec laquelle je m’en servais témoignait de la régularité de ses anciens usages, et d’une maitrise approfondie du combat. Pourtant, je ne connaissais pas les mouvements, tout cela était inné. Me recentrant sur mon intérêt principal, je pris la direction des escaliers, descendit, et me dirigeai vers la porte du vestibule. Il n’y avait personne à la réception, ils avaient pris une pause, j’imagine. J’ouvrai les battants de l’entrée massive, et m’élançais dans la rue. Au moment où je franchissais le seuil, les coups de midi donnèrent hauts et forts depuis le clocher.