Je ris de bon coeur.

« Les tenir à distance... Oui en théorie. Malheureusement j'ai rarement eu l'occasion de participer à des batailles rangées. Et puis même en bataille rangée si les choses tournent mal il faut mettre la main à la pâte, si je puis dire, comme les autres. Aussi si l'arc est mon arme préférée elle n'est pas la seule dont j'use. »

A ces mots je pris ma sacoche que je me posai sur mes genoux avant de l'entrouvrir afin qu'il puisse jeter un oeil à mon fouet en cuir et à ma petite arbalète en érable rouge qui par un ingénieux procédé de rouages et de gâchettes ne nécessitait l'usage que d'une seule main à la fois. Dans le bazar qu'était ma besace ma fine cotte de mithrill, dont la longueur égalait celle d'une robe courte, luisait de ses plis cristallins à la lueur du feu de cheminée, coincée sous ma gourde de cordial et quelques bibelots divers.

Gênée par le regard que posait mon aîné sur mes cicatrices je poussai un soupir las.

« Je te l'accord, les cicatrices ont plus de charme sur un grand gaillard à la peau tannée par le soleil et aux muscles saillants. Il est certain que désormais même les nôtres ne me trouveront plus à leur goût. Qu'importe après tout, je n'ai pas l'intention de les retrouver de si tôt... »

Je secouai pour chasser ces réflexions futiles.

« Ainsi souhaites-tu perfectionner ta maîtrise de la magie et parcourir le monde... Navrée, j'en connais peu sur les choses de la magie du reste tu peux comme moi te proposer d'effectuer certaines missions pour des particuliers, groupes privés ou villes. Il y a pas mal de guildes à Kendra-Kâr, il doit bien y avoir une guilde de "magiciens" ou quelque chose du genre. Enfin j'imagine... Quand Sam ou Tina nous apportera notre dîner tu n'auras qu'à leur demander, ils sauront sûrement mieux te répondre que moi. »

J'hésitai avant de poursuivre à voix basse, inquiète.

« Dis-moi, aurais-tu des ennuis ? Ce n'est pas la première fois que je te vois porter machinalement la main à ta capuche pour l'ajuster. Si tu as des problèmes... As-tu besoin d'aide ? »

Je lui souris à nouveau.

« Merci. » répondis-je simplement.

Sentant que mon estomac n'allait pas tarder à se mettre à grogner je me levai pour aller prestement demander à Sam des nouvelles de ma commande. Celui me remit aussitôt sur un plateau en bois deux miches de pain longs comme la main encore tièdes, un morceau de fromage de vache à l'odeur un peu forte déposé sur un linge propre, deux couteaux, quatre tranches d'une viande séchée pratiquement transparente tant elles étaient fines, enroulées sur elle-même dans une assiette de céramique ainsi que deux timbales en métal argenté, une petite carafe en verre emplie d’hydromel et une bouteille qu'à moitié pleine de rhum. Je m'en retournais vers l'âtre quand Tina m’attrapa par la manche pour rajouter deux bols d'un potage fumant sur le plateau que j’eus alors un peu de mal à ramener à bon port sans manquer renverser son contenu par deux fois.

« Le repas est prêt monseigneur ! » déclarai-je en imitant l’intonation d'une courtisane et en esquissant une courbette ridicule. « Ils ne se sont pas fichus de nous. » repris-je avec sérieux. J'en avais déjà l'eau à la bouche.

Entamant moi aussi mon repas j'observe avec étonnement le petit rongeur s'extirper d'une crevasse dans le mur pour venir flairer la boule de mie de pain.

« Comment as-tu su ? »

Un nouveau sourire s'épanouit sur mes lèvres, me donnant un air de gamine devant un pot de miel. Curieuse et extasiée par la petite créature je racle doucement le fromage crémeux du bout de mon couteau avant de l'approcher doucement, pointe en avant, vers l'animal. Celui-ci se redressant, visiblement effrayé, je ralentis mon mouvement et déposai le couteau à une quarantaine de pouces de lui, pratiquement arrivée à quatre pattes sur le parquet tâché de l'auberge, avant de retirer ma main tout aussi doucement et de me réinstaller dans mon siège.

« Voyons quoi de la mie ou du fromage éveille le plus son appétit ! Et si elle ose s'approcher d'avantage.»

Azra poussa la porte de l'auberge pour aller trouver Sam avec un air désœuvré.

« Hé bien, te voilà encore dans un drôle d'état, mon gars ! »

Le garçon haussa les épaules. Il était quand même agréable d'entendre une voix amicale, même si c'était sans doute pour des raisons commerciales.

« J'ai faim et je suis fatigué... Mettez moi ce que vous avez de mieux à manger et la meilleurs chambre disponible... Enfin, dans les basses classes, évidement... »

L'aubergiste lui désigna une des dernières tables libres et lui promis en souriant un festin de roi. Voilà au moins quelqu'un qui ne le prenait pas pour un voleur, ou alors qui s'en fichait.
Il s'installa donc à la table et prit sa tête entre ses mains. Il entendit une discussion à côté. Des gens parlaient d'un rongeur... ce qui lui fit courir un frisson le long du dos...
Il remarqua alors qu'une voix lui était familière. Il écarta les doigt et vit... L'archère Siwih, avec un homme encapuchonné, sans doute un elfe vu sa carrure.
Et une souris en plus !
Il recacha son visage entre ses doigts avec un petit gémissement. Ce n'était pas le moment !
Puis, il se pencha sur le rongeur pour vérifier qu'il n'avait pas des yeux noirs et sans vie... On est jamais trop sûr...

Je haussai les épaules.

« Tu sais... Je n'ai jamais tellement eu le temps de m'attarder sur ce genre de choses. Enfin si, en Anorfain, dans mon enfance, mais mon apprentissage était au final assez pragmatique, mon tuteur ne donnait pas spécialement dans le sentimental. Non qu'il n'apprécie pas les bêtes ; simplement quand il faut tuer pour survivre mieux vaut rapidement apprendre à faire la part des choses... Et j'avoue ne pas avoir prêté attention à grand chose depuis notre arrivée. Oaxaca en personne pourrait bien franchir le seuil que je ne la remarquerais que trop tard pour sauver nos peaux. Je crois que je vais avoir besoin de sommeil cette nuit. »

J'avais déjà eu l'occasion à maintes reprise de constater que l'éveil permanent des elfes n'était qu'une légende ; peut-être nos confrères poètes n'avaient-ils guère besoin de plus mais lorsque l'on fait durement travailler son corps et son esprit ils ont besoin l'un comme l'autre de ne plus être sollicités du tout pendant plusieurs heures - et quoi de plus efficace que de nous faire tomber dans l'inconscience pour un repos total ?

Je réprimai un bâillement.

« Tu comptes rester à l'auberge le temps de trouver un emploi ? »

J'acquiesçai non sans un certain soulagement. Je venais à mon tour de terminer ma part ainsi que le fond de rhum dont la chaleur m'envahissait peu à peu.

« Je te souhaite dans ce cas une agréable fin de soirée Fingolfin. »

Je lui fis un signe de la tête, prenant congé, passai au comptoir verser un acompte à Tina et montai dans la chambre qui m'avait été attribuée.

La petite souris se révéla tout à fait normale. C'était rassurant. Allons, il ne fallait pas se laisser aller à la paranoïa : le roi des rats était mort !
Finalement, Siwih se retira.
L'elfe au visage encapuchonné s'en alla à son tours, posant au passage quelques questions à la tenancière.
Le garçon le regarda s'éloigner avec un air perplexe. Il ressemblait à un mage, pourrait-il l'aider dans l'étude de la magie ? Sans doute ne fallait-il pas trop compter là-dessus... Les elfes ne pratiquaient sans doute pas la magie noir, trop délicate pour ce genre de personnes distinguées.
Il continua donc son repas en silence, sans grand appétit.

Il n'y a rien de plus agréable, après un bon repas, que de passer une nuit dans un bon lit. Le lendemain, Azra se leva tôt par habitude et se rappela ensuite que, pour la première fois depuis longtemps, les choses semblaient bien se présenter pour lui.
Il descendit prendre son petit déjeuné, et, en attendant de se remplir le ventre, sortit le parchemin qu'il avait trouvé dans les catacombes pour l'étudier. L'exercice était dur. Il avait appris à lire mais le vocabulaire du parchemin était compliqué et, honnêtement, il n'avait pas souvent pratiqué.

(Catégorie : magie noire
Sous-catégorie : nécromancie
Sortilège : hantise

'hantise' ? Qu'est-ce que c'est ? Un Nain avait raconté une histoire appelé 'la mine d'or hantée', c'est peut être un lien... Peut-être que ça invoque des fantômes ? Bon, on dirait qu'il s'agit d'un des parchemins dont me parlait Tirassin, c'est intéressant...

Le sortilège de hantise, bien connu des... 'quoi ? 'nécrophiles' c'est quoi ce truc ?'..., permet d'apporter à la perception visuelle les âmes … 'désincarnée ? Ça ne veut rien dire ! Bon allons voir plus loin...'

En effectuant par magie un rapprochement des... plans visibles et invisibles, il est... techniquement... possible de ramener les âmes... 'désincarnée ? Ils ne peuvent pas parler normalement ?'... en vu de déclencher des apparitions spectrales capable de perturber mentalement le récepteur du sortilège. Il suffit pour cela d'employer l'ombre en vu d'amener lesdites âmes... à un niveau d'existence semi-physique. Une fois qu'elles ont reçu une 'ombre', c'est à dire qu'elles ont été incarnées dans le fluide thaumaturgique, elle peuvent être dirigées vers la cible désignée.)

Rien à faire, la moitié de ce charabia lui était incompréhensible. Son bol de lait arrivé, il commença à manger distraitement, s'esquintant le cerveau à comprendre les mots incohérents... C'est alors qu'il remarqua le mage qu'il avait vu avec Siwih la veille au soir. Peut-être pourrait-il l'aider ? Azra était bien en peine de dire si l'énoncé du sortilège indiquait clairement qu'il s'agissait de magie noir, en dehors du titre... Avec un peu de chance, l'elfe lui traduirait le reste en terme plus simple.

Tout en pressentant qu'il allait se faire envoyer paître, il décida d'aller le trouver et de lui tendre le parchemin, tout en veillant à recouvrir le titre de sa main.

« Hum... excusez-moi, monsieur... Pourriez vous m'expliquer ce que veux dire ce texte ? »

Il attendit en se sentant rougir. Bon sang il allait se faire repérer et massacrer ! Comment pouvait-il être à ce point inconscient ?

J'avais dormi. J'avais vraiment dormi. Pour une fois et depuis bien longtemps je m'étais retrouvée dans un tel état d'épuisement que ceci m'avait été nécessaire. A mon réveil j'en ressentis quelque honte - diantre une telle faiblesse ! Cependant celle-ci s'atténua à mesure les secondes, les minutes ramenèrent à ma mémoire encore embrumée par le sommeil les détails des derniers jours. Qui ne se serait pas effondré... Une chance que je n'ai guère dormi plus d'une dizaine d'heures. Il faisait jour au-dehors mais j'avais encore la journée devant moi pour faire laver mes frusques et effectuer des emplettes.

M'extirpant de mon lit je réprimai un frisson et posai avec raideur mes pieds nus au sol. J'avais pris grand soin de me départir de ma tenue de voyage si tôt passée la porte de la chambre et avais dormis en tunique. Jugeant sa longueur raisonnable je sortis dans le couloir et appelai Tina du haut de l'escalier. Il me fallait prendre un bain avant tout de chose, ce à quoi elle acquiesça vivement. Je retournai donc dans ma chambre, n'ayant pas spécialement faim pour le moment, et attendis patiemment que l'on m'apporte des cruche d'eau chaude. Deux jeunes femmes frappèrent bientôt pour me verser mon bain, chacune lourdement chargée, avant de me demander mon linge sale puis de prendre congé en s'inclinant avec grâce.

Il me fallut un temps pour saisir d'où me venait cette étrange sensation de flottement... Je baignais dans de l'eau froide. Un peu perplexe je réalisai bientôt que j'avais dû m'assoupir à nouveau dans mon bain. Un coup d'oeil inquiet vers la fenêtre m'appris que midi était passé. Étouffant un juron je me rinçai avec la cruche qui restait - à l'eau froide de fait, ce qui n'était pas vraiment plaisant. Rapidement séchée je rassemblai mes affaires, non sans un soupir, et descendis prendre des nouvelles de mon linge. A ma grande surprise celui-ci avait été non seulement propre mais également sec.

"Nous ne savions pas combien de temps tu resterais alors j'ai pris soin de les étendre près du feu de notre arrière-sale..." m'expliqua Tina, visiblement satisfaite d'elle.

- Vous avez bien fait ! lui répondis-je avec un sourire.

Je ne confirmai ni ne réfutai la question qui restait en suspens. Resterais-je ? Pour combien de temps ? Je l'ignorais et les récents évènements tournaient en boucle sous mon crâne sans que je pusse déterminer quelle serait la meilleure posture à adopter. Partir, encore, ou rester et continuer de me rendre malade de rancœur...

Aussi pris-je mon linge, quelques provisions, payai-je mon dû malgré les faibles protestations des aubergistes et pris-je aussi la porte.