Au matin, la pluie glacée des bois a laissé place à une mince bruine brumeuse. Dae'ron, mon pâle congénère aux cheveux bruns, beaux yeux noirs, pagne blanc et collier pour seuls vêtements, ne se fait pas remarquer. Tant mieux. La trace visible du passage d'un escargot sur mon aile m'a mis d'une humeur massacrante. C'est donc sans échanger un mot que nous reprenons notre vol au-dessus de la forêt, guettant un élément particulier dans le décor. À la mi-journée, j'aperçois enfin ce que m'a décrit ce timbré de Célestin.
Un arbre immense, sur lequel a été aménagé une zone de bois suffisamment large pour porter plusieurs lutins à la fois, se détache des cimes. Seules les belettes étant élevées là-bas, pas question d'y risquer la vie de Lyïl. Je le laisse donc dans un arbre voisin avec quelques provisions. Débrouillard, ce harney a su aussi rester à proximité lors du massacre de la troupe mercenaire aldryde. Il ne devrait pas risquer grand-chose ici.
Dae'ron et moi parvenons ensuite à la plate-forme de bois clair, légèrement couverte par une toiture. On dirait vaguement un kiosque, comme au parc kendran. Sauf qu'ici, il est à ma taille. Plusieurs lutins se trouvent déjà sur place, la bouche pleine d'aliments divers, à regarder vers l'horizon. Leur présence me hérisse les plumes et je les garde à l’œil avec méfiance. Lequel va être le premier à extirper une dague ou faire une remarque à notre sujet ?
Le gagnant est un lutillon, arrimé à la culotte bouffante et ridicule de sa génitrice. Aussi laids l'un que l'autre. Le jeune avoisinant ma taille tend le doigt dans notre direction et tire sur la manche de la mocheté femelle, demandant sans la moindre discrétion si les petits humains qu'ils voient au loin savent voler. Un éclat de rire irritant au possible, et la laideronne répond qu'aucun d'entre eux ne peut venir ici. Sauf en devenant des oiseaux. Le petit insiste, chose qui me fait émettre un son énervé. Cela suffit à attirer l'attention de la lutine, surprise par notre présence. Le brun précise alors amicalement que nous ne sommes pas humains, juste des aldrydes.
Excuses hypocrites de la mère, avertissant sa progéniture de ne plus montrer du doigt. Dommage. Je me demande si le bruit du craquement de ces os aurait été le même que celui que j'imagine. Tournant les talons, je me dirige vers l'escalier. Il est trop grand pour moi, pensé par des créatures faisant le double ou triple de ma taille. Et qui manquent de bousculer ceux qu'ils rencontrent au milieu des marches.
"
C'est animé par ici.", s'amuse l'aldryde. "
Que fait-on ?"
"
Des provisions.", gronde-je. "
Un sac pour Lyïl. Le genre d'affaires qu'un certain Machouille propose en ce moment, et des vivres."
"
Idée plus que précise, encore une fois."
Contrairement à mon habitude, je m'efforce de ravaler mon amertume à sa remarque. Il a raison. Je sais ce que je veux faire dans ce village. Et pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manque de m'écarter de mon objectif, pour planter quelques fléchettes dans des trognes lutines curieuses !
Mes ailes étroitement serrées pour demeurer hors d'atteinte, j'avance rapidement. Irrité, j'emploie le côté affreux de ma balafre pour tenir les importuns à l'écart. Les lutins sont insupportables, surtout les jeunes. Un lutillon, coupable de m'avoir percuté, écope d'un regard mauvais et d'un sifflement hargneux. La menace est suffisante pour que, sans avoir besoin de le toucher, il chute seul hors de mon chemin. Le mâle qui me suit laisse entendre un son amusé quoique gêné à cet incident.
Méfiance. Ce peuple adore faire des farces et il est hors de question d'en être victime.
J'ai déjà donné !