Therion se décida à poursuivre son chemin dans la direction indiquée par l’humain, bien qu’il devinât qu’elle le ramènerait à la lisière de la forêt et malgré le soleil trop haut à son goût. Il lui fallait dormir, il lui fallait manger, mais ces préoccupations avaient été reléguées à des places secondaires, au profit d’un sentiment plus urgent. Si le groupe l’avait laissé partir, ce n’était pas sans garder un œil sur lui. Dans les arbres, en hauteur sans doute, le liykor noir percevait les sons de deux déplacements distincts, et lorsque le vent était à sa faveur, il percevait également des odeurs. De ce qu’il avait pu voir, les humains ne constituaient pas une menace pire que des garzoks : ils étaient armés, lui aussi, sa force et sa taille pouvait compenser ses blessures encore fraîches. La seule chose qu’il ignorait était si oui ou non ils possédaient des arcs ou des armes de jet, et compte tenu de leur mode de progression et de la furtivité dont ils faisaient preuve, cela pouvait constituer pour les humains un avantage suffisant, même sous le couvert des arbres où il est difficile d’atteindre une cible mouvante à longue distance.
Quelles qu’aient pu être leurs intentions, il n’en demeurait pas moins que Therion n’aimait pas être pisté comme un vulgaire gibier, et que cette surveillance dont il faisait l’objet était à ses yeux une agression, un problème qu’il lui fallait résoudre dans les plus brefs délais. Alors qu’il approchait de la lisière, un plan commença à se former dans son esprit.
(S’ils m’ont renvoyé vers la lisière, c’est qu’ils ne veulent pas de moi dans leur forêt… C’est leur territoire, mais tout territoire se conteste… Et ils me traquent… Deux humains pour veiller à ce que je suive la bonne direction, que je quitte la forêt ? Mais rien ne m’assure que je ne quitterai pas la forêt au mauvais endroit, au mauvais moment, qu’ils ne m’abattront pas une fois que je serai à découvert… Et même… La plaine offre peu d’abris, la plaine est bonne pour les lapins dans leurs terriers… Il faut que je passe encore la journée dans la forêt, caché et je verrai à la nuit tombée… Mais s’ils doivent me conduire hors de la forêt, cela va poser un problème, et ils sont cachés… Il faut qu’ils se croient forts, il faut qu’ils me croient faible… Oui, une bonne idée : qu’ils me croient faible, que je ne peux pas quitter la forêt, que je suis blessé... Ils feront peut-être quelque chose d’idiot…)
Sitôt son plan conçu, Therion continua son chemin en longeant la lisière de la forêt, recherchant un abri, un taillis dans lequel se fondre. Et quand il crût en apercevoir un qui convenait, assez éloigné de la plaine, il avisa des racines émergeant du sol. Délibérément, il posa le pied sur l’une d’elle, et fit mine de glisser sur le pas suivant, poussant un gémissement de douleur sonore, à la limite du cri, plus proche du glapissement, avant de se laisser tomber sur le sol d’une manière qu’il souhaitait convaincante. Quand il se releva, ce fut en trainant ostensiblement la patte gauche, comme s’il s’était blessé en glissant de la racine, et en poussant de petits gémissements à chaque pas ; pour avancer vers le taillis repéré, il s’aida d’ailleurs d’un de ses épieux comme soutien, et pris grand soin de faire porter le moins possible son poids sur la patte pour laquelle il mimait une blessure. Enfin, il se laissa tomber dans les buissons, et se roula comme pour dormir. Seulement, il avait tiré du fourreau sa hache et son épée, les épieux demeuraient à portée de main ; les yeux clos, mais le museau humant l’air, et les oreilles attentives, il attendait. Avec un peu de chance, si les humains se montraient assez stupides, il pourrait régler la question prioritaire de sa traque, puis enchaîner avec celle du repas, et enfin terminer par le sommeil bienvenu.
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La faim chasse le loup du bois...
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