Le soleil ne pénétrait pas encore les ruelles, contrairement aux passants qui étaient déjà bien actifs à une heure si matinale. L'air était frais, le pavé était encore glissant et les enfants de corvée de puit étaient hésitants à chacun de leurs pas. Itsvara, elle, réfléchissait sur sa troublante expérience de la veille, d'autant plus qu'Acknarav faisait la sourde oreille depuis. Le parchemin à l'encre volatilisée n'éclairait en rien ses pensées qui rebondissaient contre le barrage de ses principes et certitudes. Elle ressassait le petit texte, cherchant à en percevoir les limites, les conséquences, la signification profonde. Elle fut arrivée devant la bibliothèque sans même se rendre compte du chemin parcouru.
À peine était-elle entrée qu'elle aperçut l'homme de la veille se diriger vers elle. Tout sourire, il l'invita à la suivre pour prendre ses nouvelles fonctions :
« Ah ! Chère dame... nous avons discuté, avec le bibliothécaire en chef, et nous pouvons vous prendre comme copiste ! Vous pouvez vous mettre au travail dès maintenant, avec l'ouvrage 'Traité sur la flore du Naora', de Guidebert. Vous pourrez nous en faire une petite critique au passage ! Vous serez payés 1 yu la page. »
Il avait tout annoncé en bloc, comme pour être sûr de ne rien oublier. Il agitait ses mains avec prestance à chaque partie importante de son message, certainement pour le renforcer, pour l'appuyer. Itsvara l'écoutait sans grande attention, savoir qu'elle était prise lui suffisait, elle aurait de quoi se racheter de l'encre. Son annonce achevée, il l'invita, d'un mouvement poli de la main, à la suivre. Leurs pas les menèrent dans une sorte de vestibule non loin du bureau principal. Comme dans la partie publique, les murs étaient recouverts d'étagères qui, en plus de supporter quelques livres, accueillaient également des boîtes en bois, plus ou moins grandes et toutes annotées de gravures. Il ouvrit l'une d'elle et y recueillit un petit tas de feuille, il en ouvrit une autre et s'empara d'un nécessaire d'écriture. Il tendit les deux à la sindel puis reprit sa marche. Il s'arrêta à l'entrée d'un couloir et lui indiqua la deuxième porte sur sa gauche, son probable nouveau lieu de vie pour les jours et semaines à venir. Elle était chargée de dupliquer un livre traitant de la flore du Naora. Un sujet qu'elle ne connaissait qu'en surface et elle se réjouissait intérieurement d'étudier à cette occasion, bien qu'elle trouvât cocasse de le faire sur Nirtim, dans une bibliothèque humaine. La Culture a ceci de fort et de rassurant, elle tend vers l'universalisme.
La salle qu'elle rejoignit était percée de fenêtres sur deux de ses murs, gorgée d'une lumière qui, à toute heure du jour, servait copieusement les copistes déjà présents. Itsvara en comptait quatre, cinq avec elle. Un seul leva la tête à son arrivée, il la gratifia d'un signe poli des lèvres et de la tête et lui désigna un pupitre non loin de lui. Le silence des scriptorium avait toujours fasciné Itsvara et c'est en le respectant qu'elle installa son matériel et rechercha son livre dans la pile des ouvrages à copier. La couverture était en cuir teint en vert, le titre était doré, le papier était fin. Elle le déposa sur le meuble prévu à cet effet et se mit au travail rapidement, en ayant pris soin de changer la plume fournie, préférant la sienne. Elle ne commença pas par les premières pages, leur préférant l'index qu'elle garderait pendant toute sa copie à un angle de son pupitre. Après avoir feuilleté rapidement les pages, elle grimaça en constatant la multitude de dessins à reproduire. Si l'écriture, la calligraphie même, ne lui posait aucun souci, son trait était bien plus hésitant pour le dessin pur. Le plan d'étude lui semblait fiable et simple :
I. Présentation des milieux naturels du Naora. II. Rappel succinct des plantes communes à Yuimen. III. Présentation des spécificités naoriennes. IV. Utilisation de la flore naorienne.
L'auteur n'avait clairement pas recherché l'originalité, il souhaitait sans aucun doute faire de son écrit un ouvrage de référence. Itsvara se mit donc à reproduire les cartes de son continent. Son esprit n'était plus tourmenté par l'expérience de la veille, sa concentration était uniquement dédiée à son travail qu'elle accomplissait avec toute la déférence des rituels les plus vitaux. Les ombres couraient dans la pièce jusqu'à l'envahir totalement. Il était temps pour la sindel de quitter son poste. Le lendemain, elle reprit son office, se permettant seulement de demander quelle pièce jouxtait le scriptorium. Un petit pincement d'envie la prit alors qu'on lui parlait de la réserve des ouvrages non consultables librement. Bien évidemment, Itsvara ne tenta pas d'y aller. Son travail était de recopier, alors elle recopiait, sans poser de soucis particulier. Sur une feuille, elle notait également toutes ses annotations, rajoutant parfois des utilisations qui lui étaient connues de diverses plantes. Parfois, lorsque ses doigts se crispaient trop sous l'effort de l'écriture, elle ironisait sur sa présence à des milliers de kilomètres de chez elle, pour y accomplir le même quotidien. Puis, elle reprenait son activité, en silence. Ainsi s'écoulaient les heures et jours, dans la quiétude et la satisfaction d'un travail bien accompli.
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Dernière édition par Itsvara le Ven 17 Avr 2015 00:08, édité 1 fois.
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