Après avoir rejoint les deux marcheurs, nous avançons plein Nord, à travers des champs de plus en plus isolés, jusqu'à approcher une série de bosquets. Trapaht a le pied sûr, et nous conduit aux environs d'un lagon. Plutôt large, il attire mon attention. Sa forme en particulier. Parfaitement circulaire. Absolument pas naturelle. Et au beau milieu, un îlot avec de gros rochers, flanqués d'un ou deux arbres si larges que je suis certain qu'ils sont centenaires. 
Nulle trace d'activité en surface. Pourtant, je suis certain que le sekteg a parlé d'une colonie. Ils seraient planqués sous terre ? Le lagon est traversé par les piétons au moyen d'un assemblage bizarre de petits rondins de bois. Sur l'îlot, je remarque des pierres taillées, couvertes de mousse. S'il y a eu une bâtisse ici, elle est écroulée depuis des lustres. 
Cachée entre les rochers, que les géants doivent escalader, j'aperçois une trappe dotée d'un lourd anneau en métal. En-dessous, le noir complet. Ce qui n'a pas l'air de gêner le sekteg qui s'engage le premier, et secoue quelque chose une fois en bas. Une faible lueur verdâtre laisse deviner sa forme. Un Dae'ron peu rassuré et moi descendons pendant que l'hinïon referme la trappe. Elle claque brutalement même.
Peste soit des géants ! Je suis certain de ne pas pouvoir sortir seul maintenant ! J'enrage, mais aucun mot ne sort. Si je n'avais pas du accompagner le protecteur... Qui fait une tête bizarre d'ailleurs. L'impression d'étouffement me saisit aussi. Être un aldryde bloqué sous terre, je connais. Je l'ai déjà vécu. Deux fois.
Trapaht ne perd pas de temps et progresse dans une galerie aux parois visiblement artificielles. De la pierre taillée, des supports de torches, des alcôves. Elle débouche sur d'autres couloirs partant en divers sens. Notre guide en choisit un avec assurance, menant sur un autre passage vertical qui descend encore. La même configuration se présente à l'étage inférieur. Un vrai labyrinthe. Au final, je compte cinq longues échelles taillées dans la pierre. Les passages restent assez larges pour que même l'hinïon puisse avancer avec plusieurs têtes de marge. Il fait sombre et étrangement sec. La dernière galerie donne sur un cul-de-sac. 
Le sekteg semble interloqué puis il s'exclame se souvenir. Il pousse une aspérité, passe la main dans un trou et tire quelque chose, deux fois. Des bruits de raclement se font entendre de longs instants. Le mur face à nous finit par s'ouvrir, poussé par un quatuor de silhouettes plutôt massives pour des gobelins. À peine avons-nous pénétré dans la petite pièce à peine éclairée que le chemin est bouché derrière nous. Nous sommes coincés à huit dans une salle si petite que tout le monde est au coude à coude. 
Mauvais souvenir d'un certain livre maudit pour moi.
La voix du brun me parvient, mal assurée. Il est posé au sol, prostré. Il transpire et tremble. 
"
Je ne me sens pas bien. Les murs... Je... Je les vois qui se rapprochent."
Je me pose à ses côtés, songeant qu'encore une fois c'est la preuve que nous aurions du rester en dehors de tout ça. Et pendant ce temps, ces abrutis de grande taille parlent. Ils ne s'attendaient apparemment pas à notre venue. Et bien entendu, maintenant, ils ne font pas attention à nous.
"
Dae'ron. Regarde-moi.", fais-je en soutenant son visage pour qu'il m'obéisse. "
Respire doucement et concentre-toi sur moi." 
Pendant quelques instants, je soutiens son regard et cherche à détourner son attention en le faisant compter à voix haute avec moi. Je serre ses mains moites, l'aidant à se redresser lentement. Est-ce qu'il a toujours eu peur des espaces fermés ? Pourtant, il n'avait pas l'air gêné dans les souterrains de la Citadelle. 
Je suis pris de court quand il se blottit contre moi. Je déglutis bruyamment et hésite de longs instants avant de me reprendre puis de masser légèrement sa nuque. Des pensées parasites sur sa chaleur et son odeur me viennent, que je chasse avec difficulté. Cela devient dangereux. Vraiment. Le voir aussi vulnérable est... Déroutant. Mais je ne céderai pas à ces idées folles, non. J'ai déjà eu la faiblesse de le faire avec un autre aldryde, et j'en garde un très mauvais souvenir.
Heureusement, le sentir trembler ravive mon agacement.
"
Bon alors ! On ne va pas prendre racine ici, non !", hurlé-je aux géants, en en faisant sursauter un ou deux.
L'hinïon appuie mes paroles, mais il faut bien encore quelques instants pour que le quatuor sekteg se tourne vers une autre paroi que rien ne distingue des autres. J'entends vaguement Trapaht nous souhaiter la bienvenue dans la colonie alors que la pierre glisse dans une large rainure.
"
Par mes ailes...", laissé-je échapper en découvrant ce spectacle. "
Lève le nez, Dae'ron. Il faut que tu voies ça..."
L'ouverture donne sur un duo de chemins. L'un est une passerelle de solides rondins, l'autre une pente douce ponctuée de marches. Mais ce qui accapare mon attention, et qui aide le protecteur à se remettre, est l'immense salle minérale sur laquelle nous débouchons. Elle est si grande que j'ai du mal à en voir le fond, aussi bien en hauteur que face à moi. L'entrée que nous venons d'emprunter domine l'endroit. D'ici, j'ai une vue d'ensemble sur les lieux.
Vaguement ovales, six vastes terrasses encerclant l'espace central sont taillées dans le roc façon gradins. D'immenses passerelles, soutenues par et passant sous des arches de pierre semblant jaillir du sol et atteignant la voûte, traversent l'espace aérien. Elles relient les différents côtés de la salle sur les divers niveaux, et forment une croix parfaitement perpendiculaire.
Des marches flanquent les arches, permettant de passer verticalement du plus bas au plus haut niveau depuis l'espace central. Ce dernier grouille de vie, et je crois y distinguer des stands autour d'une vaste esplanade, abritée par la croisée des chemins. 
Les terrasses portent des huttes nombreuses de coloris herbe séchée et boue, largement espacées. Des escaliers serpentent en plusieurs endroits, séparant des quartiers, ou permettant l'accès d'une zone à la suivante. Quelques édifices sont à peine plus grands que la remise de l'elfe, d'autres sont d'immenses bâtisses à plusieurs niveaux. 
Partout, je distingue des cristaux si clairs qu'on peut voir à travers. La plupart sont peu remarquables, mais certains, faisant bien trois elfes adultes en taille, émettent une douce lueur bleutée. Ils émergent aussi bien sur les parois que du haut plafond, et aucune construction n'y est accolée. La lumière se diffuse à son plein potentiel. 
Là où les cristaux n'éclairent pas, c'est une étrange mousse recouvrant le roc qui le fait, réagissant aux pas de ceux qui évoluent dessus. La cave brille en bleu, en verdâtre et même en jaune-orangé aux endroits où je devine des brasiers. L'air y est étonnement frais, un peu plus humide et presque agréable. Je sens même passer une petite brise. Étrange pour un lieu aussi éloigné sous terre.
Un brouhaha ambiant se répercute sur les parois, sans être assourdissant pour autant. Par moment, j'ai l'impression de distinguer d'autres ouvertures comme celle dont nous sortons. Donnent-elles sur d'autres salles aussi grandes ? Quelle taille peut bien faire cette colonie ? Est-ce une cave naturelle ou façonnée ?
"
C'est... C'est incroyable.", lâche Dae'ron avec une réelle fascination dans la voix.
"
Là... J'avoue être... Impressionné.", dis-je à mon tour.
Jamais je n'aurais imaginé la présence d'un tel endroit aussi loin sous la surface, et surtout en royaume elfique. Et ce sont des sektegs ! Cette race réputée stupide, de voleurs et parasites arriérés en tous genres. Décidément, on ne peut se fier à rien en Yuimen.
"
Dites-moi, Trapaht. Cet endroit porte-t-il un nom ?", s'enquiert le protecteur, qui commence à reprendre le dessus, mais ne se détache pas de moi pour autant.
"
Un nom ? Quelle drôle d'idée.", fait le gobelin avant de se gratter le front, puis de jouer avec son oreille absente. "
Je suppose qu'on pourrait l'appeler Maison-Sekteg, mais franchement, personne n'y a réfléchi."
Il rajuste son collier de bois, puis nous fait signe de le suivre. Ah oui, c'est vrai. Subjugué, j'avais oublié qu'il existait une menace certaine à l’œuvre. Cependant, vu le côté paisible de l'endroit, à part peut-être une légère tension, je ne vois pas où se situe le problème.  
Le sekteg nous guide vers une grande maison, et la seule faite de pierres, entre lesquelles je devine du mortier. À n'en pas douter, c'est un endroit important.