Et les lames, portées par la volonté de Vohl et son immense foi en Rana, déchiquètent la chair, les muscles et les nerfs. En remontant dans un sifflement venteux, l’entrejambe de l’homme est déchirée, le pétrifiant de douleur un instant. Mais le cri qui commence alors à monter dans son larynx est étouffé par une nouvelle douleur, bien plus intense que la précédente, lorsque les griffes fouaillèrent dans les intestins, tranchant nettement les boyaux sensibles de l’homme, avant de percuter la cage thoracique, perforant les poumons avant d’arracher les os qu’elles ne découpèrent pas. Le chemin des lames ravage la gorge de l’assassin avant de lui lacérer le visage, mettant une fin définitive à son cri avorté. Sa seconde lame suit un chemin perpendiculaire peu de temps après. Peu importe que le zélateur d’Oaxaca soit déjà mort ou non : en cet instant, le voleur est l’assistant, le bras vengeur de la déesse bafouée. La deuxième lame sectionne  la moelle épinière du cadavre maintenu debout par la violence du premier coup. Puis, dans un gargouillis, l’homme s’effondre face contre le sol, la figure ravagée laissant s’écouler sur le perron de la maison un flot pourpre. Le seul bruit du vent assiste à la scène, confident fidèle.
Le cadavre qui git devant lui n’est plus qu’un amas de chair. Vohl, lames encore en mains, regrette un instant de ne s’être pas mesuré. Un instant seulement. Il n’avait pas le choix : son analyse de la situation avait commis un écart, rien ne servait de le nier, mais l’objectif principal était atteint. Le silence alentour, effrayant, est encore intact, si l’on omet le léger bruit du sang frais qui continue de goutter de ses lames. S’il ne peut récupérer la tenue de l’homme, rien ne sert de pleurer sur le lait renversé. Il perd ici un atout précieux, mais qu’importe, il devra désormais composer sans. Le voleur s’adosse à l’un des piliers qui soutiennent l’auvent, dans l’ombre du bâtiment. 
La fatigue qu’il a accumulée ces derniers jours le prend, provoquant en lui un vertige puissant. Sa vue se brouille l’espace d’un instant, et seule la sensation du poteau de bois dans son dos l’empêche de s’écrouler par terre, en manque d’équilibre. Lorsque sa vue revient à son acuité normale, quoi que grandement améliorée par son long séjour dans les ombres des égouts,  son regard est dirigé sur la porte de la Maison Rouge. 
A double battants, des ornements sculptés jusque sur l’encadrement illustrant des dragons et des icônes oraniennes, des poignées verticales elles aussi sculptées permettent d’ouvrir les portes en grand vers l’intérieur du bâti. En demi-cercles, les poignées des deux battants sont espacées d’environ un mètre. Une idée lui vient alors en tête. Si le groupe d’assassins est mis en fuite, par lui ou par la garde, les individus toujours inconnus pourront continuer de sillonner Oranan comme si de rien était, pour plus tard reprendre leurs machinations… cela reviendrait en somme à leur donner une nouvelle chance. Mais encore quelque chose peut-être fait contre cette possibilité ci. Les empêcher de fuir. Ou plutôt, les contraindre à jouer chacun leur peau, plutôt que de les faire s’affronter avec les gardes comme deux groupes soudés luttant l’un contre l’autre. Ainsi, peut-être certains individus seront-ils maitrisés, et leurs camarades exterminés. 
Vohl se saisit de la lame qui orne sa hanche. Une épée acérée. Une arme prise sur le premier traitre qu’il a abattu, environ une lune auparavant, et qu’il retourne aujourd’hui contre ces mêmes traîtres. L’image est presque trop parfaite. Sans frotter les battants, il glisse la lame dans l’une des poignées de biais, avant de pousser l’épée dans l’autre sens, horizontalement cette fois ci afin de faire passer le fuseau de l’arme dans la seconde poignée de porte. Ces portes s’ouvrant vers l’intérieur, il sera impossible de les ouvrir tant que la lame ne sera pas brisée ou enlevée. Et étant donné l’espacement des points bloquants, il est peu probable qu’un bras puisse se frayer un chemin pour enlever l’épée, si tant est qu’il puisse voir comment celle-ci bloque la porte. Quant au fait qu'elle se brise ainsi -hypothèse peu probable, mais sait-on jamais-, elle projettera des éclats de fer droit vers l'intérieur de la tour.
 Après avoir ôté des deux hommes les espèces sonnantes et trébuchantes qui leurs seraient désormais futiles, le détrousseur saisit leurs lames. Elles remplaceront avantageusement l’épée du traitre qui sert désormais de loquet aux battants de la maison rouge. Sur le corps égorgé du premier garde, il vérifie une nouvelle fois l’éventuelle présence d’un insigne ou d’une quelconque marque, que ce soit sur les vêtements ou directement sur la peau. Ceci accompli, Vohl se redresse. Il prend une grande inspiration, qu’il relâche sans bruit en levant les yeux sur l’auvent. Désormais, il lui faut monter : l’ascension promet d’être rude, et si le voleur se sent capable d’aller jusqu’au bout, une certaine lassitude l’étreint. Comme si son corps lui signifiait que ses efforts ne pourraient pas perdurer jusqu’à la fin des temps. 
Mais la fin des temps n’est pas l’objectif de Vohl. Il veut simplement être capable de finir sa mission, cette nuit. Redressant les épaules et le buste, le jeune Ynorien se focalise de nouveau sur son objectif. Le voleur s’avance d’un pas vers le bord de la porte, avant de se hisser sur le muret qui jouxte l’ancienne tour de guet. D’ici, il voit le jardin magnifiquement organisé de la Maison Rouge. Même en pleine nuit, celui-ci fait honneur à sa réputation : des allées, des arches, des dalles, se notent par le jeu du reflet de la lune sur les feuilles agitées par le vent et sur la surface lisse des pavés. De jour, le jardin doit être une œuvre d’art florale exposée aux yeux des clients. De nuit, en revanche, c’est un labyrinthe d’ombres et de pénombres, susceptibles d’abriter des dangers de tous poils : des assassins, des voleurs et autres visiteurs nocturnes, pour la plupart mal intentionnés. Ce qui explique que l’ancien soldat ne reste pas béat d’admiration pendant plus de quelques secondes devant cet agencement de verdure. 
Vohl saisit le rebord du premier toit, désormais accessible. Après un bref coup d’œil au jardin qui semble parfaitement endormi, il se hisse à la force des poignets sur les tuiles, abandonnant ainsi les cadavres au pied de la tour : preuve s’il en faut qui suffira aux gardes pour qu’ils soient aux aguets et prêts à faire face à leurs ennemis !
Prenant appui sur les tuiles, le voleur lance un regard autour de lui, afin de s’assurer qu’aucune mauvaise surprise ne l’attend sur le toit. Aucun mouvement ne vient troubler la nuit : son dos plaqué à la rambarde, le voleur se relève doucement. Il est attentif au moindre bruit, au moindre mouvement, qu’il vienne de la ruelle ou du jardin. La pièce derrière lui est plongée dans les ombres, accessible en enjambant la rambarde - et en cassant le battant, ce qui n’aurait pas été de la plus grande discrétion -. Il lève les yeux une nouvelle fois, contemplant les cinq étages restants de la majestueuse tour. S’arrêter ici dans son escalade, à la première occasion, lui passe rapidement à l’esprit. Mais la raison fait vite abstraction de cet élan de fainéantise alliée à sa fatigue musculaire passagère : entrer ici ne lui aurait fait gagner qu’un étage et risquerait d’alerter les gardes, et de mettre en état d’urgence l’ensemble de la tour. 
Son plan lui passe une nouvelle fois en tête. Un instant, il se demande si ce n’est pas de la folie : atteindre le sixième étage, où la lumière brillait lorsqu’il était encore sur les toits des habitations. Pour sauver le conseiller Genkishi, l’organisation du voleur doit être parfaitement synchronisée avec l’arrivée des gardes. Trop tôt, le conseiller sera exécuté sans autre forme de procès. Trop tard, et Daïgo Genkishi comme lui seront déclarés manquants au royaume des vivants. Assez peu de marge de manœuvre, donc, pour qu’un observateur extérieur puisse supposer en toute légitimité que l’homme a définitivement tourné la carte. Seulement, se reprend Vohl, c’est le seul moyen de parvenir à ses fins. L’évocation, même mentale, de la nécessité que son plan se déroule parfaitement lui fait jeter un coup d’œil stressé en bas, dans les ruelles : pas de milicien, ni de bruit de bataille. Pour l’instant, il est dans les temps, et il vient tout juste d’offrir une aide monumentale à l’exécution de sa fonction protectrice par la milice. A ses dépends, se modère-t-il au souvenir du coup de poinçon qui a bien failli le transpercer.
Quoi qu’il en soit, la Maison Rouge se targue de le tenir en respect de ses autres toits. Pour l’énième fois ce soir-là, Vohl fait remonter ses yeux le long de la silhouette imposante de la tour. C’est vrai qu’elle vaut le coup d’être vue, cette construction. Si l’on oublie ses dépravations venues avec le temps et la relâche politique, le bâtiment en lui-même est harmonieux, et dégage une impression de puissance sereine. Le type de puissance que Vohl souhaiterait justement voir régner sur Oranan. Est-ce bien la faute de la tour, si les hommes qui la gèrent en ont fait un lieu de débauche et de messes basses, de sous-entendus et d’alliances sordides ? Au point même qu’elle soit le théâtre d’assassinats ! De tentatives, tout au moins, se reprend il mentalement. 
Si la tour en elle-même ne lui est pas hostile, le voleur sait fort bien qu’en revanche elle sert pour l’instant d’abri à des hommes qui eux, ont sans aucun doute des intentions belliqueuses à son égard. Il n’a aucun intérêt à lambiner ici. Plus vite il sera en place, plus vite il sera - un minimum - rasséréné. Se remettant en quête d’un appui qui lui permettrait de s’accrocher de façon sûre au toit suivant, le voleur s’intéresse au balcon contre lequel il est plaqué. Comme il est de coutume dans les maisons réfléchies pour le bien-être de leurs habitants, c’est-à-dire ici leurs clients, les balcons sont conçus pour avoir le panorama le plus large possible sans que son utilisateur ne reçoive sur la tête les grêlons de la taille d’un œil que les vents déchainés peuvent leur envoyer. C’est donc tout naturellement qu’un petit toit couvre le  balcon dont il est question, offrant par la suite un accès facile au second toit.
Tandis que le voleur s’étire de tout son long, debout sur la balustrade, afin de pouvoir atteindre l’extension du toit qui la protège, il se fait la réflexion que sa position est parfaite pour offrir une superbe cible au plus mauvais des tireurs, et pour alerter le plus aveugle des gardes. Il n’en a pas vu, sur le toit, se rassure-t-il aussitôt. Mais ce serait de la folie de nier que des gardes peuvent être positionnés sur les toits de la Maison Rouge, Vohl en a parfaitement conscience ! Il s’active donc : heureusement, il ne tarde pas à toucher puis à agripper fermement la bordure du toit. Tirant sans douceur sur ses biceps, il parvient à hisser son buste sur le second toit, suivi de près par le reste du corps. Les tuiles sont douces, au toucher : la pluie et le vent du large ont patiné la pierre d’un bleu-gris qui a servi à leur construction. La bruine qui a commencé à tomber il y a quelque temps rendent l’exercice d’équilibre quelque peu compliqué, et le voleur progresse ventre à terre - de façon littérale – afin de ne pas profiter d’une chute qui lui serait certainement fatale.
A cet étage, point de balcons. Seules des fenêtres, qui commencent presque à ras du « sol », offrant sans doute selon le bon vouloir du client un panorama exceptionnel. Son observation du terrain ne va cependant pas plus loin. Sur un côté opposé du toit, à quelques pas de distances, un homme se tient debout, immobile. Vohl panique un instant avant de présumer que l’immobilité de la silhouette semble venir du fait qu’elle est tournée vers l’autre côté du toit, observant la rue d’accès principale avec une attention qui lui fait oublier - légitimement, compte tenu des moyens déployés pour sécuriser les lieux - de tenir compte des autres côtés du bâtiment. Vohl jette un coup d’œil anxieux vers l’autre côté du toit, afin de voir si un second garde l’a vu venir. Mais le toit, de ce que peut en voir Vohl, ne supporte pas d’autres êtres que les deux qui le foulent en ce moment. Ce dernier ne soupire pas de soulagement, mais c’est tout comme. Il n’est pas en état de lutter contre deux adversaires, et est déjà heureux que sa ruse lui ait permit de triompher des deux gardes, à l’entrée. 
Le voleur reste accroupi. Il réfléchit quelques secondes. Il peut à priori tenter de passer au toit supérieur attirer le regard de l’homme. Son regard estime la difficulté pour atteindre l’étage suivant : il lui faut prendre appui sur le rebord haut de la fenêtre, afin d’agripper le coude d’un tuyau servant probablement à l’évacuation des détritus et de s’y tirer vers le haut, avant de se tenir aux tuiles du rebord du toit. En d’autres termes, il y a de fortes chances qu’il doive s’y frotter à plusieurs reprises avant de réussir. En plus du fait d’être vulnérable pendant qu’il essaie de grimper, une seule chute ne manquera pas de capter l’attention du veilleur. La solution passe comme d’habitude dans la neutralisation de la menace avant de s’attaquer à l’exercice qui nécessite du calme. 
Un éclair argenté dans la nuit traduit la griffe qui vient de se fixer dans la main de son propriétaire pour marquer cette décision. Pas après pas, sans que ses bottes ne fassent le moindre bruit, le voleur s’approche de son ennemi. Le mercenaire est à un pied du vide. Vohl est désormais à cette même distance de sa cible. Tandis qu’il s’apprête à transpercer le traître, le voleur se rend compte que le cadavre passera devant deux étages avant de s’écraser sur le perron. Rien ne garantit qu’il n’y ait pas de mercenaires sur ces toits : il a pu éviter les gardes de ces étages par pure chance. Après tout, il ne s’est pas arrêté pour inspecter chaque niveau. Il suspend son geste : la victime, inconsciente de la menace qui pèse sur sa vie, n’esquisse pas le moindre geste. Au lieu de la pousser dans le vide après lui avoir perforé la peau, l’assassin change de plan.
Sa lame se plaque à la gorge de l’homme en un instant, le serrant avec assez de force pour faire couler un peu de sang qui vient s’ajouter à celui déjà présent sur la lame. Dans le même mouvement, il place un pied derrière les jambes de son adversaire, et apparaissant dans la vision périphérique de l’homme, attrape sa tenue. Sa griffe le pousse à reculer, et l’homme, les yeux rivés sur ceux de Vohl, ne pense qu’à fuir le danger le plus immédiat pour préparer une contre-attaque. Ce faisant, il trébuche contre les appuis assurés de son adversaire et tombe en douceur sur les tuiles, retenu par l’avant de sa tenue par Vohl, qui accompagne le mouvement. Le traître à Oranan n’a eu aucun loisir de faire une quelconque action : il git maintenant sur le dos, et Vohl a un genou sur sa poitrine, l’autre genou au sol pour rester stable contre une éventuelle contestation de sa position par l’homme. Sa lame, tout au long de l’action, est restée plaquée au cou de sa victime. Lâchant la tunique du gardien, il tire de sa ceinture le court sabre oranien pour réduire encore la marge de mouvement du cou de l’homme. Il prend la parole d’un ton glacial, détaché de la situation, comme l’est son cœur.
« Un mouvement, un cri, et tu meurs. » Pour faire sentir sa détermination, il appuie sur la griffe, qui approfondit les sillons sanglants dans la gorge de son adversaire. 
« Je veux le nom de ton maître, le tien, celui de l’opération et le mot de passe. Tu as cinq secondes pour me satisfaire. Fais vite. »On jurerait entendre son précédent mentor, Sombre. Une voix désincarnée, qui a déjà perdu tout ce qui faisait de lui un homme. Le voleur n’a pas le temps de le cuisiner plus que ça : là-haut, au sommet de la tour, l’homme qu’il cherche à sauver est soumis à la torture, et l’horloge intraitable de son plan continue de tourner. S’il répond, tant mieux. S’il ne répond pas, tant pis.
Le garde semble opter pour la coopération lorsqu’il commence à parler d’une voix rapide. Sa coopération n’aura pas duré longtemps : Vohl lui assène le coup de grâce presque en même temps qu’une phrase qu’il a déjà entendu, un mois avant, tandis qu’il menaçait de la même manière un autre serviteur d’un autre fou. Ecartant simultanément le wakizashi et sa griffe, le corps presque décapité meurt aussitôt : seules les vertèbres rattachent la tête au buste. Vohl fouille le corps, et prend ce qui lui semble être une légitime rançon compte tenu des crimes commis par le comploteur. Sa tenue, malheureusement, est trop ample pour le jeune adulte, qui aurait l’air d’une poupée mal habillée s’il la revêtait. 
Après s’être équipé de ce qu'il a pu trouver, le voleur se dirige vers le rebord de la fenêtre pour y grimper, avant de s’arrêter de nouveau, face à la cité endormie. L’atmosphère paisible de la cité ne touche cependant pas l’assassin. Tendu, ce dernier plisse les yeux, comme pour percer les ténèbres le plus loin possible : il redoute l’arrivée trop rapide des gardes. Même si sa raison lui dit qu’il a encore du temps, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter : et si le majordome avait été plus efficace que prévu ? Et si une milice les avait interceptés, rendant l’opération plus rapide ? Mais non : rien ne se révèle. Ni torche, ni reflets d’armures, ni cris d’alertes. Pas de mouvements dans l’autre camp non plus, à priori. Les réjouissances n’ont pas encore commencé. Tout va bien.
C’est du moins ce qu’il se dit avant de se retourner vers ce qui doit lui servir d’échelle. Le rebord de la fenêtre est assez étroit, et même si le bon entretien de la Maison Rouge permet d’être presque sûr que le bois n’est pas vermoulu, s’y accrocher n’en reste pas moins un exercice délicat. Le jeune homme prend appui sur les premières travées de bois qui découpent la fenêtre en plusieurs petits carreaux. Tous ses muscles sont contractés pour éviter de tomber en arrière. Il a l’impression que s’il relâche ne serait-ce que le petit doigt, il basculera. Il doit pourtant se hisser sur encore deux travées pour espérer atteindre le tuyau de métal ! 
Il relâche son souffle, et pendant qu’il inspire profondément, il tend une main vers le barreau suivant de son échelle de fortune. Il saute afin de ne pas tomber sur le dos, évitant ainsi instinctivement de provoquer un vacarme infernal dans la nuit parfaitement calme. Il n’est pas bien haut par rapport au toit qu’il vient de quitter, et ne se cause aucune douleur. Par acquis de conscience, il vérifie que la fenêtre est close de l’intérieur. C’est le cas. Ici, il ne peut rentrer qu’en fracassant la vitre. Il n’a pas le choix, s’il veut continuer à jouer l’infiltré…il doit recommencer à monter. Une seconde fois, il saisit la minuscule surface qui est offerte à ses mains. Il se hisse cette fois de deux barreaux avant de retomber. 
Le choc est plus violent que le précédent, et il doit mettre genoux à terre pour amortir au mieux son saut préventif. Son ménisque heurte les tuiles, causant une douleur éclair sans son genou.  Vohl se relève. Il a compris comment il peut arriver à atteindre le toit supérieur. Il recommence à monter. Tout doucement, comme s’il risquait au moindre mouvement d’écraser la précieuse vie de Daïgo. Il saisit la première travée au-dessus de lui. Etend son bras pour atteindre la seconde. Le torse collé aux vitres, les pieds seulement retenus par la pointe de ses bottes. 
Il parvient à s’accrocher à la seconde travée. La pluie rend glissants les morceaux de bois, et la pression qu’il exerce sur ses mains pour se maintenir est telle qu’il souffre comme s’il les maintenait sous les sabots d’un cheval. Il étend la main jusqu’à la conduite métallique, qu’il voit s’écarter de plus en plus. Qu’il voit s’écarter de plus en plus ? Il tombe en arrière. Il a juste le temps de pousser sur ses pieds pour s’orienter dans sa chute. Il grâce à une torsion plus instinctive que maitrisée, il parvient à s’orienter pour retomber les mains en avant, et non dos contre les tuiles. La chute n’est pas exactement silencieuse, mais cela aurait pu être pire, bien pire. Il se fige, prêt à voir accourir les gardes du lieu, et guette tout bruit de cavalcade. Mais le silence règne encore. 
Il est furieux contre lui-même. S’obstiner n’est pas son style, lorsqu’il échoue. Le stress lui a fait perdre sa flexibilité intellectuelle sur un banal problème d’escalade. Devant son idiotie, l’ancien stratège hésite entre rester béat de stupéfaction et l'indicible envie de se gifler pour se réveiller. Craignant que la seconde option ne fasse juste le bruit qu’il faut pour être entendu par ailleurs, il choisit la stupéfaction. Quelques secondes plus tard il est debout, en face de la fenêtre maudite. Puisque la méthode douce ne fonctionne pas…Pour arriver à se propulser jusqu’au conduit métallique afin de s’y accrocher, il va devoir utiliser tout l’élan qu’il peut accumuler en courant sur le toit…en espérant que personne n’entende la série de pas qu’il s’apprête à faire, le voleur recule de deux bons mètres. 
Il est presque sur le rebord du toit, mais il n’y reste pas longtemps : il s’élance vers la fenêtre. Comptant sur son énergie cinétique pour l’empêcher de tomber un bref instant avant qu’elle ne se dissipe, il gravit les minuscules échelons comme s’il s’agissait d’un escalier régulier. Lorsque finalement la loi de la gravité reprend ses droits sur son corps, il est suspendu à son objectif grâce à ses deux coudes, à la façon d’un étrange singe. Il a tôt fait de se reprendre pied sur la conduite, et se hisse sur le troisième toit, le souffle court. Ses derniers efforts le laissent courbé en deux, et s’octroyant un moment de repos, il s’assoit sur les tuiles le temps que sa respiration revienne à la normale. 
Relevant alors les yeux, un spectacle inoubliable s’offre à sa vue, et se grave aussitôt dans sa mémoire. La ville, paisible, endormie, vue des toits. Eclairés par la lumière diffuse de la lune au ventre plein, les toits luisent grâce au léger dépôt de bruine. L’atmosphère est irréelle, et Vohl, pour un temps, en oublie la sinistre mission qui l’occupe. Le vent, à cette altitude, est frais et vif, comme celui qui déchiquète les nuages, dans le ciel. D’ici, l’ynorien semble assister à un hommage à Rana elle-même, en la ville qui abrite son seul temple. Puis un nuage passe devant la lune, occultant le spectacle de la ville dans son linceul de noirceur. Vohl reprend ses esprits. Il n’a été ailleurs qu’une seconde, mais il en sort avec une impression d’éternité éphémère, un éclair avec arrière-goût d’infinité. Peu importe comment cette ville évolue…il ne cessera jamais de combattre, quitte à se sacrifier, pour en faire un lieu aussi beau que celui qui lui a été donné de voir. Plus, encore. Il la poussera à se perfectionner, l’encouragera à lutter contre ses défauts, et un jour, cette cité plus que toutes les autres sera sûre, à l’abri des invasions et des erreurs. Il en est certain. Il œuvre en ce moment même pour cela. 
Il contemple le mur qui se dresse maintenant face à lui. Infranchissable. Ici, ce n’est même pas la peine d’essayer. Son état ne lui ferait pas de cadeau, et il tomberait. Se briser un os serait un moindre mal, quand il considère la hauteur qui le sépare des pavés de la rue. Un risque insensé, et il ne le prendra pas. Il contourne l’obstacle, non sans jeter un coup d’œil approfondi en passant sa tête au coin du mur pour vérifier l’absence de garde. Il fait bien : un garde est bel et bien en train de faire face au vide, à cet endroit. Vohl s’apprête à réitérer la manœuvre qu’il a utilisé avec le précédent homme de main d’Oaxaca, lorsque ce dernier tourne les talons. Il s’arrête sur un autre côté du toit, toujours face au vide. Le voleur se rapproche subrepticement…lorsque le garde se déplace de nouveau. 
Il marche sans crainte sur son inhabituel chemin de ronde, à un pas du vide seulement. Son manège continue : attendre quelques secondes sur un côté du toit, aller jusqu’au côté suivant, attendre de nouveau quelques secondes, puis changer de nouveau. Le manège dure un moment : en se maintenant toujours collé au mur de la maison rouge, Vohl a rapidement fait le tour de tout l’étage. La bâtisse, octogonale, présente un balcon à fenêtre un côté sur deux. Après que le garde soit passé devant un de ces accès, le voleur teste l’entrée potentielle : la porte est verrouillée, bien sûr. Mais la serrure qui y donne accès semble de simple facture…et fragile. L’intérieur de la pièce est caché par de lourds rideaux, mais aucune lumière n’indique une quelconque présence. 
L’ynorien  ne sait pas comment venir à bout d’une telle serrure. Peu importe la serrure, en réalité : le voleur ne sait pas crocheter quoi que ce soit ! Un manquement capital dans son éducation de voleur…mais il faut dire aussi qu’il n’a jamais eu le besoin de recourir à cette pratique, à plus forte raison pendant son enfance, où la noblesse l’a bercé plus que les arts criminels. Un soldat ne crochète pas les serrures : il les brise. Mais ici, simplement briser la serrure serait à la limite du contre-productif : le bruit produit serait sans nul doute entendu, si ce n’est par le garde sur le toit, au moins par ceux qui sont en place supposément dans la maison – le bruit du vent ne les gêne pas, eux. Il va devoir apprendre, et apprendre vite : il est loin d’avoir toute la nuit devant lui ! Il lui faut un outil fin, qui puisse s’introduire dans la serrure. Sa griffe et son wakizashi lui viennent rapidement à l’esprit. Tous deux sont suffisamment longs, mais les lames de la griffe s’handicaperont l’une l’autre s’il doit manipuler quelque chose dans la serrure, et le wakizashi sera simplement trop large. Il lui faut quelque chose de plus fin…une dague légère. La dague du second garde du perron lui revient en tête. Il se dépêche de la tirer de la ceinture pour l’inspecter. La lame est fine, et si l’ensemble paraît fragile, ce n’est pas un problème pour ce qu’il compte en faire.
Il se dépêche de rattraper l’homme, qui a déjà deux côtés d’avance. Dès que ce dernier reprend son mouvement immuable, Vohl s’approche rapidement de la serrure. Il enfile la pointe acérée de l’arme dans la serrure. Il sent une partie métallique s’opposer à l’avancée de la dague. C’est donc cela qu’il faut écarter ? Même avec la dague effilée, c’est une tâche compliquée : Vohl comprend pourquoi les voleurs sont réputés pour utiliser des aiguilles ! Il multiplie les essais. Mais toujours, à mi-chemin, le petit battant métallique retombe à sa place ! Il a passé trop de temps sur cette serrure. Le garde doit avoir déjà effectué plus de la moitié du chemin. Vohl se redresse, et avance rapidement sur les toits pour rejoindre le côté sur lequel le garde est en ce moment. L’ynorien le rattrape alors que ce dernier arrive sur le côté où le voleur a tenté de crocheté la serrure. Le voleur attend qu’il soit une nouvelle fois passé sur le côté suivant. Il enjambe le parapet et se remet à genoux devant la serrure. Cette fois, ses efforts tordent la fine pièce métallique. La dague pousse alors sur le côté cette partie, et fait cliqueter la serrure. Le cliquètement sonne aux oreilles du voleur comme une délivrance ! Même si Vohl est loin de comprendre vraiment ce qu’il a fait pour que cela marche, il sourit devant sa bonne fortune. La porte s’ouvre dès qu’il pousse sur le battant. Aussitôt, il s’engouffre dans la pièce, accompagné par un souffle de vent glacé, et referme la fenêtre derrière lui.
Il écarte le lourd rideau qui occulte les vitres du reste de la pièce. Lorsque la tenture se rabat derrière lui, le noir devient absolu. Coupé du monde auditif et visuel, l’assassin doit patienter quelques secondes avant que sa vue ne s’acclimate au changement de luminosité. Pendant ce temps, il ferme les yeux et avance à tâtons dans la pièce. Très lentement, les bras tendus devant lui, le voleur progresse. Son genou finit par rencontrer un meuble. Ses doigts saisissent le support. Il ouvre les yeux de nouveau. Une fine lumière filtre du mince interstice qui sépare le bas de la porte du parquet. Son acuité visuelle reprend quelques droits : il distingue les contours du meuble qu’il vient de heurter. Il s’agit d’un lit d’une largeur notable. En tournant la tête, il s’aperçoit que la majorité de la pièce est en réalité occupée par le matelas rembourré. Surélevé de quelques centimètres à peine, il monopolise en fait les trois quarts de la pièce, qui somme toute est assez petite. Un tel équipement n’ayant rien à faire dans une ancienne tour de garde, Vohl sait immédiatement qu’il est désormais dans une salle dont l’usage sulfureux a valu sa réputation au bâtiment. L’envie de se vautrer sur l’épais matelas disparaît immédiatement, et Vohl détourne les yeux, dégouté. Au même moment, des sons subtils lui parviennent depuis l’extérieur de la pièce. Intrigué, il tend l’oreille en direction du bruit. Ceux-ci se rapprochent. 
Par précaution, Vohl s’éloigne de l’allée laissée libre pour atteindre la fenêtre depuis la porte : il monte sur le lit, avant de se rapprocher du battant fixe de la porte coulissante. Bien entretenu, le lit ne pousse aucun gémissement tandis qu’il circule sur la couverture moelleuse. En arrivant près de la porte, le voleur distingue mieux les sons, qui se sont de plus rapprochés. Ils ressemblent sans équivoque à des pépiements de passereaux. De tels volatiles étant tout à fait hors de propos et de surcroit complètement diurnes, il n’y a presque aucune chance que ce soit des oiseaux qui aient décidé que décidément, cette nuit était trop belle pour ne pas sortir se promener. Le déclic se fait dans l’esprit de Vohl : voilà donc un des fameux parquets rossignols ! Sa sœur lui en avait parlé lorsque son oncle avait projeté d’en faire pourvoir un pour la demeure familiale. Il avait finalement renoncé, faute d’avoir la somme d’argent colossale que nécessite une telle ingénierie. 
Un parquet rossignol ! Même si l’ancien soldat reconnaît parfaitement l’utilité d’un tel appareillage dans un bâtiment qui devrait servir de tour de garde, il doit bien avouer que cela ne va pas simplifier ses affaires, ce soir. Reste à espérer que seul ce couloir en soit équipé…mais le voleur ne croit qu’à moitié à sa propre hypothèse : considérant la richesse extraordinaire des clients et par conséquent de l’établissement de débauche, il est improbable que l’argent ait été un facteur limitant dans l’arrangement de la tour. 
Le voilà donc contraint de revoir à la hausse son estime des capacités de ses adversaires : à moins d’avoir vaincu les défenses du lieu par le nombre, ces derniers ont dû réussir à s’infiltrer comme lui-même tente de le faire désormais, et donc triompher du parquet spécial.
Au bruit, il estime que la personne qui s’approche est à quelques mètres de la chambre à coucher dans laquelle il se trouve. Cette personne est très probablement un ennemi : la griffe retrouve sa place dans la paume de Vohl sans un bruit. Il se plaque au battant, tandis qu’il est toujours sur le lit. Ainsi légèrement en hauteur si son adversaire pénètre dans la pièce, il sera capable de décocher une attaque surprise et transpercer l’homme - ou la femme -. Le voleur n’aura probablement pas l’opportunité de réfléchir. Si toutefois la situation lui permet un maigre temps d’observation, il s’agira de déterminer de façon instinctive si l’ennemi en est véritablement un ou s’il peut s’agir d’un allié providentiel qui aurait infiltré la tour de la même façon que lui. 
Toutefois, au peu de discrétion dont il fait preuve, et surtout s’il entre dans une pièce qui ne peut lui servir que de sortie, c’est que son objectif n’est pas de secourir le conseiller. Cela suffit à faire de lui un ennemi. Vohl secoue la tête, autant pour reprendre ses esprit et se préparer que parce qu’il est presque navré de devoir ôter la vie une nouvelle vie ce soir. Presque. Mais l’anticipation écrase sans peine les maigres regrets qui sortiraient du meurtre d’un traître à la République. Si la personne entre dans la pièce, elle mourra selon toute probabilité, et en silence.
Meurtralisation -----------------------------------------------
(((HRP : Abandon de l'Epée du traître, fouille des cadavres )))