Lorsque Vohl se réveille, le soleil perce le couvert nuageux, laissant une lumière pâle se passer entre les volets ouverts de la chambre.
Ses yeux s’ouvrent sur le visage contre lequel il a versé, avant de s’endormir, toutes les larmes de son corps. La courtisane est raide et froide. Vohl s’en écarte par reflexe. Son crâne heurte le sommier du lit dans un bruit sec.
« Aïe ! »
Chacun de ses membres le fait souffrir. Même ses respirations sont douloureuses. Les évènements de la veille lui reviennent doucement, comme des vagues roulant sur les rivages de son esprit. Cette fois, sans douleur. Il soupire…accompagné d’une grimace crispée lorsque ladite douleur parcourt ses côtes.
Il écarte ensuite la courtisane afin de pouvoir sortir de sous le lit. En récupérant rapidement ses affaires, il regarde avec incompréhension ce que lui a donné le conseiller. Des bottes. D’excellente facture, et qui remplaceront ses vieilles chausses usées par les péripéties, certes. Mais pourquoi ? C’est une récompense… peu commune. Quoi qu’il en soit, il ne peut pas rester dans cette tenue. Il se dévêt, admirant au passage les larges ecchymoses violettes qui colorent ses bras, ses jambes, son torse. Encore heureux que dans ce bâtiment, les miroirs ne soient pas monnaie courante.
(Je dois avoir une tête à faire peur.)
Après s’être changé, au moment d’enfiler ses bottes rapiécées, ses pupilles tentent à nouveau de percer le secret des bottes émeraude sombre. Sans succès, mais qu’importe. Si ce n’est pas exactement ce à quoi s’attendait Vohl, avoir survécu à cette nuit suffit à ôter tout éventuel ressentiment.
(Eh bien, faisons contre mauvaise fortune bon cœur… Ce sont de beaux articles !)
Vohl enlève ses chaussures et s’équipe des bottes d’un vert sombre, aux finitions impeccables. On dirait des bottes de forestier. L’intérieur est rembourré, particulièrement confortable. Et surtout, propre. Vohl se lève, raide et droit dans ses nouvelles bottes. Il se frotte les yeux et le visage afin de tenter de se réveiller, mais c’est en ouvrant les fenêtres que le vent frais et humide achève ce travail. Curieusement, ce réveil ne lui fait aucun bien. Ses meurtres en série le soir dernier, la perte de son ami, le meurtre de la dame de compagnie du Conseiller Oranan… ces évènements lui pèsent et l’obsèdent. Son attention se recentre sur les allées et venues des gens devant la Maison Rouge.
Une agitation classique règne dans la rue. Vohl ne pourra pas quitter le toit sans risquer de se faire remarquer. Il doit encore rester dans ce bâtiment jusqu’à la tombée de la nuit. A moins que le jardin ne soit pas gardé ? Il est d’un intérêt surement minime pour l’enquête en cours : il est possible qu’il soit délaissé par les gardes. Répugnant aussi à se coller de nouveau au cadavre, il se résout à sortir sur le toit afin d’éviter les gardes qui mènent peut-être encore l’investigation sur les évènements de la nuit passée. Une sortie par le jardin de la Maison Rouge reste encore possible.
Une fois sur le toit, il se dirige vers la cour arrière. Les gardes ne semblent en effet pas juger que ce lieu nécessite une surveillance, car le jardin est désert. Une bonne nouvelle. Curieusement, cela ne fait pas bondir de joie Vohl. De l’extérieur, on le dirait éteint, comme épuisé à force de souffler sur la flamme de ses émotions. Comme un reflet de ses sentiments absents, sa perception du monde est altérée : alors qu’il l’aurait d’ordinaire trouvé splendide, illuminé par un soleil radieux, le jardin est aujourd’hui pâle, comme dénué de vie.
(Il faut que je me libère de mon fardeau… je ne peux pas continuer avec ça sur la conscience. Je dois en parler à quelqu’un.)
Une idée germe dans son esprit en même temps que lui revient le souvenir du premier adulte avec qui il avait eu une discussion sur le sens de la vie. Le Grand-Prêtre du culte de Rana. Le temple de la Déesse du Vent, à l’extérieur d’Oranan, est un lieu extraordinaire, apaisant. Ce qu’il lui faut, en somme, le temps de remettre son âme d’aplomb.
Le vieil homme était une bonne personne, droite et honnête. Une tête de tortue, certes, mais aimable, quoi que pouvant se montrer austère et rugueux ; un digne représentant de la déesse des vents, finalement.
Arrivé au bord du toit, il inspecte prudemment le jardin. Aucun signe d’une quelconque présence. Il descend prudemment la poutre en bois, après avoir crocheté le rebord du toit de la main. Sitôt que ses pieds touchent le sol, il s’élance vers le mur le plus proche. Un vieux saule permet de passer d’un bond vers la ruelle adjacente. Ce dont Vohl s’abstient. Sauter sur les pavés, quelques mètres plus bas, ne le tente pas : sa dernière expérience de chute libre l’a amené à s’en méfier. En particulier par temps humide, comme aujourd’hui. C’est donc avec une grande délicatesse que le jeune ynorien passe de l’arbre au mur, puis du mur à la ruelle.
_________________ "Enchanté: Vohl Del'Yant, Humain d'Ynorie, Voleur...Pour me servir!"
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