C'était intéressant d'entendre autant de sagesse dans les paroles de cet orc. Il semblait tout à fait convaincu de tout ce qu'il disait autour de la mort, d'un royaume au-delà de la mort, de Phaïstos comme étant le seul dieu qui vaille la peine d'être vénéré, car il est le seul que l'on rencontrerait avant l'éternité à laquelle eux, pauvres mortels, seraient confrontés. Hivann ne vénérait plus Zewen, mais il pensait bien que les dieux existaient et croyait encore en leur diversité. Mais à entendre ce garzok lui dire que seul Phaïstos serait juge, il réprima un petit rire retenu, avec une pointe de cynisme.
"Si tu dis vrai, je suis bien mal fichu ! Il me semble connaître les interdits du culte de Phaïstos et j'ai été soigné bien plus d'une fois par la magie blanche. Jamais je n'ai décidé de garder mes blessures en acceptant ma mort. A part évidemment aujourd'hui, puisque je serai certainement condamné. Et puis j'ai déjà blasphémé son frère, à Darhàm."
Et puis l'orc en vint à lui dire son nom. Hivann s'était présenté sans même s'en rendre compte, aussi, il fut quelque peu surpris d'entendre le garzok donner aussi simplement son nom. Whrall, disait-il. L'origine de son prénom le fit sourire, par ailleurs. Ainsi, il était nommé de la sorte pour que ses ennemis le nomment malgré eux. Pour un être de son espèce, enclin à la guerre, c'était certainement astucieux. L'aspect guttural de cette appellation lui rappela toutefois son écuyer, Rawf.
"Enchanté Whrall. Ah ah, un nom astucieux pour quiconque aime se retrouver sur le champ de bataille, donc. Et est-ce que ça fonctionne alors ?"
Mais Hivann n'eut pas le temps de plaisanter davantage. Un certain temps s'était écoulé depuis l'arrivée de l'orc, et bien que cette discussion lui ait certainement remonté le moral, un autre évènement capta son attention. La porte des geôles s'était ouverte, dans le même grincement métallique qui avait fait entrer son nouveau compagnon. Mais pas de bruits de chaînes, ni de nouvelles insultes. Seulement une silhouette féminine qu'il reconnut immédiatement, accompagnée de deux gardes ynoriens et d'une autre silhouette gigantesque qu'il identifia instantanément comme étant justement Rawf, dont il s'était souvenu tout à l'heure. Les deux geôliers installèrent un tabouret sur lequel Thôko, sa fille aînée, s'installa en croisant les jambes, laissant Rawf debout et bien droit à côté d'elle. Les deux gardes donnèrent seulement quelques indications, à savoir qu'elle ne devrait pas toucher ou approcher les barreaux et que l'entretien devrait être court, puis il s'écartèrent, sans toutefois quitter le couloir. La jeune experte en tabacs était habillée comme à son habitude d'un long kimono pourpre et était maquillée d'un fond de teint plus pâle que d'ordinaire et d'une teinte rouge sang sur les paupières. En revanche, elle avait relaché ses longs cheveux qui lui tombaient jusqu'aux hanches. Rawf, lui, avait gardé ce fameux kimono frappé du blason des Goont qu'on lui avait offert. Hivann resta assis sur sa banquette tout en se tourna vers ses deux protégés. Toutefois, bien qu'il soit heureux de les voir ainsi, il ne put s'empêcher de se demander où se trouvait Taé. Il s'adresse au vieux loup.
"Rawf... Où est Taé ? Je te l'ai confiée dès le moment où j'ai franchi les portes de la ville. Qu'as-tu fait d'elle ? Où est-elle ?"
Il n'en fallut pas plus pour que Rawf, ce grand colosse lupin et sensible s'exprime d'une voix tremblante et triste. Dans l'ombre des geôles, on ne pouvait pas voir son visage, mais Hivann comprit bien vite qu'il pleurait.
"Je suis désolé, rawf. Je suis tellement désolé... J'ai amené Taé jusque chez votre fille. Tout allait bien, rawf, ces deux derniers jours, tout s'est bien passé... Non... Votre fille n'est plus."
Hivann resta interdit. Tout son sacrifice, tout ce qu'il avait fait pour permettre à ses enfants de venir vivre enfin à Oranan, en Ynorie, ce pays où ils avaient forgé leur nom et où ils seraient en sécurité... Il avait, depuis son exil, tout fait pour réussir à retrouver ses pouvoirs et trouver une force qui lui permette de garder sa famille en sécurité. Au final, ses fils étaient morts, ruinant sa descendance, Sujima l'a renié, Taé a été assassinée et la seule personne restante de sa famille était Thôko. Elle avait perdu tous ses frères et sœurs.
"Je n'arrive pas à le croire... Ma fille... Est-ce que je me suis donné au Conseil pour rien ? Qu'est-il arrivé ?"
"Iwa Ishwari l'a tuée."
Iwa Ishwari. La même femme qui avait tué son fils, Lùthian. Celle qu'il avait rejetée et brûlée avec son propre acide. Elle avait donc décidé de le détruire jusqu'au bout. Sa haine pour toute la famille Goont était bien réelle et elle ne s'arrêterait qu'après avoir mené sa mission jusqu'au bout.
"Rawf ne l'a pas vue, mais je ne vois pas d'autres explications. Taé a été empoisonnée. Sa langue était noire, et surtout, il y avait un autre indice. Cette femme a laissé son masque à côté du lit de ta fille. Ce masque d'or qu'elle portait au Pavillon d'or. Elle a cherché à être reconnue. Elle veut que tu saches que c'est elle qui détruira ta famille."
Hivann resta silencieux. La nouvelle du décès de Taé le percuta au point qu'il ne sut pas même comment réagir sur le moment. Comme si tout cela n'était pas réel. Quatre enfants l'avaient quitté en seulement quelques jours et il y en avait un qu'il avait tué lui-même.
"C'est mon jugement, dit-il. Je suis jugé, car j'ai tué mon fils."
"Taé m'a tout dit. Sujima l'a tué, personne d'autre.
"Mais c'est ma faute. Je n'ai pas su protéger Lùthian, j'ai trahi ma parole et Ethian n'a pas pu le supporter. Si j'avais pu le sauver, si je n'avais pas blessé Iwa, si je n'avais rien fait de tout cela, ils seraient encore là."
"Ne t’apitoie pas pas sur ton sort. Nous n'avons plus le temps pour ça. La promesse d'Ethian ne peut plus être tenue puisque tous tes enfants sont partis, sauf moi. Et désormais, avec Iwa Ishwari dans les parages, nous seront tous les deux en danger. Il faut partir."
"Je suis condamné, Thôko. Tu ne peux plus me sauver. Tu ferais mieux de t'en aller avec Rawf."
"Cesse, nous partirons."
Thôko était restée droite et froide tout ce temps, ne montrant aucune larme pour ses frères et sœurs disparus. Une droiture qui fit frémir Hivann, même s'il n'avait pas encore à pleurer.
"Regarde comme tu es froide... N'es-tu pas triste ?"
"Je viens de perdre le reste de ma famille. Il ne reste plus que toi, et tu oses me dire que je devrais te laisser ici, parce que "tu le mérites" ? Ne crois pas que je vais laisser passer tout cela. Je vais te sortir d'ici, et puisque le Conseil ne semble pas vouloir faire quoi que ce soit, je ne vais pas le laisser te condamner. Tu partiras d'ici, à n'importe quel prix."
Ces paroles, vis à vis du Conseil de la république, l'amena à se questionner non seulement vis à vis de sa condamnation, mais aussi vis à vis de Taé. Iwa Ishwari fréquentait un homme haut placé. Celui-ci en faisait peut-être partie. C'était la raison pour laquelle la promesse d'Ethian avait rompue.
"J'ai demandé à ce que l'on porte une enquête sur la mort de Taé. Je n'ai pu avoir personne. La milice est corrompue, le conseil est corrompu, tout est assez pourri pour qu'Oranan toute entière décide du sombre des Goont. Je ne les laisserai pas faire. Il n'en reste peut-être que deux, mais ce sera suffisant. Deux nuits. D'ici les deux prochaines nuits, tu sortiras d'ici et nous quitterons cet endroit."
Elle ne chercha pas même à débattre. Elle conclut ces paroles en quittant simplement le tabouret qu'on lui avait installé, tout en étant suivie de Rawf qui avait le museau bas. Il était honteux de son échec et cela se ressentait. Ainsi, ils quittèrent les geôles dans le même grincement, mais celui-ci avait désormais une saveur, un écho particulièrement froid. Ce n'est que lorsqu'elle fut partie que les larmes montèrent aux yeux du vieil homme, réalisant seulement qu'il venait de perdre presque toute sa famille. Et tout cela, à cause de choses qu'il avait faites lui-même. Mais il sentait qu'au-delà de cette femme, son ancienne maîtresse, Iwa Ishwari, c'était la république entière qui faisait payer ses propres crimes à sa lignée. On avait trahi la parole de son fils aîné et l'on se moquait de la mort de ses autres enfants. Thôko ne portait pas de vêtements de deuil, aussi, il était probable qu'Ethian n'ait pas eu de sépulture... Tout comme Lùthian et Taé. Le déshonneur était sur les Goont, et cela, au-delà de la tristesse, le remplissait d'une colère qui le fit jurer sur la tête de ses ennemis.
"Je vais tuer cette femme, dit-il dans l'ombre, la pierre d'Oubli luisant d'un pourpre menaçant. Et je vais détruire cette république."
_________________ Multi de Ziresh et Jôs.
Ser Hivann Goont, Archer-Mage niveau 10.
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