A peine arrivé sur le pont du navire, Ugléan s'empressa de donner des ordres à droite et à gauche. Ordonnant à son équipage de lever l'ancre, de tendre la voile, de virer de bord et tout ce qui avait trait à la maîtrise du navire. Je le laissais faire, attendant patiemment qu'il en ai fini. J'avais beau souffrir et me vider de mon sang progressivement, je n'étais pas encore à l'agonie, mais j'étais bel et bien épuisé. Je décidai donc de m'asseoir, le dos contre le bastingage et d'observer. Observer ceux qui allaient être mes compagnons de voyage pendant quelques jours, ceux avec qui j'allais devoir cohabiter dans un espace plutôt confiné. Je n'aimais pas particulièrement la compagnie de mes semblables, surtout les plus faibles. Au milieu des membres d'équipage qui s’affairaient pour manœuvrer le rafiot, je discernai une poignée de gars comme moi. Des mercenaires, une dizaine tout au plus. La plupart avait une salle tronche, quelques cicatrices, mais...aucun ne semblait vraiment expérimenté. Leurs armures étaient trop propres, leurs arcs trop neufs, leurs épées trop étincelantes.
Observant ce ramassis de minables tout juste bon à servir de bouclier, je me mis à réfléchir. A mon nouveau surnom tout d'abord. Le Sanglant, ça sonnait déjà mieux, mais je n'arrivais pas à m'en contenter, enfin au moins, je connaissais les origines de ce titre. Pas comme « Aigle Brutal ». Le gus qui avait osé inventer une merde pareille ne devait pas être malin et j'espérais franchement qu'il était en train de nourrir les asticots. Quel était le foutu rapport entre moi et un putain de volatile, sérieusement. Puis je me mis à penser à ce qui pouvait bien m'attendre à Dahram. Comment j'allais pouvoir me faire connaître, me refaire une clientèle. Qui j'allais devoir tuer, enlever, torturer. Je frémissais d'impatience à l'idée d'y « faire mes preuves ».
Mais je fus bien vite tiré de mes rêveries par le retour du Capitaine Ugléan qui avait visiblement fini de donner des ordres. Il s'approcha tranquillement de moi avec sa petite démarche ridicule, alors que je le fixai intensément. Comment un p'tit gars comme lui pouvait se retrouver à la tête d'un navire prêt à recruter des raclures comme moi ? Parce que oui, je n'aurais pas été accepté sur n'importe quel navire, pas après avoir buté quelqu'un en plein milieu du port. Ca me laissait juste supposé qu'il avait un truc à cacher. Des contacts ? Des compétences particulières ? Au final, j'en avais strictement rien à foutre, tant qu'il tenait parole, en me soignant et en me menant à bon port. Et les doutes que j'aurais pu avoir furent rapidement balayés.
« Hey le Sanglant ! Pour te remettre en état, tu devrais jeter un œil à la marchandise, on devrait y trouver ce qu'il te faut. Suis-moi ! »Il me montra alors une trappe derrière-lui. Je me relevai, grimaçant, pestant, et j'entrepris de le suivre, encore. Une fois n'était pas coutume, je fus pris d'une curiosité aussi étrange qu'inutile.
« La marchandise ? »« Tu verras bien ! »La réponse était aussi évidente que la question était stupide. Ugléan entrepris d'ouvrir la trappe, descendit dans la cale et me demanda de le suivre. Piège ou non, j'étais blessé, sur un navire que venait de prendre la mer, je n'avais donc aucune raison de ne pas lui faire confiance et encore moins de ne pas le suivre. Arrivé en bas, tout s'expliqua. Il faisait sombre, mais le temps que mes yeux s'habituassent à l'obscurité, ce furent mes oreilles qui me donnèrent les informations. Des bruits de chaînes tout d'abord, très vite suivis par des cris, des insultes, des supplications, le tout résonnant en un capharnaüm insupportable. Ignorant le vacarme ambiant, le capitaine se tourna vers moi.
« On a un gars qui maîtrise les fluides de lumière dans le fond, il pourra t'aider. Tu le reconnaîtras, essaye juste de ne pas trop l’amocher ou on pourra pas le revendre. »Pour me remettre sur pied, j'allais donc devoir coller quelques baffes à un esclave ? Aucun problème. Ce n'est pas comme si ces gens m'inspiraient la moindre pitié. Ils avaient été assez faibles ou bêtes pour se faire capturer, ils méritaient sans aucun doute leur sort. Et alors qu'Ugléan ressortait, je commençais à être sur les nerfs. Tout ce boucan me tapait sur le système, il fallait que ça cesse.
« FERMEZ-LA BORDEL ! Si vous voulez éviter de souffrir inutilement, vous feriez franchement mieux de fermer vos putains de gueule. »Le silence se fit alors soudainement, même les chaînes ne bougeaient quasiment plus et je pouvais enfin faire mes courses tranquillement. Arrivé au fond de la cale, je vis un mec portant une robe blanche, comme celles que portaient habituellement les prêtres de Gaïa. C'était mon homme. Je n'arrivais pas à discerner son visage, mais ça m'importait peu, tant qu'il se bougeait le cul pour que j'arrête de me vider de mon sang, il pouvait bien ne plus avoir de dent ou n'avoir qu'une seule narine, j'en avais rien à foutre. M'asseyant en tailleur devant lui, je lui montrai mes multiples entailles, et surtout celle bien plus profonde sur mon épaule avant de m'adresser à lui.
« Parait que tu peux me soigner, alors grouille-toi. »Il releva lentement la tête, me laissant seulement apercevoir quelques traits de son visage. Je ne pouvais toujours pas dire à quoi il ressemblait, mais je pu deviner qu'il était relativement jeune. Tant mieux, les jeunes gens étaient plus facilement influençable, plus malléable. D'une voix faible, mais pleine de conviction, il me répondit.
« Rien ne m'y oblige. »Je m'attendais à ce genre de réponse. Mon poing parti alors en direction de ses côtes, lui arrachant un petit cri de douleur étouffé. Il jouait les durs, mais il finirait par craquer.
« Tout t'y oblige, surtout si tu veux éviter de souffrir inutilement ou garder la vie sauve. »Il ne bougea pas et resta silencieux quelques secondes.
« Libérez-moi et je m'occupe de vous. »Il avait osé demander. L'espoir...A mourir de rire. Je me demandais si je devais jouer avec lui ou aller directement au but. Lui répondre avec une baffe ou lui faire croire à sa libération. Cette dernière possibilité était sans aucun doute la plus alléchante.
« Te libérer ? Ok, je vais y réfléchir et en parler au Capitaine Ugléan, au pire j'aurais juste à débourser quelques Yus. Mais me fais pas attendre plus longtemps. »« Vous pouvez me le promettre ? »« Je te le promets sur le dernier de mes bras. »C'était le genre de promesse qui pouvait avoir un certain impact quand on est un manchot. Et cela avait le mérite de fonctionner. Le jeune guérisseur soupira et leva péniblement les bras, une pâle lumière apparu au bout de ses doigts et tout d'un coup, mes blessures se refermèrent les une après les autres. J'avais toujours considéré les mages et utilisateurs de fluide de manière générale comme des faiblards inutiles, mais il fallait bien avouer qu'ils pouvaient se montrer pratique. Une fois qu'il eut terminé, je me relevai et commençai à faire demi-tour. Le jeune mage s'empressa de m’interpeller, un jouissif sentiment de déception naissante dans la voix.
« Et votre promesse ? »Sans même me retourner, je lui fis quand même un petit signe de la main.
« J'y ai réfléchi et j'ai pas envie. Par contre, je vais clairement en parler au Capitaine un de ces quatre. Ta naïveté le fera marrer. Bonne chance pour ta nouvelle vie. »Le laissant dans sa merde sans aucun état d'âme, je retournai sur le pont, prêt à endurer le voyage vers Dahràm. En pleine forme pour protéger cette magnifique cargaison au besoin.
***