Durant ses louanges au Père de la Flamme, le woran neige sentit une présence, alors qu’il était arrivé seul devant l’autel. Élégamment vêtu de sa toge orangée, l’Archiprêtre Moerio attendait patiemment que le Champion ait finit de prier. L’invitant à le rejoindre, le vieillard s’était élancé pour le saluer personnellement, le regard plus sage que jamais :
-Au nom de notre Père! Te voilà revenu, Aztai!
Le fauve ne put que sourire, tant son cœur était serré d’allégresse. Moerio était l’une des personnes à l’avoir guidé sur la bonne voie, il avait acquis sa confiance et sa présence était rassurante. Archiprêtre du temple, son pouvoir et sa prestance était importants ici. C’était déjà un ami, certes, mais un ami qui possédaient des réponses. Moerio joignit ses mains ridées aux pattes du fauve et les serra un moment. Il leva les yeux :
-Ambervalle fut une épreuve pour toi, déclara-t-il soudainement.
Légèrement gêné, Aztai chassa les mauvais souvenirs de son cœur et prit un air assuré :
-Nous avons triomphé, Archiprêtre, même si nous avons payé cela de nos vies. Ambervalle revivra un jour, pour le moment ils sont allés se cacher dans les montagnes au Nord, dans les Duchés. Ils s’en sortiront.
Le ton était plus dur sur la fin, haché. Moerio perçut cela :
-Ces worans sont à jamais ton peuple, Champion, et il n’est jamais bon de tourner le dos à ses origines. Malheureusement je sens dans ta voix une pointe de mépris, mais cela tient plus de la tristesse n’est-ce pas ?
Prit de court, le fauve émit un ronronnement maussade. Il ne pouvait refouler le flot de sentiments désagréables. Il sentit Zénith lui faire part de sa présence mais cela n’y pouvait rien.
-En tant que Champion, je m’impose de ne plus m‘attacher à mon peuple. J’ai apporté le malheur sur ces worans, et aujourd’hui je sais pourquoi. Malgré la foi et l’amour que tous me porte, je ne supporte plus leurs regards voilés, anéantis, devant les cadavres de nos frères et sœurs.
-Avoir du pouvoir et une conscience est un fardeau, et cela nous met inéluctablement en position de faiblesse. Tenir la vie de ses proches dans la paume de sa patte (il eut un sourire) est un poids qu’il te faut supporter. Mais si cela peut alléger ta conscience, laisse-moi te dire : les félins d’Ambervalle se battent en ton nom, mais pour une cause qui les concerne directement. Par Meno, qu’ils soient partis à la guerre avec ou sans toi, je t’assure que la même détermination aurait animé leur cœur.
Aztai n’eut rien à redire, et cette vérité allégeait sa conscience.
-Tu portes un flambeau et tu éclaires la voie. Mais si la lumière venait à s’éteindre, cela ne nous empêcherait pas de chercher le chemin.
Sur ce, il fit volte face et invita le Champion à le suivre. Ce dernier, perdu dans ses pensées, se souvint alors que d’autres évènements étaient à prendre en compte. Avant que Moerio n’ouvre une des nombreuses portes qui menaient aux quartiers intérieurs, il s’exclama :
-Hum, il y a autre chose Archiprêtre.
-Plait-il ?
Aztai ouvrit alors sa patte droite et découvrit la marque en forme de larme qui couvrait sa paume.
-Ça alors…
Le vieil homme approcha son œil et caressa la partie du duvet couleur argent. Perplexe, son crâne chauve prit quelques rides :
-Il y a de la magie là-dedans, mais je ne peux pas dire ce que c’est commun. Hum… comment ?
-Les prières. Vos prières.
-Remises en ces lieux lors de ton précédent séjour?
-Oui, j’ai compris qu’elles étaient destinées à moi, non à notre Père.
Lors de la crémation des worans morts pour Ambervalle, Aztai avait libéré la magie d’un parchemin remit par Moerio. Hors, l'étrange larme apparue dans sa patte qui amplifiait ses pouvoirs ne le rassurait pas pour autant.
L’Archiprêtre eut un sourire malicieux :
-C’étaient l’une de nos plus brillantes idées. Cependant, l’apparition de cette marque semble étrangère au processus prévu. On dirait un signe… c’est une larme n’est-ce pas?
-Il me semble… répondit le woran à contrecœur.
-Sombre présage. Mais je ne crois pas à cela, ajouta-t-il. Le temps l’expliquera peut-être.
Et il ouvrit la porte. A cet instant, le félin crut percevoir une pointe de panique chez l’Archiprêtre mais n’en fit rien. Moerio le conduisit dans un hall ouvrant sur trois escaliers. Malgré les tapis et tentures aux couleurs de feu, une magnifique statue, au centre, attirait immanquablement l’œil, que l’on arrive de toutes les directions. Avoisinant les quatre mètres de haut, elle représentait une humaine dans la force de l’âge. Le visage et les bras levé au ciel, elle tenait dans la main droite un marteau de forgeron et dans l’autre une flamme aux détails finement sculptés. A ses pieds, quatre brasiers (réels eux) donnait à la scène une touche mystique, magique. Mais le plus, c’était l’expression représentée à la perfection sur le visage de la femme. Ébahit devant une telle finesse de travail, le félin gardait le silence, muet de respect. Comment pouvait-on ainsi graver les émotions dans la pierre, on voyait là l’image même de la détermination et de la ferveur. Après quelques minutes de silence, Moerio lui présenta sans qu’il n’eut à demander :
-Sirella Loverin, Archiprêtre première du nom. Elle possède d’autres titres, bien sûr, et apparait dans de nombreuses légendes, chansons et poèmes. C’est son frère, Sépulus, qui sculpta uniquement par magie cette œuvre. Elle n’a pas pris une rayure et le temps n’aura pas raison d’elle.
-C’est la première… murmura le woran neige.
-Oui, de la longue caste dont j’ai hérité, Sirella fut la première. Et elle mena elle-même quelques batailles importantes, au nom de notre Père. Sa vie fut longue, et plusieurs de ses descendants furent nommés au poste d’Archiprêtre après sa mort. Cependant, on abandonna bien vite l’acquisition de cette place par le droit du sang. Et de nos jours l’Archiprêtre possède bien moins de pouvoir, ce qui n’est pas plus mal. Les quatre vicaires du Grand-Temple, que Meno les bénissent, sont malheureusement trop peu présents parmi nous. L’arrivée d’un nouveau Champion de Meno allègera encore plus la balance du pouvoir.
Le woran neige fut étonné d’entendre ainsi parler l’Archiprêtre de sa propre position. C’était une preuve inéluctable de sagesse. Quand aux quatre vicaires, jamais le félin n'avait eut la chance d'en rencontrer un. Son ami Markhus lui en avait dit le plus grand bien si bien qu'aux yeux du tigré, ils passaient au minimum pour des élus du Père de la Flamme... un peu ce qu'il était finalement. Cependant, si l'autorité d'un vicaire était incontestable, le woran neige aurait plus eut tendance à porter sa confiance vers Moerio, "simple" archiprêtre.
-La balance du pouvoir, répéta le tigré en se grattant l’oreille, oscille-t-elle tant que cela ?
-Malgré les apparences, tous ne te suivront pas. Les nombreux diacres et prêtres qui siègent notre assemblée n’aiment pas voir leur course au pouvoir bousculée.
Le fauve avait les oreilles tendues au possible, cependant quelque chose l’arrêta :
-Pardonnez-moi Archiprêtre, mais je ne compte pas gouverner. Ma place est au champ de bataille, dans les rangs ennemis et portant la Flamme de Meno!
-Et cela ne ferait pas de toi Son Champion s'il n'en était pas ainsi. Malgré cela tu seras mêlé aux conflits intérieurs, comme j’y suis mêlé. Les décisions prises par le temple, qu’elles soient de tout ordre, mérite débats parmi nos frères. Et malgré tes ambitions, Champion, et ton envie de chasser les têtes de nos ennemis, ta voix compte beaucoup ici. Tu restes un champion c’est vrai, mais lequel ? Celui du Dieu auquel nous accordons nos vies. Tu influences déjà, rien que par ton nom, tel un caillou jeté dans une mare.
Soupirant de malaise, Aztai voyait là exposée toutes ses craintes vis-à-vis de l’assemblée et de tous ses politiques pompeux dont parlais l’Archiprêtre. Ce dernier posa une main sur sa haute épaule velue et désigna Sirella Loverin, dans toute sa splendeur :
-Il faut garder son esprit à l’abri. Si tu souhaites en savoir plus sur le passé de ce temple et sur l’histoire de Sirella, je te présenterai notre archiviste. Par Meno, il en sait plus long sur ce monde que le reste des fidèles réunis !
-J’en serais ravi, fit sincèrement Aztai.
Ses lacunes en histoires faisait sa honte intérieure, et encore. Sans les enseignements de Markhus, son ami thorkin, et de Zénith, il n’oserait même pas se présenter en ces lieux.
(Pour le moment, c’est l’apparence qui compte hein…)
Après une petite minute passée à contempler la silhouette de la Grande Sirella, le félin ne put se retenir de poser une autre question, démêlant un nœud en son fort intérieur :
-Qui est réellement Octave, Archiprêtre?
A son esprit revint immédiatement l‘image du gamin lui prêtant pour la première fois serment d’allégeance. Moerio sembla prendre son temps alors que son regard se perdait dans un des braseros.
-Octave est différent.
Pas plus avancé, Aztai gardait tout de même le silence, laissant l’Archiprêtre choisir ses mots. Le fauve ne pouvait oublier la particularité du jeune homme : le phénix qui ornait son torse en encre de feu.
-Ce garçon est venu au monde ici même, et avant que tu ne le croises, il n’avait pratiquement jamais quitté le temple.
-C’est pourtant lui qui nous a conduit jusqu’à… Il hésita.
-Nous savons, reprit Moerio les lèvres pincées. L’embuscade qui a décimé sa garde personnelle est un coup dur, et c’est un miracle que toi et Octave en soyez sortis indemne.
-Hé bien, répondit Aztai un peu gêné, nous avons également subis une embuscade. Sans l’aide d’Aglaë nous serions probablement morts.
-Aglaë, marmonna Moerio, est-ce cette vieille dame qui t’accompagnait à ton arrivée ?
-C’est cela.
-Charmante, commenta-t-il.
-De plus, Octave était dans un état d’inconscience lorsque nous l’avons ramené. Nous croyions à une blessure magique mais Aglaë n’a rien pu conclure. Il semblait simplement…
-…Endormi, conclut l’Archiprêtre, rassuré. Devant le regard interrogateur du félin, il reprit: ton amie a vu juste, la magie a sans aucun doute affecté Octave. Hors, comme je le disais, Octave est différent. T’a-t-il dévoilé ce qui marquait son corps?
-Comment oublier, je n’avais jamais vu ça, encore moins sur le corps d’un adolescent…
-Ce garçon fait parti de ce que nous appelons par nos temps : des potentiels. Comme toi, Octave fut doté d’un pouvoir à sa naissance, d’un don particulier. Je ne parle pas simplement de la maîtrise d’un élément magique, mais bien d’une forme particulière de magie, issue d’un dieu ou non. En ce monde, des centaines de potentiels découvrent et se découvrent au fil des siècles. Dans certaines contrées ils sont vus comme des héros, des personnages à l‘âme fantastique. Dans d’autres endroits ils sont vu comme des monstres, et sont évités comme la peste. Bon ou mauvais, ces êtres hors du commun font tourner le monde, ils écrivent les légendes.
Concerné, le fauve était ébahit, suspendus aux lèvres de l’Archiprêtre.
-Certains, reprit le vieil homme, sont capables de se transformer en animal ou de voyager dans le temps. D’autres peuvent devenir des maîtres d’armes hors pairs, des mages aux ressources inépuisables. Unique en leur genre, leurs puissances peuvent atteindre des seuils encore jamais atteints, jusqu’à égaler celles des dieux. Leur limite, c’est la magie, et la magie… fit-il d’un geste impatient de la main.
(La magie n’a pas de limite, certaines forces sont simplement inexplicables, il en est ainsi) Se répétait Aztai, les mots de sa faera.
-C’est pourquoi Octave est resté dans ce temple toute sa vie, m’avez-vous dit. Son pouvoir est trop particulier.
-Exactement, conclut Moerio. Ce garçon, malgré son âge peu avancé et son air niai, est probablement la deuxième personne la plus importante qui foule le sol de ce temple, après toi. En tant qu’Archiprêtre de ce temple, j’ai suivi son éducation et tout son apprentissage afin qu’il prenne pleinement conscience de son pouvoir. J’ai pour charge de veiller à l’avenir de ce gamin, qu’il utilise son pouvoir consciemment. N’oublions pas qu’à ce stade de l’apprentissage, nous sommes incapables de dire s’il deviendra Seigneur ou Tyran de ce monde… Ah, que Meno le guide !
Malgré la bonne volonté de Moerio, le woran neige ressentait un certain malaise vis-à-vis d'Octave. Privé de liberté pendant toute son enfance... au moins le fauve n'avait pas connu ça.
-Octave m’a juré serment d’allégeance lors de notre rencontre, annonça soudainement Aztai.
L’Archiprêtre parut en rester bouche bée, avant de reprendre :
-C’est une profonde marque d’engagement, j’en remercie notre Père. Son soutient nous deviendra vital d’ici peu, et nous ne pouvons nous permettre de le perdre. Tout comme toi! D’après ce que tu m’as dit, il me semble que son métabolisme particulier l’a plongé dans l’inconscience sous la pression d’une attaque magique forte. Cela s’est déjà vu lors des séances de méditations… La réelle question qui me chagrine et dont je redoute la réponse est la suivante : qui fut à l’origine de l’attaque?
On y était, Aztai ne pouvait garder cela plus longtemps pour lui-même. Un frisson parcourait toute sa fourrure, la colère s'éveillait doucement:
-Les fidèles de Brytha, déclara-t-il les crocs serrés.
Le silence de Moerio traduisit ses sombres pressentiments. Il porta une main à son crâne et sembla vouloir le polir un instant ; Il fit une moue amère. Aztai, lui baissait les yeux, conscient de sa responsabilité. Cependant, il lâcha d’un ton d’acier :
-Par deux fois j’ai eu à faire à ces hommes, Archiprêtre, ils sont une menace réelle. Récupérer l’Armure de l’Ordre Flamboyant était une question d’honneur et jamais je n’aurais laissé telle œuvre d’art entre leurs mains. Leur embuscade n’est qu’une vengeance sans motif : ce qui appartient à Meno revient à Meno ! S’énervait-t-il.
Les souvenirs bouillonnaient intérieurement, le tigré voyait défiler chacun des cadavres en armure étincelante dans son esprit. Par le Feu, par les Enfers! Il ne fallait rien céder à ces imposteurs, et Aztai se sentit prêt à en découdre sur le champ. Moerio posa une main apaisante sur l’avant-bras du félin :
-Tes initiatives sont la preuve d’un grand potentiel, Champion de Meno, et c’est un honneur pour notre Maison que de récupérer ce qui lui appartient, le rassura-t-il. Hélas, si c’est là mon humble avis, je dois avouer que ces escarmouches avec les fidèles de cette déesse ne vont pas pour rassurer les diacres de notre Conseil…
-J’imagine que cela doit altérer le regard de certain à l’égard de mon arrivée.
-Inutile de te mentir là dessus, approuva Moerio. Il changea de sujet: il y avait d’ailleurs un autre arrivant à vos côtés, ce matin: l’homme en charpie.
-Oui, le seul survivant de la garde d’Octave. Les fidèles ont fait prisonnier sa garde, celui-là semble s’être échappé, malheureusement le jeune homme n’a pas pu l’identifier.
-Nous nous en sommes chargés, crois-moi. Le Lieutenant Serjin a prit les dispositions pour que ce soldat soit remit d’aplomb et qu’il nous livre, nous l’espérons, quelques vérités. Quoiqu’il en soit, une ère nouvelle s’ouvre devant nous c’est inéluctable.
Ils soupirèrent dans un bel ensemble. Si Aztai se voyait s’enfoncer de plus en plus dans une mer de problèmes, Moerio lui avait donné de quoi réfléchir pour remettre les choses en ordre dans son crâne de félin.
S’apercevant soudain qu’il avait oublié de prendre son épée auprès de l’autel, il fit mine de repartir vers la vaste salle de prière. Comprenant son intention, Moerio le retint par la patte :
-Ne t’en fais pas, Champion, tu n’en auras pas besoin. Ces trois prochains jours seront éprouvants, mais nécessaires. Et il y aura des gens, beaucoup! Un des quatre vicaires de Meno sera présent, également. (Il laissa le félin avaler cette nouvelle). Oui c'est un évènement, il est temps de te faire connaître Aztai Champion de Meno! Mais laisse-moi d’abord te conduire dans tes appartements afin que tu y prennes un peu de repos. Les festivités en ton honneur commenceront cette nuit, ton ami Aglaë sera bien sûr notre invitée.
Avec un clin d’œil, il tira le félin dans l’un des couloirs, sous l’œil bienveillant de Sirella Loverin.
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