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Notre petit groupe prit place dans un coin éloigné des regards. L'endroit avait un effet certain sur Thunderhead, qui détaillait des yeux quelques décors. Tulorim devait véritablement avoir de l'importance pour lui, mais je m'abstins de tout commentaire une nouvelle fois. Mazhui prit place à côté de moi et me parla avec un respect typique des siens. Comme s'il avait lu dans mes pensées, il évoqua notre rencontre près d'une semaine auparavant et avança la responsabilité du destin pour celle-ci. Je ne pus qu'être d'accord avec lui lorsqu'il avoua qu'il était inhabituel pour un être comme moi de se faire à la vie sur un navire. Je souris doucement en réponse à son expression. C'était une chose à laquelle j'avais songé aussi. Jamais je n'aurais cru, quelques semaines auparavant, que ma vie allait prendre un tel tournant.
Le sérieux qui peignit les traits de l'ynorien m'incita à lui accorder toute mon attention. Ma sève pulsa un peu plus vite tandis qu'il m'annonçait avoir appris à me respecter, malgré les préjugés qu'il avait sur les miens. Je ne lui en tenais pas rigueur. Les Oudios avaient cette tendance à rester en retrait, témoins de la vie humaine, sans y prendre part. Jusqu'à récemment, j'étais aussi de cette nature. L'émotion gagna mon torse. Il savait mettre le doigt sur les facettes de quelqu'un, et il avait raison. Je n'étais guère qu'une novice en matière de marine et de relations amicales. Pourtant, l'ynorien voyait plus loin. Il voyait mon attachement à nos frères et le courage que je leur avais insufflé pour aller délivrer Eliwin. Je n'avais pas le sentiment d'avoir fait quelque chose d'extraordinaire, mais dans la bouche de l'ynorien, mes actes semblaient dignes de louanges. Je ne pouvais qu'acquiescer doucement à ses paroles. Avoir l'estime de quelqu'un qu'on jugeait soi-même respectable était agréable.
Sans marquer de pause, Mazhui enchaina, parlant de la Confrérie qui n'était encore qu'une idée, presque un idéal difficile à concrétiser. Il avait donc discuté avec Gallion et décidé de passer à l'action. Concrètement, ils avaient pris la décision de constituer un nouvel équipage à nos couleurs.
Et de me placer à sa tête.
Mes yeux clairs s'écarquillèrent et mes lèvres d'écorce s'entrouvrirent. L'espace d'un instant, la vision de la Rascasse Volante et des rescapés de l'île me revint. Je baissai un instant les yeux, tentant de réaliser ce que cela impliquait. Moi, frêle brindille plus petite qu'un humain, mener un navire ? Avoir la responsabilité de nombreuses vies ? Avais-je les épaules pour cela ? J'avais décidé d'être forte, mais c'était là plus qu'un pas en avant. Perplexe, je déroulai mes doigts pour les monter à mon visage. Mais alors que mes serpentins glissaient sur ma tunique, ils touchèrent la dent de requin, le pendentif d'Eliwin.
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Le porte-bonheur... )
J'enroulai ma main dessus et plissai les yeux. Un bijou pour suivre ma voie. Mon cap... Était de concrétiser le rêve de Mazhui, et de ce Heartless que je n'avais jamais vu. De faire de la Confrérie une puissance reconnue et maîtresse des mers et océans, avec la bénédiction de Moura. Une famille unie, capable de tenir tête à ceux qui se croyaient intouchables ou tout-puissants. J'ignorai quand exactement cela se passerait, mais l'idée d'apporter ma contribution à cette quête fit frémir mon cœur animal. Mes doutes s'estompèrent et lorsque Mazhui me demanda à sa façon si cela me convenait, je redressai la tête, sans lâcher le bijou.
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C'est là une grande responsabilité. Une telle marque de confiance... Me touche."
Je marquai une brève pause.
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Vous avez raison au sujet des miens. Les oudios ne s'impliquent pas et préfèrent observer. Ils ne subissent ainsi presque jamais de blessures liées au destin de ceux qu'ils côtoient de loin. Cela les rend distants, froids. J'ai été ainsi, pendant de longues années."
J'esquissai un sourire.
"
Et il n'a fallu que quelques jours en mer pour me tirer de cette existence insipide. Pour en arriver à ressentir pleinement de l'attachement, de l'affection et de l'amitié. À présent, la Confrérie est comme ma vie. Et je compte la vivre pleinement."
Mon serpentin délaissa le pendentif, mais ce modeste bijou avait rempli son rôle.
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J'espère être à la..."
Je coupais brutalement ma tirade, sentant ma timidité refluer, chassée par mon entrain. Depuis que j'avais pris contact avec mon animal intérieur, il me semblait que j'avais davantage tendance à agir à l'instinct. Mon feuillage fut secoué un instant. Je repris résolument la parole, emplie d'émotion, mais que je convertissais en volonté.
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Vous pouvez compter sur moi. La Confrérie sera."
J'avais pris la parole devant des frères pour les guider, et je n'allais pas être seule dans cette aventure. Je pouvais compter sur Nahöriel et sur Eliwin s'il tenait sa promesse de m'accompagner. Peut-être que nos futurs frères seraient de la même trempe. Je n'étais pas spécialement optimiste, mais j'avais bon espoir de voir notre rêve se réaliser. Certes, ce n'était que le deuxième véritable équipage qui se préparait, mais il ne représentait qu'un début. Mon courage et ma force croissaient, s'appuyant sur des alliés sur lesquels je savais pouvoir compter. Ma vie allait prendre un cap plus affirmé encore. Il me serait impossible de rebrousser chemin, de redevenir la petite pousse d'autrefois. Mais, à bien y réfléchir, je n'en avais aucunement l'intention.
Après avoir énoncé mon accord, j'avisais alors Leyna' et ses compagnons. La situation allait changer. Qu'allaient-ils faire alors ? Demeurer auprès de Mazhui sur le Masamune ou rejoindre le nouvel équipage ?
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Ou plutôt devrais-je dire mon équipage. )
Je n'étais cependant pas une meneuse d'hommes dans l'âme. Il allait me falloir trouver en moi les ressources nécessaires pour tenir le cap, pour me faire respecter. Mais j'avais bon espoir. Après tout, la mer savait vous changer quelqu'un !
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