Une nuit au Paradis... ou pas 2 :
Lillith a écrit:
Je me réveille alors en sursaut. Je suis sur un lit moelleux aux draps satinés et doux. Mon mal de crâne vrille mes pensées, mais je reconnais rapidement à mes cotés mon bel elfe, Cromax, me regardant tendrement en souriant.
Vu notre nudité et l’état des draps, j’imagine un peu la folle nuit que nous avons passée mais je ne m’en rappelle pas. En me tordant quelques méninges, je cherche l’endroit où nous sommes mais ça non plus, ça ne vient pas.
(En tout cas ce n’est pas l’auberge. Les tissus et rideaux rouges, le genre de petite cellule dans laquelle on se trouve…)
Les tentures pourpres me rappellent soudainement une salle beaucoup plus grande, avec des colonnes montant au ciel et des dorures de prestige, mais c’est encore flou.
Je décide alors de répondre au sourire de Cromax, non sans fermer les yeux un instant pour calmer la douleur de mes tempes.
« Hum… Bonjour… Comment tu vas ? »
Je lâche un soupir avant un petit aveu.
« Je crois que je n’aurais pas du boire… J’ai comme un grand trou noir. »
Notre étreinte charnelle et chaleureuse finit par nous laisser épuisés sur le drap remué par nos ébats langoureux. Bien vite, mon amant usé par nos caresse tombe dans un profond sommeil, et m’allongeant à son côté, l’entourant de mes bras tout en me glissant sous le drap et en nous couvrant tous les deux sommairement de cette faible protection un peu inutile vu la chaleur qui règne ici, je m’assoupis à ses côtés, sombrant à mon tour dans un repos bien mérité de cette dure journée bien remplie. Je m’endors aisément, du fait de ma fatigue et de l’alcool qui baigne toujours mon sang. Et la nuit m’enveloppe de sa noirceur, pénétrant mon âme de cauchemars non moins sombres qui me hantent inlassablement. Ils sont toujours semblables, depuis notre départ de Verloa, même si chaque nuit je découvre d’autres détails troublants et terribles. J’ai toujours ces visions apocalyptiques de destruction, de violence, de chaos. Un endroit infernal où les morts sortent de partout pour nous emmener dans leur monde. Car ce que je vois, c’est leur monde, les enfers, le domaine du Dieu Noir. Et il apparait d’ailleurs, toujours aussi sombre et menaçant, intransigeant, et ses traits se confondent avec ceux d’un visage horrible et rouge qui ricane alors que je vois mes compagnons tomber les uns après les autres. Je vois même des personnes que je n’ai plus vues depuis longtemps, comme cet elfe vert m’ayant tout appris…
Et puis, cette nuit, une nouveauté arrive. Je vois dans mes songes mouvementés Phaïtos tendre la main vers moi, alors que je m’effondre à genoux devant lui. Je ploie sous la douleur de la blessure qu’il m’inflige, et qui laisse sur moi une marque indélébile et rougissante de sang et de feu. Un tatouage, une marque, au milieu de mon omoplate…
Je me réveille alors en sursaut, arrachant un cri retenu au mieux entre mes lèvres dans la nuit du temple, qui à travers les lourds rideaux qui nous protège semble toujours allumé, comme si jamais ces flammes cireuses ne s’éteignaient. Je suis en sueur, et petit à petit je reprends conscience de la réalité qui m’entoure. Je suis au temple des plaisirs, et je vais bien. Je suis loin de ces abîmes infernaux auxquels je n’ai de cesse de rêver, chaque soir… Comme par un réflexe stupide, plus pour me contraindre à la réalité que pour me rassurer réellement, je porte une main contre mon épaule pour sentir si cette fameuse marque existe ou non.
Mais alors que, incrédule, mes doigts caressent ma peau, je sens sous leur pression un renflement, une légère douleur, à l’endroit exact indiqué dans mon rêve. J’ai presque envie de crier, mais le son reste dans ma bouche, ne passant pas le barrage de mes lèvres closes, contrairement à mes paupières, qui, totalement sorties du sommeil qui m’habitait, sont grandes ouvertes.
(Ça n’est pas possible… C’est sûrement une simple cicatrice, témoin de nos trop nombreux combats contre les Orques de Crimson…)(Pourquoi refuses-tu d’admettre la vérité quand elle est indéniable, mon amour ? Tu as été aux Enfers, et tu t’en es sorti ! Ta gloire n’a d’équivalent que ton mérite. Tu t’y es battu avec rage et courage, mais tu n’es pas le seul à en être sorti avec de telles marques…)(Non, ça n’est pas possible !)(Vérifie par toi-même…)Mon regard se pose alors sur mon amant assoupi. Il est agité et semble lui aussi en proie à des mauvais rêves, remuant les membres et tressaillant de tout le corps. Je me penche au dessus de lui pour apercevoir son dos, et un de ses mouvements brusque offre à ma vue ce quej e redoutais au plus profond de mon être. Sur son dos, sur sa peau, un tatouage, noir, ténébreux. L’auteur d’un tel symbole ne laisse pas de doute, hélas…
(Phaïtos… Quelle infamie l’a poussé à nous faire ça ?)(C’est le prix que vous avez dû payer pour sortir de son domaine, après avoir vaincu ses héros infernaux…)Je ne peux m’y résoudre. M’allongeant à nouveau, j’essaie de ne plus penser à tout ça et à retrouver le sommeil… mais en vain. Je sais qu’il ne viendra plus, et je me félicite de n’avoir que peu besoin de repos, de par mon espèce. Je me tourne alors vers Lillith pour l’observer, le regarder dormir. Il est beau, même si son visage est crispé. Les heures passent, et on glaçon n’en finit pas de remuer à mes côtés. Jusqu’à ce qu’il gémisse, ultime prémices de son réveil prochain. Je me redresse alors en arrangeant sommairement mes cheveux pour avoir l’air présentable quand il ouvrira les yeux. Ce qui ne tarde d’ailleurs pas, et j’accueille le doux cryomancien dans la nouvelle journée qui vient de débuter avec un tendre sourire.
Il semble un peu perdu, et mal en point. Je crois que j’ai de la chance, avec tout ce que j’ai bu, de ne pas me retrouver dans son état. La gueule de bois m’a évité de peu, cette fois. Bon, je ne dis pas que je suis au meilleur de ma forme, mais au moins ma tête ne me fait pas souffrir outre mesure, et les nausées ne son presque pas dérangeantes… je pense que cette cuisse de porc rôti m’a sauvé la mise, sur le coup…
La voix éraillée par son réveil difficile, Lillith me salue en souriant maladroitement, prenant par la même occasion de mes nouvelles avant de soupirer et de m’avouer que sa mémoire n’est pas aussi nette qu’on aurait pu l’espérer d’un homme de son âge… L’alcool aidant, il me parle même d’un véritable trou noir pour la soirée d’hier… Souriant de plus belle, je m’apprête à faire le récit de nos folies, tout en oubliant volontairement quelques détails trop embarrassants… Mais alors que j’ouvre la bouche pour commencer, une idée me vient à l’esprit, et je sors de mon sac les quelques photographies que j’ai prises durant notre petite fête…
« Je vais bien… ou en tout cas mieux que toi, dirait-on… Regarde ces images, tu te rendras mieux compte de ce que nous avons vécu… »La première représente Prunelle sur mes genoux, et pour ne pas attiser la jalousie de mon amant, j’ai vite fait de la dissimuler de son regard, tout comme celle de l’inventeur de la machine à Tchouk… Alors vient celle où Léonid danse gaiement avec une Atanya tombée des nues. Je ne manque pas de pousser un petit rire à cette image, me souvenant de ce que j’ai pu dire à la demoiselle qui me ressemble tant… La suivante est très révélatrice de l’attitude de mon amant, la veille… C’est celle où il est vautré par terre, à quatre pattes, montrant ostensiblement ses fesses à l’objectif de l’appareil.
« On va dire que c’est la faute du tabouret, n’est-ce pas ? Et puis des quelques cadavres de bouteilles qui peuplaient la tablée ! »Je ris en passant sous ses yeux les autres photographies de Keynthara et du concours de nourriture, pour en arriver à la dernière, celle prise par Keynthara et représentant tout notre joyeux groupe de la veille. Je croyais en avir pris d’autres, mais je me contente de lui montrer celles-ci, poursuivant ensuite le récit de la soirée…
« Après que l’Aniathy ait bousillé la moitié de l’auberge avec un sort foireux, nous sommes sortis et je t’ai emmené ici, au Temple des Plaisirs, où tu as rencontré et eu une discussion avec Pulinn… Tu t’en souviens, n’est-ce pas ? Nul ne saurait oublier une si charmante personne… »Je lui souris tendrement, évitant de poser mes lèvres sur sa bouche, de peur de sa réaction quand à mon haleine chargée… Prenant un air plus sérieux, je poursuis :
« Tu étais agité, dans ton sommeil… Tu as fait des mauvais rêves ? »Lillith a écrit:
Pour me faire revenir la mémoire, Cromax sort comme par magie des parchemins de son sac où sont dessinées des gravures au réalisme frappant.
"Waouh ! Comment tu as fait ça ?"
Sans attendre sa réponse, je regarde avidement chacune des images pour me souvenir de quelque chose, mais rien ne vient. Je reconnais des visages, comme celui de Prunelle, Léonid, ou encore de la mystérieuse jeune femme qui était à notre table. Malheureusement, je ne me rappelle d'aucune situation décrite, et encore moins celle où je me retrouve les quatre fers en l'air. Cromax me rassure un peu à ce sujet, mais ça me laisse un peu mal à l'aise. Je fais contre mauvaise grâce bon coeur et préfère prendre ça à l'autodérision et rire avec Cromax de mes malheurs.
Ensuite, il conclut sur la visite d'un temple et la rencontre avec une certaine Pulinn. Ses mots résonnent dans mon esprit et amènent cette fois-ci quelques flashs de la fin de soirée.
"Je ne me souviens absolument pas de la soirée. J'ai discuté un peu avec Léonid, puis après... Par contre, le Temple des plaisirs et Pulinn me reviennent un peu à l'esprit, même si c'est encore flou pour l'instant."
Mais une fois les souvenirs énoncés, il balaye cette histoire pour embrayer sur les cauchemars qui m'ont hantés.
"Mauvais, je ne sais pas trop... en tout cas c'était effrayant, mais je crois que j'y vois plus clair. Je... Il me semble que j'ai trouvé mon style."
Je conclus ma phrase par un sourire éclatant, la question de Pulinn sur mon art cryomantique me revenant à l'esprit.
Lillith semble réellement impressionné par les images magiques que je lui montre, et malgré une bien faible, voire inexistante participation à l’élaboration de l’appareil à Tchouk, je retire une fierté de sa grandiloquente passion pour mes œuvres miniatures. Ça n’est pas simple de trouver un bon angle pour capturer ces imagettes souvenirs… Et elles sont bien utiles, visiblement, puisque la mémoire humaine semble définitivement inapte à se rappeler une soirée après une trop grosse beuverie, que nous pouvons plus diplomatiquement nommer excès de zèle sur des dives et attirantes bouteilles dont on ne peut se refuser le contenu une fois commencées… Ainsi, la biture n’est pas une habitude de mon compagnon de lit, et il en paie aujourd’hui les frais par une visiblement affreuse gueule de bois augmentée de trous noirs, pertes de mémoires, maux de tête et tiraillements musculaires, bien que ces derniers soient plutôt dus aux pratiques sportives intenses qui nous ont emmené une bonne partie de la nuit, sur cette même couche où nous nous réveillons lentement, émergeant d’un sommeil agité.
Ainsi, il regarde avec effarement les images, répétant une fois encore qu’il ne se souvient de rien, mais ne semble pas mal prendre ses mésaventures et finit par en rire avec moi. Il confirme aussi ma pensée en disant que la seule chose dont il se rappelle est cette conversation bien particulière avec Pulinn, gardienne de ce lieu, déesse de ce temple…
En ce qui concerne sa nuit agitée de visibles mauvais rêves, il nie, ou du moins doute du bienfondé de ma réflexion, m’arguant que bien qu’étant effrayants, ses songes lui ont permis de voir plus clair. Voir quoi, je ne sais pas exactement, mais il m’assure que sa vision est désormais meilleure, puis me précise qu’il a trouvé son style…
(Son style ?)Petit à petit, de vagues réminiscences de sa conversation avec l’Elfe Blanche me reviennent à l’esprit. En effet, il avait parlé d’une sorte de style de préserver la glace et sa beauté, fut-ce dans des situations hostiles à sa magie du froid. Ils avaient aussi parlé d’un livre, si mes vagues souvenirs sont corrects. Un livre aux grands pouvoirs et dédié à Yuia, la déesse que mon amant vénère tant. La conversation, bien que j’y ai assisté avec attention, du moins au début, ne me revient que par bribes. Il est vrai que le sommeil commençait à lentement s’emparer de mon être, et mon attention n’a pu que s’en trouver déchue, malgré le zèle que j’essayais de montrer en tant qu’apprenti, qu’élève de cette grande Dame qui vit ici… Comprenant donc de quoi il veut parler, je hoche la tête avec enthousiasme.
« Ah oui vraiment ? Comme quoi on peut dire que la nuit porte conseil ! »Mais une ombre passe alors dans mes yeux, sur mon visage… S’il a trouvé son style, ça veut dire que bientôt nous devrons nous séparer pour chacun suivre la voie qui lui est propre. Lui doit aller dans les montagnes, et moi… je n’en sais encore rien, mais les écrits de Pulinn n’augurent pas une existence de tout repos, en ce qui me concerne. Je m’efforce tout de même de garder un semblant de sourire, mais je ne peux retenir les doutes qui me parcourent…
« Tu vas donc te rendre dans les Duchés, là haut sur les montagnes ? et… on sera alors séparés… »Je laisse ma phrase en suspens, comme si la poursuivre m’était impossible, comme si je ne savais que dire après ces mots franchement défaitistes et négatifs… Après notre première réelle nuit d’amour, où nos chairs n’ont été qu’une durant un instant de pur bonheur, déjà la question du départ se fait. La séparation, la distance et tout ce qu’elle entrainera inévitablement… Le manque, la nostalgie…
(L’oubli ?)(Non ! Jamais je ne pourrai oublier mon glaçon. Toujours il sera là, dans mes pensées, et toujours je désirerai le revoir et le prendre contre moi…)(Es-tu certain de ce que tu dis ? ça ne te ressemble pas réellement de parler ainsi, tu sais ?)(Tais-toi ! Tu ne connais rien de moi !)(Bien au contraire, j’en connais bien plus que tu ne le penses… N’as-tu pas abandonné Zya ?)Ainsi Lysis a accès à mes souvenirs autant qu’à mon avenir, et à mes pensées présentes…
(Ça n’est pas pareil ! C’était une relation impossible, entre elle et moi. Jamais nous n’aurions pu nous déclarer au grand jour. Son père ne l’aurait pas accepté…)(Je t’ai déjà connu plus battant et déterminé…)(Ne ressasse pas mon passé, il ne te concerne en rien.)À ma grande surprise, Lysis semble m’accorder le dernier mot de notre discussion mentale, fait plutôt rare s’il en est… Sans m’en rendre compte, j’ai laissé le silence revenir entre mon amant et moi. Un silence d’absence et de réflexion. Mais je n’ai aucune envie de gâcher cette matinée en sa compagnie, et je me reprends, posant ma main sur son épaule en regagnant le sourire et la bonne humeur…
« Allons, il est inutile de penser à ça maintenant ! Si nous allions prendre un petit-déjeuner digne de ce nom ? Il me semble avoir aperçu hier une vaste salle à manger, dans le temple. »Sans le laisser répondre, je me dirige à genoux vers mon équipement pour l’enfiler avec précaution, tout en me contorsionnant sur notre couche pour ne pas blesser mon glaçon avec mes longues lames acérées… Je m’habille et enfile mon armure, puis mon sac et ma bonne vieille cape, mes brassières neuves au symbole Kendran, avant de glisser mes armes à ma ceinture, vérifiant en un regard que je n’ai rien oublié dans les anfractuosité sinueuses des draps… J’accorde alors un regard tendre à Lillith, pour le gratifier d’une caresse sur le visage. Une douce caresse qui semble s’attarder sur sa peau un peu rugueuse et piquante d’une légère barbe inconnue aux elfes…
Je me hisse alors en dehors de notre alcôve, rampant sur le matelas jusqu’à passer outre les rideaux, m’assurant que mon amant me suit pour manger un bout…
Lillith a écrit:
Cromax semble heureux pour moi au début, mais il y a une once de tristesse qui se dépeint sur son visage. La raison vient vite dans la discussion et me laisse complètement en plein désarroi.
"Mais... non... je..."
En fait, je n'avais jamais réfléchit à ça. Je ne voyais pas vraiment les choses comme un départ définitif, ni même sans lui. Désarçonné, je ne réponds pas vraiment et me perds dans mes pensées.
Finalement, Cromax me remonte le moral d'une tape sur l'épaule et d'une invitation à un repas matinal pour récupérer. Je souris à mon tour et m'habille pour sortir à la suite de mon bel elfe. Je regarde le décor dont mes souvenirs sont encore vagues, rajoutant les teintes lumineuses de l'aube à la splendeur des lieux.
Nous atteignons après quelques pas une salle à manger dans une tablée magnifique. Des coupoles débordantes de fruits mûres ponctuent une nappe pourpre recouverte de pains de toutes formes. Un ballet de servantes se déroule tranquillement, offrant aux personnes déjeunant diverses boissons.
Je m'assois, main dans la main, avec Cromax et reçois rapidement de la part d'une charmante soubrette un bol rempli d'un lait de brebis tiède. Je commence mon repas, mais n'y tenant plus, repose rapidement ma brioche pour revenir sur les angoisses de mon amant.
"On ne sera pas séparés mon amour. Pas tout de suite en tout cas... Et au pire, ce ne serait qu'un voyage... Je veux pas te perde..."
Mon Lillith me suit vers la fastueuse salle à manger qu’abrite se temple des mille merveilles. Les lueurs matinales émanant de la porte ouverte et filtrant tant bien que mal entre les intersections des lourdes tentures qui masquent les hautes fenêtres donnent une impression de divin, de miracle en ce lieu si peu dédié à la religion, fut-il nommé temple. Le pourpre et le rouge sont cerné d’éclats blancs et lumineux, même s’ils restent discrets, évanescents, comme dans un rêve où l’on s’abandonnerait à des croyances immatérielles et spirituelles, se sentant planer dans d’autres cieux illuminés et radieux. Ainsi, me levant de ma couche, je me sens vraiment emporté comme dans un autre monde, avec cette changeante et délicate odeur de floraisons à peine écloses et encore humides de la fine rosée du matin. Même si le décor ne s’y prête pas vraiment, si on ferme les yeux, on a presque l’impression de se trouver dans un vaste pré, à l’aube, l’herbe et les fleurs sauvages mouillées d’une nuit trop fraiche, alors que les premiers rayons solaires réchauffent l’atmosphère.
Me laissant guider par mes pas, et ne songeant plus à une éventuelle séparation, même temporaire, avec mon glaçon, j’atteints aisément la vaste salle à manger. Là, les parfums sont différents : exotiques, sucrés, accueillants et gourmands. Une réelle invitation à manger inonde cet endroit où je ne me suis pas encore rendu. Une vaste table est munie de dizaines de plats, de vasques, d’assiettes portant chacun un met différent et correspondant avec l’heure du petit déjeuner, même si la matinée est sans doute déjà un peu avancée, sans être pour autant flétrie. Des odeurs de miel me parviennent, avec celles de pains frais et encore chauds, à la croute dorée et croustillante. Des croissants tièdes émanent leur parfum sucré et accueillant, alors qu’une légère fragrance d’amandes s’y mêle. Les arômes délicats se mêlent et s’accordent ensemble, sans même parfois qu’on en découvre la provenance ou la composition.
Dans une large vasque aux bords cernés d’or expose une grande quantité de fruits divers et variés, tous plus appétissants les uns que les autres, tropicaux ou plus communs. Oranges à la pulpe moelleuse et juteuse, pommes fraiches et légèrement acides, fraises sucrées, melons à la chair tendre et colorée, pastèques rafraichissantes, ananas duveteux, et d’autres encore que je ne connais pas, que je n’ai jamais vu, de toutes formes, de toutes tailles, de tous les gouts et de toutes les couleurs et apparences.
Je trouve place à côté d’un lourd plateau argenté où sont disposées plusieurs sortes de viennoiseries encore tièdes, ou napées de crème pâtissière ou de sucre glacé. Bien vite, une servante vêtue de rouge vient servir mon amant d’un bol lacté rappelant les hauts pâturages kendrans, près des montagnes, et le voyant savourer ce lait de chèvre, je me retiens tant bien que mal de repenser à son départ prochain, comme si ça n’était pas le moment, pas encore. Comme s’il était trop tôt pour l’évoquer à nouveau. Je comptais bien profiter de ce petit déjeuner paradisiaque et appétissant sans m’encombrer de crampes douloureuses à l’estomac symbole d’une anxiété que je rejette, d’une peur incontrôlable. Commandant à mon tour la boisson que je désire à une soubrette mignonne qui passe par là, je pose un regard attendri sur mon compagnon alors qu’elle me sert une tasse fumante d’un thé aromatisé aux plantes, et qui se colore de teintes rougeoyantes, symbole d’une infusion à l’églantier d’où perce quelques effluves de framboise…
« Merci ! »La servante pose la théière à proximité de moi, et j’ajoute un peu de sucre dans ce mélange brulant, remuant légèrement dans la tasse de porcelaine à l’aide d’une petite cuillère en argent ornée de motifs floraux. Je remarque que la rose est bien présente, ici aussi, dans les décorations des plats, des murs, des couverts et assiettes.
Portant la tasse à mes lèvres, accueillant l’arôme sucré par mes narines enchantées, je souffle doucement la fumée qui s’en échappe, afin d’attiédir ce liquide qui réveille mes sens, à l’instant où j’en bois une première gorgée, me demandant déjà ce que je désire grignoter d’appétissant comme premier repas de ma journée. Il y a tellement de choix que je ne sais pas me décider pour l’une ou l’autre chose, et tout prendre relèverait d’une gourmandise peu conseillée après un long voyage où la faim nous a si souvent creusé le ventre. Il faut petit à petit se réhabituer à pareille bombance et abondance de nourriture. Ainsi, je jette mon dévolu sur un petit pain doré et brioché à la mie parsemée de petits raisins secs.
Mais je n’ai le temps que de mordre une fois dedans, savourant le goût de cette merveille boulangère, que Lillith remet sur le tapis le fait de nos départs respectifs, de nos vies différentes qui ne suivent pas forcément le même cheminement… Je le regarde, mi-gêné, mi-souriant, attendri par tant d’affection à mon égard, mais attristé par l’idée de causer du tort à ce cœur pur, à cet homme loyal et gentil, si tendre et attentionné… Je pose une main sur une des siennes, et je m’efforce de garder un air positif tout en répondant évasivement…
« Toujours nous resterons liés, même si nos corps sont éloignés. Et si nous voyagerons, toujours aussi nous nous retrouverons, que ça soit ici ou ailleurs. Tu ne me perdras pas parce que je n’ai aucune envie d’être séparé de toi. Mais nos vies sont différentes, et le chemin que nous suivons peut parfois s’écarter. Il ne faut pas s’en attrister, car on sait qu’à l’intersection suivante, on se retrouvera… »Je laisse mes doigts monter doucement vers son visage et se poser contre sa joue avec légèreté et délicatesse…
« Allons, profitons de notre petit-déjeuner et ne pensons pas encore aux heures à venir… »Je laisse ma main glisser jusqu’à son menton dans une caresse légère, puis, tout en le regardant, je mords une nouvelle fois dans mon petit pain brioché à la pate sucrée et au gout doux. Je savoure cette matinée comme elle doit être savourée.
Une fois mon petit pain fini, je m’aventure à presser tant bien que mal une orange dans un verre de cristal, mais bientôt, voyant mes gestes maladroits et peu habitués, un serviteur vient m’aider et finit par me remplacer complètement dans ma tache, pressant le fruit orange avec brio et habileté pour me tendre ensuite mon verre plein de ce jus pulpeux et délicieux. Je savoure une nouvelle fois ce gout agréable, entre le sucré et l’acide, doux et sûr à la fois.
« Je crois que Dame Pulinn veut s’entretenir avec moi en privé, ce matin. Peut-être pourras-tu récupérer tes affaires à l’auberge, pendant ce temps ? Je suis désolé de ne pas t’avoir prévu plus tôt de cette visite impromptue du Temple… En fait ça s’est décidé pendant la soirée. Et j’ignorais que nous passerions la nuit ici… »Je souris nostalgiquement en repensant à nos ébats nocturnes pleins d’une passion et d’une connivence enfin nôtres. Je le regarde tendrement, ne quittant pas ses yeux du regard, alors que je finis lentement ma tasse de thé qui a désormais eu le temps de refroidir un peu, ne perdant rien de son arôme fruité.
Lillith a écrit:
Mon amour me rassure sur la durabilité de notre relation, évoquant une image des métaphores sur les destinées de Caacrinolas. Je souris à la pensée qu'il y aura toujours quelque chose et toujours des retrouvailles derrière une absence. Je m'imagine déjà, ramenant le livre triomphant, pour trouver les félicitations de Pulinn et les bras de Cromax.
Nous terminons tranquillement le succulent repas, mêlant toutes les nuances sucrées que le monde doit porter. Une fois son jus d'orange terminé, Cromax annonce le programme de la matinée. Je tombe alors des nues et ouvre des yeux ronds.
(Récupérer mes affaires à l'auberge !? Pour aller où ? Ici ! Mais ce n'est pas vraiment fait pour ça... Les lits sont destinés à autre chose, et puis Pulinn ne peut pas nous offrir le gîte et le couvert ainsi plus d'un jour...)
"Prendre mes affaires... Tu veux dire... Pour venir ici ? Ne me dit pas qu'on peut vivre dans le temple !"
Complètement interloqué, j'affiche une expression d'ignorance totale qui doit me rendre bien pitoyable...
À mon invitation à récupérer ses affaires à l’auberge, Lillith ouvre de grands yeux emplis de surprise. Interloqué, je le regarde avec inquiétude tout en époussetant mon armure des quelques mies que j’ai malencontreusement parsemées durant mon repas matinal. Au terme de sa phrase, mes parures étant redevenue propres, mon faciès s’orne d’une expression enjouée, alors que je le vois presque se décomposer de terreur à l’idée qu’on puisse loger une nuit de plus dans cet endroit… Ma voix se fait rieuse lorsque la réponse sort de mes lèvres sans que j’aie à y réfléchir…
« Y vivre ? ça je ne sais pas… Mais y dormir, je pense que Pulinn n’y verra pas d’inconvénient ! Surtout si c’est pour nous… »(Surtout si c’est pour toi tu veux dire…)(Pchut !)Sans tenir compte de la remarque mentale de Lysis, toujours plus piquante et acérée de jour en jour, je poursuis, guilleret…
« Et pour tes affaires, je crois qu’elles seront tout simplement bien plus en sécurité ici que dans l’auberge, et au moins, tu n’as pas à payer une chambre pour rien, même si désormais nous en avons les moyens… »Je ne suis pas encore habitué à posséder une telle somme. Le statut de nouveau riche semble si étrange quand on sait que je ne suis qu’un aventurier errant, pas même complètement loyal à la milice de Tulorim, et encore moins à l’association de mon frère d’arme, Daïo. Je suis ainsi, voyageur, instable. J’ai besoin de changement, de variété dans ma vie. Il y a tant de choses à faire et à voir, de personnes à rencontrer, de secrets à découvrir. Pourquoi se cantonner dans une unique voie d’accès qui limite fortement tous ces champs d’action ? Ici, au Temple des Plaisirs, avec le rôle que j’ai accepté de jouer, je sais qu’il en sera différent. Car je ne devrai pas me cantonner à faire une seule chose, mais bien essayer d’en faire le plus possible, dans un gigantesque éventail de choix, de propositions. Et puis même si cet endroit et ce qu’il m’apporte me plait, je n’ai pas vraiment le choix… Je regarde Lillith pour terminer ma réponse.
« Je suis persuadé que Pulinn trouvera un endroit sûr pour que tu puisses ranger tes biens. Je lui demanderai quand j’irai la voir… »Le petit déjeuner étant fini, je me lève, rassasié, et je m’étire un peu. Même si la Gardienne du Temple m’attend déjà très certainement, je n’ai pas le culot d’abandonner là mon amant. Je n’en ai pas l’envie, surtout… Aussi, je décide de l’accompagner jusqu’aux grandes portes. J’attends qu’il se soit également levé pour lui saisir doucement la main et l’emmener jusque là-bas, silencieux et souriant sur ce trop court trajet… Une fois sur le perron de l’immense porte d’entrée, je me tourne vers lui et saisit sa seconde main…
« Ça fait bizarre de retrouver une vie citadine avec des tas de choses à faire, des obligations, des contraintes… J’en viendrais presque à regretter nos longues marches libres sur les plaines et forêts de Verloa… Enfin… Je ne regrette pas d’être rentré, tout de même. Les Orques et tous les autres monstres que recelaient ces îles maudites n’étaient pas très accueillants… »Encore un peu, et je passerais presque pour un vieux radoteur se plaignant du temps qui passe et des moments de la vie qu’il faut cueillir à chaque instant de peur de ne plus en avoir assez pour en profiter… Sans plus mot dire, je m’avance vers lui et le serre dans mes bras, un peu nostalgique de tout ce qu’on a vécu là-bas… Dans un murmure au creux de l’oreille, je lui souffle :
« Et puis… C’est là qu’on s’est rencontré, toi et moi… »Lillith a écrit:
Visiblement, ma pensée surprenante semble être la bonne. Le temple sera notre nouvelle maison. N'ayant jamais eu vraiment de chez moi depuis mon départ de chez mes parents, cela me fait bizarre d'avoir un logement autre qu'une chambre d'auberge pour une nuit ou une tente dans les landes.
Puis il me précise que mes nouvelles richesses seraient en sécurité au temple.
"Tu as raison, ce temple doit être plus sûr qu'un coffre-fort."
(Et Pulinn est bien plus agréable que le vieux grippe-sou du dépôt royal !)
Cromax se relève, le repas terminé, puis s'étire tel un chat. Je l'imite, le sommeil étant encore proche, puis me lève à mon tour. Mon amour me prend la main pour me raccompagner à la porte, meublant le silence d'une discussion sur notre nouvelle situation. Arrivé à l'entrée du temple, il me prend les deux mains et continue sur sa lancée, plus romantique que jamais.
"Ouais, il y avait du bon dans cet endroit maudit des dieux..."
Je l'embrasse lascivement, repensant aux débuts de notre relation. Finalement, c'est peut-être pour ça que Cristal m'avait ramené là-bas. Pour y vivre ce que j'avais encore à faire dans ces contrées reculées, auprès de l'elfe gris le plus beau au monde.
Dans un dernier câlin avant de partir dans les rues, une pensée me vient en mêlant mon rêve à des paroles de Pulinn. Je m'écarte un peu de mon aimé et tire sur ma chemise pour dénuder mon épaule gauche.
"Dis, qu'est-ce que tu penserais d'un tatouage ici, pour recouvrir Sa marque... Après tout, nous l'avons vaincu, et comme l'a dit Pulinn, 'Moi j’y vois une victoire, pour chacune d’elle. Une victoire contre la mort à laquelle tu as échappé.' "
Je lance à son égard un sourire malicieux, pour faire surgir la complicité qui nous a sauvé la vie en enfer.
Mon doux amant acquiesce mes dires sur l’enfer paradisiaque de Verloa, terre maudite où nous avons vécu mille aventures exceptionnelles et inoubliables, si rudes et dures fussent-elles. Son ton est tout aussi doux, susurré entre ses lèvres qui ne sont autre à cet instant qu’un appel au baiser. Baiser qui vient d’ailleurs directement, puisque Lillith, pris d’une visible envie de rapprochement, pose ses lèvres sucrée sur ma bouche rendue légèrement acide par le jus d’orange pressée que je viens d’avaler. Ce baiser a comme un goût de nostalgie, de lointain souvenir de nos premières embrassades, nos premiers rapprochements, sur l’Île Maudite…
Mais alors que notre trop courte étreinte se relâche déjà, mon glaçon s’écarte un peu, tirant sur le col de sa chemise de lin pour découvrir le tatouage, la marque sombre, que je lui ai repéré cette nuit. Le signe de Phaïtos, sa signature sur nos corps… La même qui orne nos peaux à tous, nous, aventuriers de Verloa… Il me demande ce que je penserais de la remplacer par un autre tatouage. Visiblement, je ne suis pas le seul à vouloir me tatouer, mais jamais je n’effacerai cette marque du Dieu Noir sur mon corps. Elle doit rester vive sur ma peau pour que jamais ma mémoire ne me fasse défaut. Mon passage aux Enfers, je ne veux pas le nier, même si l’arborer trop ostensiblement n’est peut-être pas bon…
« Justement, c’est une victoire contre Phaïtos, contre la Mort et les Enfers. Et c’est le témoin de cette victoire. Mais c’est évident que le montrer n’est pas une bonne solution et ‘est sans doute pas le meilleur moyen de bien se faire voir des autres Dieux. Pour moi, ça n’importe que peu… mais pour toi qui as Yuia en ton cœur et en ton âme, ça vaudrait peut-être mieux, oui… »Je pose un instant ma main sur cette cicatrice noirâtre, caressant sa peau duveteuse autour de la plaie refermée.
« Allez, je n’ai que trop fait attendre la Gardienne des lieux. Si je veux lui soutirer quelques privilèges, je me dois d’être respectueux et poli avec, et un retard ne saurait qu’être mal vu ! Reviens-moi vite mon bel amant… »Puis, je lui fais un petit baiser sur le bout de son nez et je fais volte face pour retourner dans le temple…