Traffic au campement du désert, et retour à Exech.
En avançant, les traits des personnes qui nous observent se précisent. Ils sont comme dans la légende que Réanick m’a racontée à propos des gens du désert, les nomades. Ils sont de grande stature. Leur peau est noire et leurs cheveux couleur charbon. Un grand nomade torse nu et au crâne entièrement rasé s’avance devant le campement pour venir à notre rencontre. Il porte à la main une grande lance en bois surmontée d’une pointe faite avec un métal doré. Arrivé à notre hauteur, il s’arrête et nous l’imitons.
« Etrangers, je vous félicite pour avoir trouvé notre campement…Mais maintenant que vous en savez la position, vous ne partirez pas d’ici vivant ! »Il avait utilisé une voix calme et posée. Comme s’il était logique que nous allions mourir ici… Réanick sourit malgré cet accueil peu chaleureux.
« Je suis Réanick Al Etamera…Je suis attendu par votre chef…Va le prévenir de notre arrivée, c’est lui qui m’a signalé la position de votre campement… »L’homme à la peau noire semble hésiter, puis se retourne et fais quelques pas en direction du campement. Nous commençons à le suivre, mais il se retourne et lève une main.
« Attendez-moi là… »Il s’en retourne donc tout seul vers une grande tente au milieu du camp, à proximité de l’oasis. Une minute plus tard, à peine, il ressors et se dirige vers nous. Il a directement l’air beaucoup moins belliqueux et sourit largement, nous dévoilant une rangée de dents blanches qui contrastent avec la couleur foncée de sa peau.
« Le chef m’a dit que vous étiez bien ceux qu’il attendait. Vous pouvez entrer dans le camp…Je vous prête ma tente pour cette nuit, allez-y et désaltérez-vous. Le chef recevra le seigneur Al Etamera dans sa tente… »Réanick acquiesce de la tête et nous nous dirigeons vers le campement. Arrivés à hauteur des premières tentes, des femmes et des enfants aux regards sombres et à la peau mate nous regardent curieusement par l’entrée de leur tente.
(Ils ne doivent pas souvent voir des elfes gris par ici…)Nous posons pied à terre et attachons nos montures à un solide piquet de bois planté dans le sol près de la tente où on nous a invité. Nous y entrons.
L’atmosphère y est tellement différente de l’extérieur que nous nous croyons entrés dans un autre monde. L’ombre de la tente rafraîchit l’air trop sec du désert et la luminosité intense du soleil est parée par les lourds tissus qui composent les murs et le toit.
Des coussins sont éparpillés sur le sol et nous nous installons dessus, profitant du confort qui nous est offert.
(Ces hommes du désert, bien qu’un peu rustres au premier abord, ont apparemment un grand sens de l’hospitalité…)Deux jeunes demoiselles confirment mes dires en nous apportant dans la tente des plateaux de fruits frais, certainement très rares dans un endroit aussi sec.
Nous savourons à quatre le moment de grâce qui nous est offert, et qui est bientôt troublé par la venue de l’homme qui nous a accueillis dans sa tente.
« Sieur Réanick, le chef vous attend dans sa tente… » « Bien j’arrive, vous pouvez disposer… »L’homme noir obtempère et s’en va.
(J’ai rêvé ou il lui a parlé comme à un serviteur ? C’est quand même l’homme qui nous a prêté son abri…) « Mes amis, ne m’attendez pas pour dormir, le soir tombe et je ne serai pas de retour très vite… »Les deux guerriers de son escorte font un grand sourire et se vautrent encore plus sur les coussins.
« Réanick, me permettrez-vous de vous accompagner chez le chef ? Je dois assurer votre protection maintenant que je suis à votre service… » « Ne vous inquiétez pas comme ça…Vous êtes trop prudent…Le chef est un ami, je ne risque rien en sa compagnie… » « Permettez-moi au moins de vous escorter jusqu’à sa tente... » « Vous êtes têtu n’est-ce pas…Bon, c’est d’accord, si vous le désirez tant, vous m’accompagnerez jusqu’à sa tente… »Je souris et me lève aussi, réajustant mon équipement. Nous sortons de la tente. Dehors, il fait sombre et le soleil est déjà couché. Nous avons passé plus de temps que je ne l’aurais cru dans la tente à nous gaver de fruits… Etrangement l’air est beaucoup plus frais que pendant la journée.
(Décidément, je ne me ferai jamais aux conditions climatiques du désert…)Je suis Réanick jusqu’à la grande yourte que nous avions aperçue tout à l’heure en arrivant dans le campement. Deux gardes bien armés surveillent l’entrée de celle-ci. Il regardent Réanick, puis leurs yeux roulent vers moi.
« Vous pouvez entrer, l’elfe reste dehors… »Réanick me regarde avec un grand sourire…
« Voilà, vous l’avez eue votre promenade…Vous pouvez rentrer à la tente maintenant… »Il entre dans la tente et les deux gardes se replacent dans leur position. Je fais demi tour et disparaît de leur vue derrière une tente.
(Je dois savoir ce qu’ils se disent dans cette tente…)Je fais un petit détour, évitant les regards, et je me retrouve à l’arrière de l’habitation en toile du meneur des nomades. Je colle mon oreille contre la paroi en tissu. J’entends deux voix discuter. Je ne comprends pas toute la conversation, mais les bribes qui me sont parvenues aux oreilles m’ont appris des choses.
Je sais maintenant que les rumeurs de la milice concernant Réanick sont vraies. Il achète à ces nomades des épées forgées avec du sable, et apparemment de piètre qualité, en faisant croire qu’elles proviennent du désert de l’Est et qu’elles ont été forgées par la forge ambulante de la famille Kel Attamara, dont j’ai bien connu un membre lors d’une de mes missions…
(J’en sais assez maintenant…Je dois partir d’ici sans qu’ils se doutent que je les ai espionnés…)Je retourne discrètement jusqu’à la tente, où les deux balourds ronflent comme des porcs. Le bruit de leur respiration me rappelle le bruit du Cynore que j’avais pris pour aller jusqu’à Yarthiss, mais en plus fort et en plus désagréable…
Je m’étale sur les coussins et fait semblant de dormir quand Réanick revient de sa réunion. En entrouvrant les yeux, je le vois ôter son habit bleu et se coucher, lui aussi sur les coussins moelleux. Je finis par m’endormir, malgré les ronflements intempestifs de mes deux voisins de lit.
(J’aurais mieux fait de les tuer quand j’en avais l’occasion ces deux là…)***
Le lendemain, nous nous réveillons presque simultanément tous les quatre quand nous entendons une sorte de hennissement à l’extérieur de la tente. Je me demande un instant où je suis, et je me rends compte que pendant la nuit, Alfon ne s’est pas gêné pour me prendre dans ses bras, sans doute sans le faire exprès. J’ai un mouvement de recul quand je vois sa grosse tête baveuse à quelques centimètres de la mienne. Mon mouvement le réveille et il sursaute aussi en me voyant, me libérant de ses gros bras puants avec un grommellement d’excuse à peine audible. Je me lève en même temps que Réanick pour voir ce qui nous a réveillé. Dehaors, le soleil est déjà levé et la chaleur commence à se faire sentir. Le hennissement qui nous a réveillé est celui d’un cheval chargé comme un baudet de lourds sacs en cuir.
(Ce sont sans doutes les lames frauduleuses…)Réanick sourit et donne des coups de pieds dans les deux guerriers qui essayent de se rendormir.
« Debout les gars, réveillez-vous, il va falloir en mettre un coup ! »Il avait presque chanté d’une voix forte et énergique.
(Ces humains sont vraiment des personnes étranges…)Les deux abrutis se lèvent et mettent leur équipement.
« Nous repartons aujourd’hui. Le marché est déjà conclu… »Il sort de la tente pour nous attendre à l’extérieur. Je me penche vers Alfon.
« De quel marché parle-t-il ? »Il me regarde avec un air hébété.
« On ne sait pas…Ce sont ses affaires…Nous tout ce qu’il nous demande c’est de le protéger…Et nous tout ce que nous demandons c’est d’être bien payés…Le reste pfffuit »Il fait un geste de la main par-dessus son épaule pour montrer qu’il se contrefiche de savoir ce que contiennent ces sacs en cuir.
Nous sortons de la tente et montons sur nos chevaux. Nous partons du campement alors que l’aube finit de se lever.
Nous voyageons toute la journée, refaisant en sens inverse le chemin que nous avions parcouru la veille, mais cette fois, accompagné du cheval chargé des armes.
Sur le trajet, je m’adresse à Réanick.
« Dites-moi, sieur Al Etamera, que contiennent ces sacs ? »Il me regarde avec un grand sourire.
« Têtu et curieux…Vous me plaisez vous savez…Bon…Je sais que vous êtes trop entêté pour que je vous le cache longtemps…Ce sont des armes que nous allons vendre à Tulorim. » « Des armes ? Les nomades sont de bons forgerons ? » « Non, ils n’ont qu’un piètre savoir en la matière, mais ça, nos acheteurs ne le savent pas… »(Il confirme ce que j’ai entendu hier…)J’acquiesce de la tête en souriant et nous poursuivons notre chemin vers Exech, où nous arrivons à la tombée de la nuit. Nous allons jusqu’à l’auberge pour dormir.