L'Univers de Yuimen déménage !


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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:01 
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Deuxième jour de voyage : le marchand et la forêt :


Profondément endormi après trois bonnes heures de sommeil, je ne suspecte rien de ce qui est en passe de se dérouler en moi. Mais bien vite, je n’ai plus d’autre choix que de m’en apercevoir. Une vive douleur pectorale m’arrache à mes rêves, et je m’assieds sur le sol constituant ma couche pour porter ma main sur ma poitrine. Hélas mes doigts ne croisent que ma légère cotte de mythril, ne devinant à travers qu’une inhabituelle bosse, un peu à gauche du sternum. Mais la douleur qui s’empare de moi à cet instant est lancinante, et en un éclair, elle me transperce une nouvelle fois comme une lame acérée me traverserait de part en part, animant tous mes nerfs de spasmes électriques. Hâtivement, je m’empresse d’ôter cette cotte protectrice pour la déposer à côté de moi sur le sol dans un geste rapide. Sous mes yeux, une tache sombre s’agrandit sur ma chemise de lin, petit à petit, et à hauteur du thorax.

Par réflexe, je pose ma main dessus avant de regarder mes doigts, eux aussi marqué de sombre. L’odeur ne laisse aucun doute, c’est de sang qu’il s’agit. Et pas n’importe quel sang, le mien ! Paniqué, je cherche autour de moi, à tâtons, ce qui peut faire l’objet d’un tel saignement, l’esprit encore anesthésié par le sommeil brutalement interrompu. En vain bien sûr, puisque rien à part une herbe grasse et moelleuse se m’entoure. Et Sidë quant à elle semble toujours dormir, respirant calmement, immobile, à quelques pas de mois. Je regarde à nouveau aux alentours pour éventuellement percevoir un indice dans l’obscurité de la nuit noire, mais une nouvelle montée de souffrance me submerge, plus forte que les précédentes, plus longue aussi, coupant ma respiration et contractant mes muscles, me tétanisant pendant quelques secondes.

Lorsqu’elle se fait moins oppressante, je n’en puis plus, et avec rage et peur, j’arrache littéralement ma chemise de mon corps, la transformant en haillons informes vivement projetés sur le sol. Mais ce n’est pas pour autant que le mal disparait, toujours vif et aigu. Et c’est alors que mes yeux tombent sur la cause oubliée de cette torture. La broche en forme de rose que Pulinn m’a littéralement plantée dans la peau, à travers mes chairs, sans me demander mon avis. C’est de sa base que tout mon tourment provient, et s’élance à l’intérieur de mon corps comme si le bijou en forme de fleur plantait ses profondes racines à travers mon être, lentement et insidieusement, perforant mes muscles. C’est comme si l’objet était animé d’une vie propre, invisible à l’extérieur, mais active et cruelle à l’intérieur.

Ne supportant plus la douleur, alors que je sens poindre un nouveau lancement, je pose mes mains sur la broche pour l’arracher, mais à peine ai-je tiré dessus que le calvaire triple d’intensité, m’arrachant un cri et m’obligeant à relâcher tout de suite mon effort. Il m’est impossible de l’ôter, sous peine de m’arracher la poitrine à mains nues. Terrifié, je ne remarque même pas l’elfe bleue qui s’est réveillée en sursaut à cause de mon hurlement. Je suis là, haletant, impuissant, alors que quelques gouttes de mon sang coulent en de fines rigoles le long de mon ventre musclé et dénudé. Sidë s’approche dans l’obscurité, surprise par tant de tapage nocturne.

« Cromax ? Que se passe-t-il ? Vous êtes blessé ? »

Il est évident que malgré les ténèbres de la nuit, son regard elfique n’ait pu échapper au sang qui coulait de mon torse nu. Cependant, je lui tourne le dos, désireux de lui cacher cette faiblesse, et ne sachant si je suis autorisé à dévoiler ce signe à des inconnus…

« Tout va bien… un cauchemar sans doute. Ça passera… »

Sans un mot, je l’entends retourner à sa place et se recoucher alors que je plisse les yeux de douleur car une nouvelle vague m’envahit. J’attends un instant sans bouger, de peur qu’elle ne m’observe, puis je me mets à récupérer ma chemise déchirée pour m’en vêtir sommairement, replaçant par-dessus ma cote de maille et récupérant ma cape comme couverture.

Le reste de la nuit passe lentement, très lentement. Le tiraillement est constant, avec des vagues plus puissances à certains moments, durant lesquels je m’efforce de ne faire aucun bruit, crispant mes muscles, fermant mon visage, poussant quelques soupirs plaintifs. Quelques fois, je ne peux retenir quelques larmes de souffrance glisser contre mes joues. J’attends…

Et mon attente se termine enfin, alors que les premières lueurs d’une aube libératrice se dévoilent sur l’horizon lointain, par delà les cultures et la route que nous avons empruntée la veille pour venir jusqu’ici. Lentement, la lumière répand sa vie et éveille le monde, apportant clarté et chaleur là où tout n’était que noirceur glacée. Le monde de la nuit laisse petit à petit sa place au jour, et je me redresse sur l’herbe, délaissant un instant ma cape sur mon côté pour poser mon regard sur l’elfe qui dort paisiblement. Contrairement à la veille au soir, elle n’est plus dos à moi, et me fait face dans son sommeil, ses paupières remuant légèrement sous ses rêves mystérieux et inconnus. Sa bouche entr’ouverte exhale une respiration constante sereine.

Je décide de me revêtir avant qu’elle n’ouvre les yeux, pour ne pas qu’elle remarque mes lambeaux de chemise ensanglantés ou la broche fixée dans mon poitrail. Ça relève du miracle que mon habit tienne toujours en une pièce, mais j’arrive à le revêtir plus ou moins normalement, même si la boutonnière est complètement arrachée, et qu’il ne ferme donc plus. Par-dessus, j’enfile ma cotte de mythril avant de recouvrir celle-ci de ma cape neuve en mode discret. C’est quand je suis totalement prêt et que je termine d’accrocher à ma taille la ceinture garnie de toutes mes armes qu’elle se décide enfin à rejoindre notre monde en ouvrant les paupières, qui dans un premier temps clignent un peu, éblouies par la lumière, avant de dévoiler les deux yeux sombres qu’elles renferment.

« Bonjour… Bien dormi ? »

« On peut dire ça comme ça oui… Vos cauchemars vous sont passés ? »

Elle me dit ça d’un air tellement narquois que je préfère négliger de répondre. Je ne fais qu’un signe de la tête. Je sais pertinemment qu’elle a vu ma plaie, mais je n’ai aucune envie d’aborder le sujet avec elle. Je dévie donc le sujet après un instant de silence.

« Une longue journée nous attend aujourd’hui. Hâtons-nous de manger avant de prendre la route. »

Cette fois, c’est à son tour à ne pas répondre, comprenant sans doute mon refus de lui parler des événements de cette nuit. Par chance, la douleur s’est lentement estompée, et je ne ressens désormais plus qu’un tiraillement dérangeant sur ma peau, sans qu’il soit douloureux. J’ouvre alors mon sac pour en sortir un petit pain de voyage dont j’engouffre une bouchée un peu sèche avant de m’apercevoir que Sidë vient de sortir de son sac un petit pain identique, mais également un pot rempli d’un miel doré et appétissant. M’arrêtant de mâcher, je ne peux que reluquer avec envie ce petit bonheur sucré. Hélas, l’elfe bleue semble s’en apercevoir bien vite.

« Si vous en vouliez, vous n’aviez qu’à le prévoir… Ce sont là mes provisions de voyage. »

Renfrogné, je poursuis alors mon piètre petit déjeuner alors qu’elle savoure son pain recouvert de nectar mielleux. Une fois fini, nous rassemblons toutes nos affaires avant de nous mettre en route, vérifiant une dernière fois que nous n’avons rien oublié sur place. De là où nous sommes, la route est aisément rejointe, et nous l’empruntons donc d’un pas de marche cadencé et rythmé pour l’endurance plus que pour la vitesse. Une heure passe sans que les paysages ne changent fondamentalement, puisque nous sommes toujours dans des cultures diverses de céréales. À un moment, nous repérons un attelage devant nous qui emprunte la même route, dans le même sens. Un marchand, sans doute. Nous allons à une vitesse bien plus importante que ses deux bœufs et son lourd chariot à quatre roues de bois et de métal, et bientôt nous le rattrapons pour le dépasser. Lorsqu’il nous voit, l’homme – puisqu’il s’agit d’un homme – soulève son chapeau de paille et nous gratifie d’un sourire enjoué.

« Bien le bonjour, voyageurs ! N’est-ce pas une belle journée pour tracer de la route ? »

Poli et motivé par sa visible bonne humeur qui me change un peu du mutisme presque exaspérant de ma compagne de route, je regarde le ciel bleu et ensoleillé avant de lui répondre.

« Bonjour ! Oui le temps est idéal, on dirait. »

« Le voyage se passera plus vite comme ça ! J’espère arriver à l’orée de la forêt pour midi, ça m’arrangerait. C’est tellement plus agréable de déjeuner à l’ombre des arbres… Mais dites-moi, où vous rendez-vous comme ça ? »

« Nous allons à Oranan, je ne pense pas que ce chemin mène ailleurs… »

« Oh bah vous savez, tous les chemins mènent partout hein. Et avec les drôles d’oiseaux qu’on rencontre parfois sur les routes, on n’est jamais trop sûr… Oranan vous dites ? Moi aussi j’y vais, mais j’y serai bien après vous, vu au rythme où vous marchez ! »

Je souris à cet aimable marchand plutôt bavard, ralentissant un peu le pas pour ne pas le dépasser, ce qui arrache un soupir à Sidë.

« Sans doute qu’on y sera avant oui. »

« C’est même une certitude ! Avec tous les détours que je devrai faire dans la montagne pour faire passer ma charrette, vous serez déjà repartis quand j’arriverai seulement ! Haha ! Dites-moi, à ce propos, vous ne voudriez pas me rendre un petit service ? »

(Nous y voilà…)

(Mauvaise langue !)

« Ça dépend de quoi il s’agit, mais dites toujours… »

« Hé bien en fait un jeune homme à Kendra Kâr m’a confié une lettre à transmettre à son père à Oranan, et je me disais que peut-être vous pourriez la lui apporter, puisque vous allez plus vite… Les nouvelles sont toujours meilleures quand elles sont fraiches, n’est-ce pas ? »

(Bah tu vois, c’est presque rien.)

« Ça ne me pose aucun soucis, je veux bien. Mais dites-moi, où donc dois-je l’apporter ? »

Il trifouille quelques instants dans ses affaires avant de sortir une enveloppe d’un air vainqueur, puis de me la tendre.

« À un homme dénommé Onmal Archevent. Je ne sais pas vous dire exactement où il habite parce que les explications de son fils étaient assez confuses. Mais vous devriez facilement trouver sa maison en parlant à Nataku Arashimasi, qui tient une boutique dans la ville. »

(Archevent ? Mais… C’était pas le nom de Léonid ça ?)

(Si.)

(Et ça serait pas son père, Onmal ?)

(Si.)

(Et ça serait pas lui qui…)

(Si, c’est lui qui a écrit la lettre.)

(Déliiiire !)

« Cher monsieur, connaissant le rédacteur de cette lettre, ça sera avec un grand plaisir que je l’apporterai à son père ! »

Visiblement surpris, le marchand parait encore plus soulagé de me remettre le pli en question.

« Et bien… merci beaucoup alors ! Bonne route à vous ! »

« Pareillement ! »

Et dans un signe cordial, nous reprenons notre vitesse de croisière, laissant derrière nous ce sympathique marchand et sa cargaison. Je range dans mon sac la précieuse lettre pour le père de Léonid alors que Sidë m'octroie un nouveau regard surpris, visiblement une nouvelle fois étonnée de ma popularité et de mes nombreuses relations.

Assez rapidement dans la journée, nous atteignons l’orée de la forêt dont le marchand nous avait parlé. C’est une forêt dense et feuillue, mais la route qui sembla tailler une vaine en son cœur et bien délimitée, bien que les feuilles mortes recouvrent les pavés usés et anciens, mêlé de touffes végétales, mauvaises herbes sauvages et fleurs des bois qui captent tant bien que mal la lumière dédaigneusement laissée par leurs géants voisins au tronc élevé et aux branches ramifiées portant mille feuilles larges et plates ou petites et courbes, dentelées ou taillées, lisses ou duveteuses, toutes d’un vert éclatant sous les rayons solaires alors que les rais de lumières donnent au chemin forestier une allure de rêve, mélange d’ombre et de lumière, de terrestre et de divin.

Nous avançons aisément dans la première partie de cette forêt. Régulièrement, nous faisons quelques pauses muettes pour nous détendre les jambes un moment ou boire un peu, voire manger un bout, sur le temps de midi. C’est d’ailleurs là que je termine le petit pain entamé ce matin, et que je n’ai pu terminer. Cette fois, je l’accompagne d’une tranche de jambon que je prélève à la lame sur le cuissard fumé que j’ai acheté avant notre départ. Quelques regards s’échangent lors de ce repas avec Sidë, et bien qu’ils soient moins tendus que la veille, rendus plus dociles par les quelques banalités dites en route durant la matinée, ils ne sont toujours pas emprunt d’une sympathie digne d’un réel compagnonnage comme j’en ai vécu sur Verloa.

L’elfe bleue est différente des personnes qui m’accompagnaient. Moins sociable, sans doute, ou plus réservée, comme si elle déplorait le fait d’avoir été choisie pour m’accompagner durant ce voyage. J’ignore jusqu’à présent d’où lui vient cette aversion visible pour moi qui, après tout, ne lui ai rien fait de mal.

L’après-midi se passe sans événement notoire, mis à part le croisement de quelques animaux forestiers, écureuils taquins, passereaux furtifs et guillerets, lapins intrépides et rapides, et même un blaireau curieux qui sans doute se demandait qui donc pouvait ainsi passer par le centre de sa forêt… J’ai même l’occasion de voir une jeune biche de loin, dont les civets auraient été tendres et fondants contre mon palais, mais je n’ai le cœur à la tuer, la laissant filer dès la perception de notre arrivée.

En fin de journée, alors que la forêt se fait de plus en plus vallonnée et que la lumière décroit rapidement, de moins en moins transmise par les larges feuillages, nous entendons le doux bruissement d’un ruisseau ou d’une rivière. Sidë, comme naturellement attirée par son élément, m’enjoint de la suivre pour qu’on monte là notre campement de la nuit. C’est donc à quelques toises de ce cours d’eau pas très larges que nous nous installons, nous refusant de faire un feu dans des bois, surtout vu lu nombre de fourré autours, mais décidant de créer un système de tours de garde. Ainsi donc, je me propose pour garder nos vies sauves la première moitié de la nuit, et nous mangeons rapidement avant de se rafraichir grâce à l’eau de la rivière.

Mon tour de garde nocturne est calme, et mis à part le hululement constant d’une chouette dont l’abri arboricole est certainement tout proche, je ne détecte aucune source de danger, et lorsque le sommeil commence à me gagner, j’éveille Sidë avec douceur et elle prend sans un mit son tour de garde, alors que je lui assure que rien n’est à déplorer. M’allongeant dessous ma cape, je laisse rapidement l’endormissement me submerger, et je sombre petit à petit dans le monde ténébreux des rêves, espérant ne plus ressentir les douleurs pectorales atroces de la veille…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:06 
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Troisième jour de voyage : Rivière céleste et parcours montagnards :


Perdu dans mes songes, je ne pense à rien, envahi de sommeil et inconscient de ce qui se passe autour de moi. Mais la bête sauvage, furtive et vicieuse, elle, m’a vu. Portée par sa curiosité et sa faim intarissable, elle s’approche doucement, comme pour ne pas me tirer de mon repos. Une patte après l’autre, elle se dresse maintenant de toute sa hauteur à côté de moi, dévoilant ses longues dents et ses griffes acérées. Elle ouvre grand sa gueule, comme pour lâcher un soupir rauque, mais laissant mon ouïe insensible. Alors, poussée par plus de curiosité et d’avidité, elle pose ses pattes sur moi et ses griffes pointues entrent en contact avec ma peau argentée de tout son poids.

Me réveillant en sursaut, sentant les pointes contre moi, je serre la main plus par réflexe qu’autre chose, et aussitôt je dois retenir un cri. Mes doigts viennent de se refermer contre une minuscule musaraigne mignonne mais un peu trop aventureuse qui voulait voir ce qu’était ce gros tas endormi là. Elle couine entre mes doigts, tentant de se défaire de mon étreinte digitale en se remuant tant bien que mal sur ma paume. Je suis rassuré de n’avoir mis plus de force dans ce réflexe de fermeture, sinon il ne fait aucun doute que le petit rongeur serait broyé.

Lâchant un sourire, j’ouvre ma main alors que la musaraigne file à toute vitesse se réfugier dans les fourrés, heureuse de n’avoir pas succombé à l’éveil brutal de l’immense créature qu’elle tentait d’observer. Une fois celle-ci disparue, je peux constater que l’aube est à peine là, et que le soleil n’a pas totalement terminé de se lever, colorant les cieux de couleurs claires et tendres, allant d’un bleu-mauve à un orange pastel qui me remplit d’une humeur bucolique et admirative. Je me relève alors doucement, m’étirant de manière féline pour réveiller mes membres ankylosés par la nuit, tout en me frottant la nuque sous mes cheveux sombres.

Et c’est à ce moment que je m’aperçois de l’absence de Sidë. Ses affaires sont toujours là, aussi bien son sac que sa cape, mais elle semble avoir disparu. Soudainement pris d’inquiétude pour elle, je regarde aux alentours pour voir si je ne l’aperçois, pas, me relevant de toute ma hauteur et me juchant sur la pointe de mes pieds. En vain, puisque rien ne s’offre à ma vue mis à part la forêt matinale et légèrement brumeuse aux feuilles encore gorgées de rosée.

Mais alors mon ouïe fine perçoit dans l’air quelques clapotis qui n’ont rien de naturel dans l’écoulement constant du cours d’eau tout proche auquel j’ai fini par m’habituer. Serait-ce Sidë qui prend un bain de bon matin, où une bête féroce qui tente de pécher quelques poissons frétillants et gouteux. Décidant de rester prudent, je me recouvre de ma cape discrète et comble à pas de loup la distance qui me sépare des quelques fourrés et roseaux qui me séparent du cours d’eau. M’agenouillant sur l’herbe forestière, caché dans un buisson dru de feuilles, j’écarte une dernière branche pour offrir à ma vue les rives de la rivière sinueuse qui à cet endroit formait un large méandre, créant ainsi un bassin naturel aux eaux plus calmes et presque immobiles.

Elle est couchée sur la berge, sa main droite reposant sur l’herbe. Les yeux fermés, parfaitement nue, elle fait de sa main gauche glisser de minces filets d’eau qui mouillent sa peau fine et bleutée. Ses jambes sont plongées à moitié dans le ruisseau, et elle ne semble faire qu’un avec l’ondée. L’eau fait briller les courbes graciles de son corps d’un éclat argenté, précieux. Elle est d’une grande minceur, mais sans maigreur aucune. Ses cuisses, ses bras semblent interminables en cet instant, comme si l’eau lui conférait une majesté jusqu’ici méconnue. Entre ses seins aux aréoles d’un bleu sombre, l’eau forme une rigole qui coule le long de son ventre jusqu’au renflement lisse de son sexe. Elle paraît endormie, si ce n’est le balancement de son pied effleurant l’eau du bassin.

Une odeur particulière et agréable éveilla alors mon odorat endormi. La senteur d’une fleur, d’une rose pour être plus exacte, émane de mon corps en un parfum subtil et doux, tellement agréable, mais totalement inexplicable. La vision enchanteresse de la peau nue de l’elfe bleue m’emplit malgré moi de désir, d’une envie sous-jacente que je ne peux contenir, même si mes actes sont maîtrisés. Mais un mouvement soudain attire à nouveau mon attention vers elle.

Lentement, elle se laisse glisser dans l’ondée, s’y redressant en ayant pied sur le fond du méandre. Ça ne semble pas très profond, puisque son buste est totalement hors de l’eau jusqu’à la hauteur de son nombril. Elle jette la tête en arrière afin de secouer de ses mains sa courte chevelure rousse d’un geste impudique qui fait saillir sa souple poitrine. L’odeur de mon désir se répand de plus en plus, et je ne dois qu’à sa baignade le fait qu’elle ne la sente pas. Car en effet, elle vient de plonger entièrement dans les flots, nageant souplement d’une brasse habile. De peur qu’elle ne me voie, je m’écarte alors de l’endroit, revenant sur notre campement provisoire pour l’attendre. Un gros quart d’heure plus tard, alors que j’ai commencé à déjeuner, elle fait son apparition toute équipée et brandissant son harpon à la main. Ses cheveux ne sont presque plus humides, même si on peut déceler qu’elle a récemment été dans l’eau. Je la regarde s’asseoir en face de moi d’un air un peu inquisiteur.

« Où étiez-vous donc ? Je me suis inquiété de ne pas vous voir à mon réveil… »

« J’ignorais que vous alliez vous lever si tôt. Vous les mâles êtes si paresseux. J’étais partie chasser, mais le gibier semble manquer, le matin, dans cette forêt ? »

(Chasser du gibier dans une rivière, voilà qui est original…)

« Détrompez-vous, à peine levé j’ai aperçu non loin d’ici une très jolie biche ! »

(Ben voyons… Vil flatteur masqué !)

Elle semble un peu se renfrogner avant de poursuivre :

« Et que ne l’avez-vous pas tuée ? »

« Nos moyen de subsistance sont en nette suffisance. Et je ne suis pas certain que la biche en question aurait apprécié que je l’attrape. »

Elle lève un sourcil, mais se sachant en faute, même si elle ne l’avoue pas, elle garde le silence et commence à manger son pain, qu’une fois de plus elle recouvre de miel, sous mon regard envieux.

Après le déjeuner, nous reprenons notre route dans la forêt, qui à mesure que nous avançons devient de plus en plus montagnarde. Les épineux ont pris la place des feuillus, et nous commençons à grimper sérieusement, le chemin se rapetissant et se faisant même parfois escarpé, tout en montée, signe que nous approchons des montagnes dont le marchand nous a parlé la veille.

En effet, alors que la mi-journée approche, la forêt se raréfie et laisse place à un sous-bois plus fluet et moins fourni. Bientôt, seuls quelques arbres nous entourent, alors que le paysage est devenu nettement plus caillouteux et montagneux, et tout comme le chemin qui, délaissé de ses pavés est devenu une sinueuse route de montagnes.

C’est donc à l’orée de la forêt que nous déjeunons ce jour, alors que le soleil est toujours présent, malgré la présence de quelques nuages pas très menaçant qui volent ça et là dans les cieux céruléens. Durant le repas, parmi des banalités de rigueur sur la météo ou la qualité du chemin, le temps que nous mettons pour marcher, il me prend de sourire pour m’adresser à Silë.

« Dites-moi, Silë. Voici deux jours entiers que nous voyageons ensemble, et une longue route est encore devant nous. Ne serait-ce pas plus agréable si nous nous tutoyions ? »

Elle me regarde en haussant les sourcils de surprise, interrompant la bouchée qu’elle allait engouffrer pour laisser quelques secondes un silence planer entre nous, alors que mon regard nerveux tente de découvrir ce qu’elle pense dans son regard sans y parvenir, ne percevant aucune marque de sentiment ou d’émotion particulière. Durant ce court moment, la tension monte d’un cran, comme si tout l’avenir de ma relation avec elle allait être déterminé à l’instant même. Si elle accepte, une amitié pourrait peut-être naître, avec le temps. Mais si elle refuse, alors toujours je devrai me cantonner à une relation professionnelle neutre et sans intérêt, ce qui me dérangerait plus qu’autre chose. Enfin, elle ouvre la bouche, et après une dernière hésitation silencieuse, se lance dans la réponse.

« Bien… Pourquoi pas, après tout… »

Le nouveau silence qui s’en suit est nettement moins dérangeant que le premier. Oui, elle a bien voulu, je ne passerai donc pas les jours qui viennent à tout le temps être maussade et triste, et ça me convient très bien, même si la gêne est maintenant présente, non pas par timidité, mais par nouveauté, par évolution.

Nous terminons le repas sans trop oser nous parler, nous jetant à peine des regards inédits mais non déterminés. Et après cette pause quotidienne du midi, nous reprenons notre ascension dans les monts qui s’offrent à nous.

Le paysage change du tout au tout avec la forêt, où certes il y avait quelques montées, mais qui faisaient plus penser à des grandes collines parsemées de quelques rochers. Ici, tout est de roche et de cailloux, et la route ne cesse de grimper, avec parfois des pentes à l’inclinaison forte et qui s’avèrent ardues à escalader. Toujours, nous gardons la plus grande prudence afin que nul incident fâcheux ne survienne contre notre volonté.

Au final, l’escalade nous a pris assez de temps, et toute notre attention était requise pour ne pas nous effondrer. Ce n’est que quand le soleil a totalement disparu de l’horizon que nous remarquons que la nuit est tombée. On se hâte alors de trouver un coin convenable pour passer notre repos, nous mettant d’accord sur les tours de garde. La montagne ne semblant pas être le point fort de Sidë, puisqu’elle semble complètement épuisée de cette marche, je me propose pour le premier tour, bien que je sois tout aussi fourbu par cette rude journée de montée incessante.

Cette fois, puisque nous ne sommes plus dans la forêt, nous décidons d’un commun accord de faire un feu pour éloigner les éventuelles bestioles des monts de Nirtim de notre campement nocturne, et nous rassemblons un peu de bois sec encore présent ça et là. Avec l’aide du pouvoir de Lysis, j’arrive à l’allumer facilement les bâtons pendant que l’elfe bleue s’installe déjà pour dormir. Avec un sourire, le visage éclairé par les flammes, je la regarde avec une tendresse nouvelle, un autre regard…

« Bonne nuit, demoiselle. Repose-toi bien. Demain une longue journée de marche nous attend encore. »

Pour la première fois, elle m’accorde elle aussi un sourire cordial avant de me répondre.

« Bonne nuit Cromax. Tu es bien certain que tu prends le premier tour de garde ? »

« Oui oui, dors tranquille, je veille. »

Elle ferme alors les paupières et je ne peux m’empêcher de la regarder jusqu’à ce qu’elle s’endorme, sa respiration devenant plus calme, plus lente et plus paisible. Alors, je me tourne vers le feu pour en admirer les volutes brulantes, jouant à faire des étincelles en remuant les cendres rouges avec un bâton.

Rien ne se passe, pas un bruit, pas un son, et pourtant une constante impression dérangeante d’être observé. Mais cette intuition ne semble pas se vérifier, puisque ma garde se déroule sans soucis. Je reste même un peu plus longtemps que prévu éveillé pour permettre à l’elfe bleue de se reposer un peu plus. Mais à partir d’un moment, je ne tiens plus et je sens mon attention faiblir à vue d’œil. Moi aussi j’ai besoin de sommeil. Alors je m’approche de Sidë pour lui prendre la main dans son sommeil afin de la réveiller. Elle sursaute un peu, mais finit par sourire en soupirant un peu. Elle n’a pas l’air bien éveillée, mais se redresse quand même en se tenant la tête et en se frottant les yeux.

« Ça va aller ? Bien dormi ? »

« Moui, à ton tour de dormir. Je vais surveiller le camp… »

Alors, je m’installe à mon tour sous le couvert de ma cape pour sombrer avec rapidité dans mon repos nocturne…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:09 
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Quatrième jour de voyage : le fou des montagnes et le torrent :


Il fait encore nuit, et la seule source de lumière à vue est notre petit et crépitant feu de camp. Tout est calme, tout est silencieux, à part le murmure du vent qui siffle entre les rochers escarpés et les quelques conifères présents. Je dors encore du sommeil du juste, harassé de la première partie du voyage. La marche en montagne est bien plus éprouvante que la randonnée sur une route pavée ou le déplacement en forêt. Je dors, et je ne me rends donc pas compte que je ne suis pas le seul, hélas. Sidë elle aussi, trop fatiguée par les événements, n’a pu tenir tout le long de sa garde, et sans même s’en apercevoir s’est rendormie à côté du feu, emmitouflée dans sa cape. Ainsi, aucun de nous deux n’a pu apercevoir l’ombre menaçante qui s’est approchée, discrète et biscornue, aux formes bigarrées et méconnaissables. Tapie dans l’obscurité, deux yeux brillant observent notre repos, et le feu qui se consume marque un point d’inquiétude dans ce regard curieux.

Une braise crépite alors un peu plus fort que les autres, envoyant de la cendre chaude sur les cailloux alentours. Mais visiblement, c’est l’étincelle qui fait déborder la vasque de feu. Le mystérieux personnage caché se lève d’un bond, agrippant à la main une partie de branche de sapin, et court jusqu’à notre âtre improvisé pour en battre violemment les flammèches chaleureuse dans le seul but de l’éteindre. À chaque coup, l’être se recule d’un bond farouche, comme s’il avait peur d’être touché par cette substance immatérielle et brulante qu’est le feu.

Le cri nous réveille tous les deux en sursaut, l’elfe bleue et moi. Et encore empli de sommeil, je m’empare aussitôt de mes deux armes que je dégaine sans préavis sans même avoir aperçu la source du danger. Mais alors que je me retourne vers l’inconnu à la branche près du feu, avant même de le voir, j’accuse un coup d’épaule puissant dans ma cage thoracique. Sidë semble elle aussi ne pas avoir remarqué l’homme près du feu, et dans l’obscurité s’est précipitée vers un endroit qu’elle croyait sûr. Manque de chance, je me trouvais sur son chemin, et nous tombons maintenant à la renverse suite à ce coup rude qui m’a coupé la respiration, me forçant à perdre mes deux lames sur le sol. Nous roulons sur nous même sur une courte distance avant de nous immobiliser, elle dans mes bras, et moi sous elle, légèrement écrasé par son poids, qui semble plutôt fluet et léger.

Mais l’elfe, se rendant compte de l’ambigüité de la situation, me jette un regard noir et se redresse sans pitié pour mon pauvre corps sur lequel elle n’hésite pas à s’appuyer de tout son poids pour retrouver une position verticale. À mon tour, je me relève, mais je n’ai plus mes armes en main, et je n’ai certainement pas le temps de commencer à les chercher. Le visiteur inopportun ne semble pas vouloir s’en prendre à nous, puisqu’il s’échine à éteindre notre feu de camp de tous les moyens possibles. Sa silhouette est disgracieuse, voûtée, courbée, osseuse et maigre. Des poils sales saillent de son crâne pour s’étaler en une masse grise et hirsute jusqu’au milieu de son dos. Une barbe plus foncée est semblablement décoiffée et protège une bouche grimaçante et pratiquement édentées, si ce n’est quelques vieux chicots noirâtres et pourris.

Son regard empli de folie ne nous accorde pas l’ombre d’un regard, et toute l’énergie de ses membres noueux va à l’extinction de notre feu. Il semble être un humain, ou tout du moins c’est là la race dont il se rapproche le plus, avec sa peau ridée et marquée par les années et la crasse infecte dans laquelle il semble vivre. Un spécimen à part, sans l’ombre d’un doute, comme en témoignent les loques sans forme ni couleur qui lui servent de vêtements, peaux pendantes couvrant à moitié son corps décharné.

Sidë se penche vers moi et me souffle :

« Ce vieux cinglé est trop occupé pour faire attention à nous, partons donc maintenant. »

Mais ce n’est pas mon intention. Ce vieillard sénile me fait pitié dans son acharnement, et je tourne la tête vers lui en faisant comprendre à l’elfe bleue qu’un départ précipité n’était pas dans mes intentions. Je m’en approche doucement, alors que Sidë semble vouloir rester à couvert, plus par prudence que par peur, plus par manque de folie que par méfiance réelle quand à cet être inconnu. Mes pas sont de velours, et lents, pour ne pas l’effrayer plus qu’il ne semble être, et ne voulant pas paraître menaçant, je lève les mains pour prouver au pauvre hère qu’elles sont bien débarrassées de toute arme.

Le feu éteint, il jette sur le côté sa branche de sapin et se retourne vers moi d’un air couard et inquiet, esquissant deux pas maladroits en arrière. Me voulant rassurant, je décide de lui adresser la parole.

« Monsieur ? Tout va bien, le feu est éteint, calmez-vous… »

Mais visiblement, ça n’était pas la chose à faire, puisque l’homme, sitôt que j’ai fini ma phrase, me bondit littéralement dessus avec ses doigts calleux et sa piètre force. Je n’ai d’ailleurs aucun mal pour attraper ses deux poignets, serrant assez fort pour qu’il ne m’atteigne pas. Mais alors, son regard fou se remplit d’une intense panique, comme s’il faisait face à la mort personnifiée. M’efforçant de le contrôler tout en me montrant pacifique, sous le regard analyste de l’elfe bleue qui décide délibérément de ne pas agir ni de rien faire pour m’aider, je parviens finalement à ce que le vieillard tordu se calme, et relâche mon étreinte alors qu’il se courbe sur lui-même dans une posture de soumission. Je lui tends la main pour qu’il se relève, mais il préfère rester appuyé sur les poings, à la manière des gorilles que nous avons croisés sur Verloa. Alors, je réessaie de lui parler.

« Qui êtes-vous ? Nous ne vous voulons aucun mal. Là, calmez-vous. »

Alors, il ouvre ses lèvres, mais dans un premier temps, rien d’autre ne sort qu’une plainte rauque et baveuse, qui se mue presque en un grognement lorsqu’il tente d’articuler. Bien entendu, je ne comprends rien de ce qu’il a tenté de dire, et je me tourne l’air interrogateur vers Sidë, qui vu son expression perplexe en est au même niveau de compréhension que moi. Le vieux débris réitère son grognement sourd en mêlant cette fois quelques gestes à sa parole. Et c’est là que Lysis décide d’intervenir et de m’éclairer par sa science étonnante du langage.

(Il a faim, voilà tout !)

Logique, en quelque sorte. Je me demande même comment j’ai fait pour ne pas y penser avant. Lui faisant signe d’attendre, je vais dans mon sac pour chercher de quoi le nourrir, et je sors deux petits pains secs que je tends à l’homme sauvage. En les voyant, il s’en saisit vivement et commence à mordre dedans sans la moindre retenue, bavant abondamment et remplissant sa barbe hirsute de miettes éparses. Le spectacle étant peu ragoûtant, je décide pendant ce temps d’aller ramasser mes lames, bien plus visibles désormais puisque le soleil est en train de se lever. Je les rengaine et retourne près du pauvre hère qui a déjà fini son repas. Il semble apaisé, bien plus calme, et même joyeux, puisqu’à mon retour à son côté, il s’agite et me fait signe de le suivre, partant en trottant sur trois pattes vers une anfractuosité de la paroi rocheuse. Sans même regarder Sidë, je poursuis l’inconnu vers ce qui semble être une grotte bien dissimulée, son habitation sans aucun doute.

Je m’arrête sur le seuil et suis rejoint là par l’elfe bleue qui a eu la bonne idée de rassembler toutes nos affaires, me tendant mon sac dont je m’équipe l’instant d’après, rajustant ma cape. L’homme qui a disparu dans l’obscurité de son antre ne tarde pas à revenir en tenant dans ses mains un long objet luisant que je ne tarde pas à identifier comme une arme blanche. Une lame. Un glaive, pour être tout à fait exact. La maintenant maladroitement dans ses mains, il me tend l’arme poussiéreuse, et je m’en saisis doucement, écartant les quelques toiles d’araignées en masquant la lame et la garde. Je suis surpris de constater que c’est une très bonne lame, parfaitement équilibrée et très tranchante, à la garde ouvragée et gravée de symboles magiques.

Le vieillard semble très honoré de me faire ce cadeau que je ne peux refuser, devant tant de joie à me l’offrir. Alors que je la glisse dans ma ceinture, il m’attrape la main et m’entraîne dans sa grotte. Par réflexe, je m’empare de la main de l’elfe bleue qui dès lors, n’a plus que le choix de nous suivre…

L’humain décrépi semble nettement moins faible, dans ces cavernes sombres qu’il semble connaitre par cœur et qui forment sa sans doute maison. Il court, il galope, il se fraie des chemins dans des passages étroits, sans jamais se retourner ni me lâcher la main, si bien que je sus bien forcé de le suivre dans sa course folle, et j’emmène également Sidë que je me refuse d’abandonner dans ce labyrinthe souterrain. Moi-même je me verrais bien dépourvu si l’emprise de mes doigts sur sa main calleuse venait à céder. Aussi je suis le mouvement, et sans pause, nous courrons ainsi un long moment dans ce dédale de grottes, sans savoir où cet olibrius dont nous ne savons rien, mais en qui je crois pouvoir faire confiance, nous mène.

Au bout d’une heure de course, la lumière tranche sur l’obscurité, et une faille s’ouvre devant nous. Nous y passons et nous débouchons à notre grande et agréable surprise sur le sommet du mont, à quelques distances du chemin sinueux qui nous aurait pris la matinée à escalader. Un raccourci, voilà ce qu’il faisait, ce vieillard fou. Qui sait quels autres soucis il nous a évité en nous faisant passer par son antre.

L’elfe et moi observons un instant le paysage, et lorsque je me retourne pour remercier notre guide, il a tout bonnement disparu. J’écarquille un instant les yeux, surpris de son départ si abrupt, mais après coup, je me dis qu’il est certainement là, à nous observer à l’abri des rochers avec ses deux yeux gris fatigués et sa toison hirsute et sale. Un homme de passage, un pauvre hère sans raison, un ami de voyage, un souvenir de plus dans mon escarcelle. Et sa lame, son glaive affirmera en moi sa mémoire. Qui sait si un jour, je le reverrai…

Je souris alors que Sidë se remet doucement de ses émotions. Tout s’est passé si précipitamment depuis notre réveil, que nous n’avons pas vraiment eu le temps d’ingérer tous les événements. Autant l’apparition que la disparition de ce bonhomme étrange.

« Allons, remettons nous en route ! »

« Quoi ? Comme ça ? Mais… cet homme, on ne sait même pas qui s’était. »

« Un pauvre fou, un adorable fou, une personne comme il devrait plus exister. Un homme qui sait vraiment ce qu’est la liberté… »

Sidë reste perplexe quant à mes propos et se contente de hocher la tête d’un air entendu avant d’entamer la marche comme je lui ai suggéré. La journée passe assez rapidement, et la route est bien moins dure que la veille. Elle monte moins, et au début de l’après-midi commence même à descendre légèrement vers les lointaines plaines Ynoriennes encore invisibles. Nos conversations du jour sont un peu plus enjouées, même si c’est moi qui parle le plus. Elle semble très réservée sur sa vie, et est bien plus curieuse de la mienne. Aussi, je lui raconte mes aventures sur Verloa, les semaines infernales que nous avons passées là-bas, et la manière dont nous en sommes finalement sortis. J’évite bien consciencieusement de parler des Enfers que nous avons visité, par soucis pour l’image qu’elle se fait de moi tout autant que par le manque de mémoire que me cause cet événement, comme si mes souvenirs concernant cet endroit démoniaque avaient été partiellement effacés. Bien évidemment, je relate avec précision les moments héroïques dont nous avons été les acteurs, toute notre petite troupe aventureuse et épique. Elle n’en semble pas réellement impressionnée, ponctuant simplement mon récit de quelques intonations de surprise, de curiosité ou d’étonnement.

Parlant ainsi, les heures défilent donc sans que nous nous en rendions compte, et en fin d’après-midi, le son de ma voix se fait couvrir par un bruit d’eau tumultueuse. Bien vite, nous arrivons à proximité d’un véritable torrent montagnard qui s’écoule avec vitesse et fougue entre les rochers. Comme si c’était l’évidence même, notre route se poursuit de l’autre côté de ces eaux vives et violentes, ce qui signifie que nous devrons traverser cette cascade bouillonnante.

Les flots vifs semblent infranchissables, et aucun pont ni guet n’est en vue, ni même un quelconque moyen de traverser, d’ailleurs. Ennuyé par cette nouvelle peu réjouissante, je me tourne vers Sidë, qui peut-être a une idée pour franchir cet obstacle pour le moins gênant. Voyant mon air désabusé, l’elfe bleue hausse les épaule en jetant son sac sur le sol pour s’y pencher et commencer à farfouiller dedans, maugréant quelques paroles ronchonnes.

« Ces mâles n’ont vraiment aucune imagination. Des bons à rien… »

Je ne tiens pas compte de ses propos quelque peu injurieux, remarquant juste une nouveauté que je n’avais encore jamais aperçu chez elle, et qui est due à sa position peu orthodoxe : un tatouage représentant un delphinidé est gracieusement dessiné dans le creux de ses reins, sur le bas de son dos.

Ce n’est que lorsqu’elle se relève que je la vois sortir de son sac une corde qui semble solide. D’un air vainqueur, elle me reluque tout en disant :

« C’est ce qui s’appelle être prévoyant… »

Elle ramasse alors un caillou de taille idéale pour le lancer et noue autour sa corde. Ceci fait, elle regarde la rive opposée jusqu’à trouver ce qu’elle cherche : un arbre dont deux branches partent en fourche. Une fois rapprochée, elle vise sommairement avant de lancer sa pierre de l’autre côté de l’eau. Sa maitrise du lancer de poids semble assez peu développée, et comme je m’y attendais, la pierre choit à côté du tronc. Elle la ramène alors vers elle, impassible, avant de retenter sa chance sans m’octroyer le moindre regard. Cette fois, ô miracle, la pierre passe entre les deux branches avec précision, suite à quoi elle tire sur la corde pour s’assurer de la solidité de sa fixation…

Manque de chance, dans son entreprise, la pierre qu’elle avait nouée à sa corde se défait de ses liens et chute sur le sol alors que la corde tombe par terre en s’engouffrant dans la rivière alors que Sidë la ramène vers elle d’un air blasé qui me donne presque envie de pouffer de rire. Mais je me retiens, me contentant de l’approcher avant de poser ma main sur son harpon accroché dans son dos. Mais sitôt que ma main rentre en contact avec l’arme, Sidë se retourne prestement vers moi, dégainant sans même que je le voie une autre arme, un Katar à la lame bleutée, qu’elle me pointe droit sur la gorge en me dardant d’un regard sévère, comme si j’avais dépassé des limites de bienséance à ne pas franchir.

« Oh, du calme, mademoiselle. Je voulais juste t’emprunter ton harpon qui sera sans doute plus pratique qu’une pierre pour ce genre de manœuvre. »

Sans quitter son air offensé, elle rengaine sa lame avant de me tendre d’un geste brusque, mais pas colérique, tout juste sec, le précieux harpon que je lui ai demandé. C’est donc à mon tour de jouer à celui qui visera le mieux, et après avoir accroché solidement la corde de l’elfe bleue à la moitié du manche du harpon, je vise l’intersection entre les deux branches de l’arbre. La chance est avec moi, puisque dès mon premier jet, l’arme de distance parvient à son but, bien plus équilibrée qu’un simple caillou, et je parviens à la stabiliser de telle sorte à ce qu’elle permette un soutien valable pour la traversée. L’autre bout de la corde, je l’arrime solidement à une autre branche, de notre côté, avant de me tourner vers elle avec satisfaction.

« Le pont de singe de mademoiselle Sidë est avancé »

« Et tu comptes me faire passer en première, en plus ? Quel courage ! Tu es bien un mâle… »

« Heu… Non, je me disais juste que le premier passage serait plus aisé puisque je veillerais de ce côté à ce que tout se passe bien. Et si tu tiens à ta corde, je devrai à mon tour trouver un autre moyen pour traverser qu’un confortable pont de singe que je te réserve… »

Une nouvelle fois, elle se renfrogne en entame avec souplesse et agilité sa traversée pendant que je supervise non sans plaisir des yeux cette jolie elfe acrobate se débrouiller comme une experte pour parvenir de l’autre côté de ces flots tumultueux. Une fois qu’elle est de l’autre côté, c’est à mon tour de passer. Mais avant, je dois décrocher la corde, ce que je fais, gardant en main son extrémité pour ne pas être pris au dépourvu. Je m’avance alors vers l’eau, redoutant déjà ce qui risque de se passer…

(Bon, va falloir que je me mouille, visiblement…)

Gardant la corde un instant sous mon pied, j’enlève ma cape ainsi que toutes mes armes et équipement qui pourrait me gêner lors de la traversée, et je les emballe dans mon pardessus, fermant bien le tout par un nœud solide. M’emparant du paquet, je l’envoie avec force sur l’autre rive. Le tout atterrit dans un bruit de métal à peine retenu par le tissu, et je peux me ressaisir de la corde pour la nouer autour de ma taille, tout en gardant un bout en main. Le fleuve est rapide, et je n’a aucune intention de finir écrasé sur les rochers en contrebas.

Alors, je me lance, entrant à pas prudents dans l’eau tumultueuse et vive. Le courant est extrême, et je manque de perdre l’équilibre, mais je parviens à me maintenir debout tant bien que mal. Alors s’amorce la traversée, alors que mon filin de sécurité est toujours tendu. Je fais des petits pas, lents et difficile car le courant exerce une pression incroyable sur mes jambes qui ne cèdent pourtant pas. Sidë, elle, ne bouge pas d’un poil, m’observant sans m’aider de l’autre côté du cours d’eau rageur. Sans doute a-t-elle peur de se mouiller, ou peut-être me voir ainsi m’empêtrer dans les flots qu’elle adule la satisfait-elle, au point qu’en un regard, je peux discerner sur son visage bleuté un sourire presque sadique et suffisant, comme si elle appréciait me voir ainsi dans une telle position de faiblesse. Il lui suffirait de trancher la corde pour que je passe de vie à trépas. Elle pourrait même tenter de jouer un peu avec mon arbalète pour me flécher petit à petit sans que je ne sache rien faire pour l’éviter ou la parer. Et même si j’arrivais à sortir en ce cas, je serais désarmé et contraint de me plier à sa volonté de me tuer.

Je préfère ne pas penser à une telle traitrise et me concentre donc sur mes pas, me satisfaisant par là de son inaction qui vaut toujours plus que de la malveillance à mon égard.

Mais alors, mon pied mal assuré ripe contre une roche glissante et mal mise, et ce qui devait arriver arriva, je m’étale de tout mon long dans la rivière, tenant la corde à bout de bras et la sentant entailler ma chair et mon bassin de par les forces opposées qui s’acharnent dès lors sur moi comme une punition cruelle et imméritée. Je ne dois ma vie qu’au réflexe d’avoir inspiré de l’air avant de me retrouver la tête plongée dans les flots tumultueux desquels je ne parviens à me défaire qu’à coups d’efforts harassants et répétés, me hissant de toutes mes forces pour parvenir sur la berge, qui semble s’éloigner à mesure que je m’en approche.

Mais enfin, je parviens à retrouver la terre ferme, m’agrippant aux roches de la rive, m’y écorchant les doigts mais ne lâchant pas prise. Et c’est seulement à ce moment que l’elfe bleue consent à m’agripper par les épaules pour me hisser tant bien que mal sur le sol montagnard, trempé jusqu’au os. Je tousse et crache l’eau que j’ai ingérée pendant cette catastrophique traversée. Je grelote, tremble, mais je ne peux faire l’effort de me lever pour aller me sécher ou même poursuivre notre route. Qui aurait prédit que la traversée d’un rapide serait si épuisante. Mes muscles sont endoloris sous l’effort et le froid, et si mon esprit est toujours vif, je le regrette presque, n’accueillant qu’avec plus de peine la douleur qui parcoure mes doigts et mes jambes. Mon souffle est rauque et rapide, mais se calme petit à petit, alors que je retrouve quelques notions physiques de la réalité.

Sidë m’a allongé sur le dos et veille sur moi, l’air un peu inquiet, alors que je recouvre lentement mes forces. Elle m’aide à ôter ma chemise de mailles, et découvre avec surprise mon habit de lin en un piteux état, stigmates de la première nuit… Elle me débarrasse de ces loques mouillées, mais lorsque mon torse peut apparaitre à sa vue, son visage se fige dans une expression d’horreur. Et ça n’est que trop tard que je comprends pourquoi. Sur ma poitrine, plantée dans ma chair, la broche est toujours là, se nourrissant de mon être tout en le renforçant. Le sang a séché autour de la plaie qui cicatrise petit à petit, formant un résidu rouge foncé autour de la broche couleur rubis. Elle pose sa main sur le bijou cruel, don de Pulinn.

« Mais… Qu’est-ce que ? »

Par réflexe de défense, j’attrape son poignet avec les forces qui me restent et place mon autre main sur mon poitrail endolori, la regardant sévèrement, lui intimant ainsi ma résolution de ne pas répondre à sa question. Et puis, je ne pourrais même pas répondre, ne sachant pas exactement ce qu’est ce bijou étrange qui semble vivre et se développer en moi comme une vermine infesterait un corps. Avec difficulté, et rendant à la demoiselle l’usage de son poignet, je dis dans un souffle :

« Nous… nous devrions trouver un abri pour la nuit. »

Elle acquiesce silencieusement, ne semblant pas me tenir rigueur de mon manque de réponse, et se relève pour rassembler toutes ses affaires, récupérant son harpon et sa corde. De mon côté, j’enfile ma cotte de mythril à même mon torse, délaissant ma chemise de lin déchirée et trempée jusqu’à la maille à la nature, avant de passer ma cape sèche autour de moi, ultime réconfort de chaleur. Je me saisis aussi de mon équipement, mais je sens bien que je n’ai pas la force de marcher longtemps. Fourbu, je suis tant bien que mal les pas de Sidë, dont le regard chanceux tombe sur l’entrée d’une petite grotte, une anfractuosité dans la paroi de la montagne qui nous servira d’abri pour la nuit. Nous nous installons et l’elfe allume un feu pour éloigner les éventuelles bestioles qui pourraient nous déranger pendant la nuit. Elle mange un peu avant de se tourner vers moi, déjà allongé dans ma cape depuis notre arrivée dans la petite caverne déserte.

« Désolée d’avoir douté de ton courage… »

Mais je ne l’entends pas. Je dors déjà, emmené dans un monde de rêves étranges qui encore une fois rappellent à ma mémoire notre traversée infernale des contrées hostiles de Phaïtos. Cette nuit, c’est une tête géante formée de mille visage d’épouvante qui hante mon sommeil agité, mais réparateur et appaisant…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:11 
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Cinquième jour de voyage : Révélation et plaines d'Ynorie :


Une longue nuit, agitée mais reposante, vient de passer. Au cours des heures de sommeil, je me suis petit à petit remis de mes mésaventures aquatiques de la veille, et là, alors que l’aube est déjà levée à l’extérieur et que le feu allumé hier soir n’est plus que braises rouges et cendres grises, je sors de mon sommeil, me débarrassant de ma torpeur nocturne. Pas encore totalement éveillé, je me relève néanmoins pour me glisser en position assise le long d’un rocher. Mes muscles sont douloureux. Les épreuves de course et de traversée d’hier n’ont pas été très bien contrôlées par mes jambes qui sont plus habituées à l’endurance qu’à des efforts abrupts et vifs, mis à part lors de combats. Je vais pourtant nettement mieux, et mes membres savent maintenant me porter, alors que dans la soirée je n’étais plus qu’une loque sans force.

Sidë dort encore près du feu qui termine de se consumer. À sa position, je perçois qu’elle a longuement veillé cette nuit avant de trouver le sommeil à son tour. Ce comportement, c’st la première fois que je le remarque chez elle. Comme si elle avait eu à cœur de veiller sur moi et mon sommeil, alors que fourbu, je n’étais pas capable de monter la garde.

Je reste ainsi une vingtaine de minutes à la regarder dormir paisiblement, exhalant une respiration calme et profonde. Je ne peux voir son visage sans doute serein, puisqu’elle me tourne le dos, enveloppée dans sa cape. Étrangement, et même si elle est toujours un peu distante, la Sidë que je vois là ne semble pas la même que celle, taiseuse et froide, qui m’accompagne depuis mon départ de Kendra Kâr. C’est l’aube du cinquième jour que je partage avec elle, exclusivement, où nous nous sommes supportés durant de longues heures, heureusement sans trop de heurts.

Dans son endormissement, elle pousse un léger gémissement qui augure son éveil prochain. En effet, quelques secondes plus tard, elle remue un peu, se tournant sur le dos tout en étirant ses muscles sans doute crispés, et elle tourne son visage vers moi, souriant en me voyant déjà éveillé. Un sourire… Une nouveauté, si je puis dire. J’espère voir là le signe d’une journée agréable, d’une marche dans la bonne humeur, d’un trajet guilleret et complice. Je sais que je peux sans doute me tromper, puisque je ne connais pas grand-chose d’elle, au final, mais mon espoir est fort, et je réponds à son sourire d’un petit geste de la main avant de plonger celle-ci dans mon sac pour en sortir un nouveau pain de voyage.

« Tu t’es remis d’hier ? »

Surprise. Elle est la première aujourd’hui à me demander comment je vais. Interloqué, je relève le regard vers elle sans savoir si c’est pour une pure raison pratique, ou si elle s’inquiète réellement de ma santé. Ne pouvant lire aucun indice dans ses yeux sombres, je lui réponds sommairement.

« Ça va mieux oui. La nuit a fait du bien, et la marche d’aujourd’hui ira sans soucis, tout du moins si on évite ce genre de frasques. »

J’imagine que retraverser ce fleuve tourmenté en sens inverse serait une aberration sans limite, et que cette fois je n’y survivrais pas, autant de mes jambes douloureuses que de mes mains crispées ou de mes hanches irritées par la corde.

Sans plus penser à la veille, je commence à manger mon pain sec sans plus oser la regarder trop fixement, de peur qu’elle ne s’irrite et que ça ne la mette de mauvaise humeur. C’est pour cette raison que je sursaute presque lorsque je vois apparaitre sa peau bleutée dans mon champ de vision, s’élargissant d’un coup sur une main tendue vers moi et contenant un pot de miel à peine entamé. Surpris, je lève des yeux interrogateurs vers elle, ne sachant pas si elle m’en propose, ou si une nouvelle facette sadique venait de faire son apparition, me faisant envier ce que je ne peux avoir. Mais son sourire me rassure un peu, et les paroles qui suivent encore davantage.

« Allez, sers-toi avant que je ne change d’avis. J’en aurai trop pour moi toute seule finalement. Et puis… je n’ai aucune envie de te voir te trainer aujourd’hui. Tu dois prendre des forces ! »

Étouffant un soupir de surprise réjouie, je m’empresse de tartiner généreusement – sans pour autant abuser de sa nouvelle bonté – mon pain de cette matière au gout doux et sucré qui me fait saliver rien qu’en pensant que je vais le manger. Mon engouement me fait presque oublier de la remercier, ce que je fais lorsqu’elle ramène vers elle ses provisions florales. Je ferme alors les paupières pour savourer avec le respect et le recueillement qui se doit ce miel si longtemps désiré que je peux enfin gouter. La matière jaunâtre et translucide semble fondre au contact de ma langue et de mon palais, éveillant mes papilles gustatives se chargeant d’une salive gourmande, percevant le changement des habitudes sèches et rugueuses du petit déjeuner, là où aujourd’hui tout semble douceur et volupté.

Je profite pleinement de ce petit déjeuner modeste, mais royal dans sa simplicité, prenant le temps de savourer jusqu’à la dernière miette chaque bouchée. Évidemment, je ne peux m’étonner de surprendre à quelques moments le regard moqueur de ma comparse bleue, qui a pu, elle, se régaler de la sorte tous les matins depuis notre départ. Je peux aisément comprendre qu’elle s’étonne d’une telle pâmoison de satisfaction lorsque je mange, et je sais que de son côté elle comprend ma position pleinement satisfaite, ce pourquoi elle ne dit pas un mot pendant que je déguste sans un bruit.

(T’en fais pas un peu trop là ?)

(Non !! C’est vraiment le pied ! Miaouu.)

(Le v’là qui se met à miauler maintenant. De mieux en mieux…)

Le petit déjeuner fini, nous rassemblons hâtivement nos affaires, ne laissant derrière nous que des cendres désormais refroidies, ou tièdes si on les remue un peu. C’est par un soleil agréable que nous nous élançons dans une journée qui s’annonce très bien.

Ainsi, pendant toute la matinée, c’est la grande descente de la montagne qui forme notre trajet. Ayant passé le sommet la veille, notre pas est beaucoup plus rapide et ainsé, même si à un moment ma trop grande confiance manque de me faire chuter lorsque, insouciant, j’ai posé mon pied sur un rocher mal assuré et posé sur des gravillons précaires, qui n’ont pas tardé à rouler, entrainant le rocher dans la pente raide. Je ne dois qu’à un réflexe salvateur le fait de n’avoir pas roulé-boulé en bas du ravin : un bond leste et maladroit vers l’arrière qui arrache même un petit rire discret à Sidë. Aucun autre événement bien spécifique ne vient se mettre en travers de notre route, et si nos discussions ne sont pas bien profondes, elles sont assez souriantes et enjouées, parsemées de conseils pour ne pas chuter ou bien assurer ses appuis lors de descentes plus ardues.

Le repas de midi n’est pas bien intéressant non plus à relater, si ce n’est que je m’aperçois que mes réserves s’amenuisent assez rapidement, tout comme celles de Sidë. N’ayant jamais auparavant préparé de voyage avant de partir sur les routes, j’avoue n’avoir pas pris assez avec moi pour tout notre trajet. Le pain, fort heureusement, ne manquera pas, mais mon jambon laisse désormais apercevoir sans pudeur son os, sur lequel il ne restera plus rien dans un ou deux repas. Aussi je me rationne, espérant trouver un de ces jours de quoi me sustenter dans un bourg quelconque entourant Oranan, un hameau, quelques maisonnées, une ferme même.

Au début de l’après-midi, nous arrivons enfin en vue des vastes plaines herbeuses faisant la fierté de la République d’Ynorie. Ou plutôt ayant fait sa fierté, puisque depuis l’apparition d’Oaxaca à Omyre, ces terres sont parcourues et piétinées par les armées orques organisant des raids dans toute la région. Je préviens d’ailleurs Sidë afin que, comme moi, elle se tienne sur ces garde au moindre mouvement suspect, aussi lointain soit-il. À deux, même si nous ne sommes pas des combattants débutants, nous ne résisterions pas à un groupement orque d’une grande envergure, et la seule solution possible serait de prendre nos jambes à notre cou pour fuir le plus rapidement possible afin de se cacher des yeux belliqueux de ces bestioles vertes, musclées et écœurantes.

Même si la menace de la grande ombre est présente, le voyage n’en est pas moins très agréable, et nul ne croirait que ces contrées furent dévastées par les armées d’Omyre , sous ce soleil radieux et sur cette herbe clairsemée et jeune, d’un vert tendre et agréable. Au cours de nos discussions de voyage, je me permets de poser une question plus intime à l’elfe bleue, de celles qu’elle évite habituellement avec subtilité, comme si elle m’avait répondu. Et ça n’est qu’après coup que je me rends compte à chaque fois que je n’ai rien appris de neuf sur elle. Cette fois, sans la blesser, je ne me laisserai plus faire, et je prends la parole sur un ton léger, innocent.

« Dis-moi Sidë, tu ne m’as jamais dit comment était ta vie, avant ce voyage. »

« C’est qu’il n’y a rien à en dire de bien particulier. Je n’ai jamais exploré d’île pour un roi, rencontré des dragons ni combattu des marées d’orques. J’ai voyagé, vécu des aventures de-ci de-là sans avoir été mise en réelle difficulté… Une vie quelconque d’aventurier, quoi… »

Toujours le même discours, en sorte. Je ne m’en étonne pas, mis à part que cette fois, je vais me faire plus intrusif…

« Oui, cela tu me l’as déjà dit. Mais je voulais parler de détails plus personnels. L’aventure est tellement vaste qu’elle peut prendre bien des visages, selon les individus. »

Son regard s’assombrit un instant, alors que le silence retombe, mais visiblement, une pensée lui redonne le sourire, et elle consent à me répondre.

« J’ai un fils. »

Paf, la révélation suprême. J’écarquille les yeux, restant silencieusement éberlué de cette nouvelle pour le moins surprenante. Elle arbore un air tendre, poursuivant d’elle-même, sans que j’aie à la pousser.

« J’ai un fils adorable, qui est bien loin de moi… »

J’apprends alors que son rejeton est parti à Lebher pour lui aussi vivre son ‘aventure’ et défendre cette cité corps et âme. Elle en semble fière, et lui voue une tendresse que je ne lui connaissais pas, un instinct maternel qui jurerait presque avec l’image que j’ai d’elle. Je l’imagine d’ailleurs assez mal avoir eu à enfanter… La discussion se poursuit alors sur son fils, dont j’apprends plusieurs choses, des détails d’enfance, des anecdotes. Là où sur elle, Sidë est réservée, elle se révèle être un véritable moulin à paroles en ce qui concerne son fiston chéri. Seulement, à partir d’un moment, la conversation prend une toute autre tournure, un peu malgré moi :

« Et son père, est-il aussi à Lebher, à défendre la cité ? »

Sans prévenir, elle s’arrête net et se retourne farouchement vers moi, une expression de haine sur le visage. Elle m’agrippe alors le col de ma chemise de maille et m’empoigne tout en me parlant d’une voix rageuse que je n’explique pas.

« Ne parle jamais de son père ! Jamais ! »

Je ne sais à cet instant si c’est une larme montante ou la lueur d’une colère interne que je vois dans ton regard terne, puisqu’elle se retourne aussitôt pour poursuivre la marche, redevenant soudainement muette. Comprenant qu’elle a sans doute besoin d’être seule avec ses souvenirs qui semblent douloureux, je n’insiste pas et la laisse ruminer tout en continuant notre chemin. Au cours de l’après-midi, quelques mots sont encore échangés, mais l’ambiance s’est refroidie, indéniablement, et on ne peut plus parler d’une réelle conversation entre nous…
Lorsque nous décidons de nous installer pour passer la nuit, dans un bosquet, je me propose pour faire le premier tour de garde, nécessaire en ce lieu, et elle m’aide à rassembler un peu de bois sec pour faire un feu. Nous mangeons en silence et assez rapidement, puis elle va se coucher sans un mot, me laissant face aux flammes. Je décide de ne rien lui dire, ne comprenant pas la raison de son état…

(Qu’est-ce que cet homme a bien pu lui faire pour qu’elle en garde ainsi une haine pareille…)

Hélas, ma question fait écho dans mon esprit, et je sais que je n’ai plus qu’à passer ma soirée à veiller sur elle, alors qu’autours de nous, quelques bruits lointains se font entendre, sans qu’ils approchent de trop près. Des bêtes sauvages, sans aucun doute là-dessus, si j’en crois la nature des quelques grognements qu’elles poussent.

Je ne suis pas à l’aise, et durant tout mon tour de garde, je maintiens ma main plaquée sur la garde de ma lame noire, juste au cas où.

À la moitié de la nuit, je m’approche de Sidë pour la réveiller, mais quand je pose ma main sur elle, elle se dégage, déjà éveillée. La regardant curieusement, je ne peux rien déceler dans son visage qui me permettrait de capter un quelconque indice sur son attitude changeante. Je m’allonge à mon tour, sans un mot, et la laisse prendre son tour de garde. Et la nuit passe…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:13 
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Sixième jour de voyage : la cabane abandonnée :


Une nouvelle journée se lève sur les landes d’Ynorie. Le soleil matinal éclaire l’herbe luisant d’une pointe de rosée fraichement déposée par la douce complainte nocturne de la magie du monde. Chaque fine gouttelette se trouve à sa place, dans un ordre maniaque et frôlant la perfection digne des Dieux de ces lieux. Qui dirait à cet instant que ces landes herbeuses et fertiles furent piétinées il y a peu par des troupes sauvages de barbares et guerriers orcs, l’armée sombre d’Omyre la Noire, tous aux pieds de la Reine des Ténèbres, la puissante Oaxaca. Ces peaux-vertes qui ont dévasté les villages, pillé les fermes et massacré les Ynoriens sont aujourd’hui absents, se terrant dans quelque forêt ou futaie, en attendant de commettre une nouvelle escarmouche violente contre les pauvres habitants des campagnes de ce pays.

Mais pour le moment, seul un fin chant d’oiseau trouble la mélopée fluide et paisible du vent léger qui parcoure la contrée pour poser son œil divin sur les souches d’une civilisation prospère et culturellement riche. Je ne suis jamais venu dans la République, trop occupé par mes tâches continuelles et infinies, et c’est l’une d’elles, tout naturellement, qui me mène aujourd’hui ici, en la compagnie affable d’une elfe bleue au caractère changeant, imperceptible et insondable, au regard noir et aux cheveux roux…

C’est d’ailleurs elle qui vient de me réveiller, me tendant sans un mot une miche de pain miellé. Je ne sais si c’est là une tentative de pardon pour son attitude incompréhensible de la veille, ou une simple marque de sympathie, de respect ou… de pitié. Quoi qu’il en soit, je n’en prends pas ombrage, et accepte la nourriture avec un sourire enjoué et ravi d’être ainsi pourvu d’une attentionnée amie. Amie… je ne le sais en fait. Mes relations avec Sidë ne sont pas très claires, mais elle et moi formons un compagnonnage depuis maintenant un peu moins d’une semaine, et des liens se sont indubitablement créés. Forts ? Momentanés ? Qu’en sais-je, et après tout, il m’importe peu de le savoir. La seule chose importante est de vivre l’instant présent avec le plus de plaisir qu’il m’est donné de recevoir, ou de donner. Ainsi, je mange donc en silence, respectant le mutisme de l’elfe qui grignote elle aussi un semblable petit déjeuner.

Une fois celui-ci terminé, nos affaires sont vite rangées. Nous avons finalement accepté sans trop de contrainte le rythme du voyage, un rythme soutenu, dur à suivre, mais qui s’est emparé de nos êtres durant ces derniers jours. La montagne passée, les difficultés ne se voient plus vraiment, et nous marchons d’un bon pas cadencé sur le chemin de la capitale du pays, la fière Oranan.

Ayant une pensée pour un jeune archer impétueux mais sympathique, dragueur à ses heures, mais toujours modeste et poli, je tâte à l’intérieur de la poche de mon sac le pli que je me suis donné la promesse de remettre à son paternel. Ce sera chose faite, à n’en pas douter.

Au milieu de l’après-midi, alors que la digestion du bref repas se termine, nous arrivons en vue d’un large lac, celui que nous devrons contourner. Nous le faisons d’ailleurs sans attendre, jusqu’à arriver à proximité d’une petite cabane de pécheur. À sa vue, nous espérons secrètement y trouver une bonne pitance et de bons draps, mais à mesure que nous en approchons, elle s’avère désespérément abandonnée.

(Au pire, ça fera toujours un bon abri pour la nuit…)

Nul tour de garde de prévu ce jour, donc. Nulle bête sauvage rôdant près de nous, ni angoisse de se retrouvé détroussé par des bandits de grands chemins, ou attaqué par un fou des montagnes, détenteur de puissantes armes…

L’habitation est sommaire, et j’en pousse la porte de bois avec difficulté. Personne n’est entré ici depuis bien longtemps, et la poussière s’accumule sur le plancher grinçant. Quelques trous sont à déplorer dans la toiture de chêne, mais l’endroit semble viable, et l’odeur de bois mouillé m’assure de la non-présence de cadavre putréfié dans le coin. On ne sait jamais sur quoi on peut tomber, dans ce genre d’endroit. Sidë me suit dans la petite cabane, et nous trouvons rapidement des résidus de paillasse que nous réajustons à notre préférence pour y loger confortablement, ou du moins le plus confortablement possible.

Un âtre calciné reçoit quelques bûches entreposées et est allumé, la cheminée tirant un léger filin de fumée qui s’élève à l’extérieur, dans la lueur du soir qui tombe. Nous mangeons notre repas, calmement, sans une parole de travers. Je me garde bien d’évoquer à nouveau le père de l’enfant de cette elfe, de peur de sa vive réaction.

Allongé sur ma paillasse, je ressens un pincement au niveau de la poitrine, encore cette broche faite de rose qui répand en moi son venin organique, qui plonge ses racines dans mon être de chair comme pour que nous ne formions plus qu’un… Mais la douleur est supportable, et j’ai fini par l’accepter comme faisant partie intégrante de mon corps, l’accueillant en moi et profitant de ses bienfaits. Car ce cadeau de Pulinn a certainement des propriétés qu’il ne m’a pas encore été donné d’exploiter. Et la soirée passe, et nous nous endormons, délestés de nos armures et de nos armes qui reposent sur une table trouée. J’ai eu l’idée de caler la porte avec le dossier d’une chaise, habilement placé sous la poignée pour empêcher un éventuel intrus de nous rendre une inopinée visite. Ainsi nous partons en paix dans le monde des songes.

Au milieu de la nuit, je me réveille doucement. Une odeur florale m’encercle sans que j’en comprenne la provenance. Sidë est à mes côtés, et la respiration profonde et paisible qui émane de ses lèvres entrouvertes m’assure de la qualité de son sommeil. Dans la pénombre, mes yeux elfiques perçoivent le reflet bleuté de sa peau satinée, et se perde sur la couverture qui se soulève au rythme lent de son souffle, soulevant ses formes floues dont j’imagine le doux contour. Je l’observe, je la scrute, je laisse mon regard observer ses légers mouvements nocturnes, une jambe qui se tourne, un bras qui frissonne, des doigts qui se crispent puis se détendent lentement sous le tissu qui la recouvre. Qui sait alors ce qui me passe par la tête. Presque inconscient, j’avance ma main dans l’obscurité pour la poser délicatement sur la gorge chaude de Sidë. Elle semble se raidir un peu au contact, et je m’immobilise, mais rien ne se passe de plus… Sa respiration est toujours calme, bien qu’elle ait un peu changé, sans que je puisse en déceler la raison. Elle semble toujours endormie, les yeux clos.

La pulpe de mes doigts continue alors de frôler cette douce peau, descendant vers les courbes de sa voluptueuse poitrine. Ils glissent sous la couverture, ne rencontrant sur leur passage qu’une peau tiède et satinée que je prends plaisir à caresser, alors que la présence florale se fait davantage ressentir. Mes phalanges restent légères, alors qu’ils explorent la surface merveilleuse de ce corps inconnu, avides et prudents, comme des explorateurs dans une nouvelle région inexplorée. Son ventre fin est finement musclé, et je m’y attarde un instant avant de pousser encore plus loin mes investigations. Quand j’atteints avec douceur le doux renflement lisse de son sexe, sa respiration semble se couper un instant, avant de reprendre, plus profonde, plus saccadée, mais toujours calme.

Ma main déserte alors son corps et je me retourne vers elle, regardant son doux visage aux yeux clos. Dans l’obscurité, je ne peux discerner si elle sourit ou non, mais l’appel de ces deux lèvres entrouvertes sur sa tiède respiration est impossible à contrer, et mon visage se rapproche du sien, encadré par mes mèches noires. Ma bouche se pose contre la sienne avec une extrême délicatesse, l’espace d’une seconde, le temps de profiter de leur douceur, de leur empreinte, de leur chaleur. C’est comme si je me régénérais en un instant…

Mais je ne peux me permettre d’aller plus loin, même si cet avant-gout me pousse à essayer. Ça serait manquer de respect à la demoiselle qui dort – mais dort-elle vraiment ? – à mon côté. Aussi, je m’écarte et me recouche sur le dos, soupirant amplement avant de fermer à nouveau les yeux…

Qu’est-ce qui m’a poussé à faire ça ? Je ne peux même pas me l’expliquer…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 11:15 
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Septième jour de voyage : Plaines et arrivée :


Le feu de l’âtre s’est éteint, mais la chaleur relative de la pièce persiste toujours. Enveloppé dans un semblant de couverture rapiécée, je m’éveille lentement à une nouvelle journée. Je m’étire progressivement, frictionnant mon visage de mes mains, ravivant en moi les sens endormis. Les événements de la nuit marquent leur empreinte dans mon esprit comme si ça n’avait été qu’un rêve, et pourtant c’est comme si je sentais encore sous mes doigts la tiédeur de cette douce peau bleutée. Non, ça n’était pas un rêve, c’était la réalité, sans qu’aucun doute ne soit permis là-dessus. Je tourne le visage vers elle, ouvrant enfin les yeux. Elle est toujours dans la même position, allongée sur le dos, les bras passant par-dessus la couverture et dévoilant ses épaules nues, accentuant le charme de ses formes dissimulées. Son visage est réciproquement tourné vers moi, et elle me regarde de ses deux perles d’ébène brillant. Elle semble un peu troublée, comme si une gêne quelconque était née dans ce regard tendre. Quand nos yeux se croisent, elle détourne les siens pour remettre sa nuque dans l’axe de sa colonne vertébrale, scrutant les billots de bois formant la charpente sommaire du plafond de la cabane de pêcheur. Moi, je continue de la regarder un instant avec tendresse. Amants ? Non, je ne dirais pas ça. Une attirance est née, de mon côté tout au moins, et la complicité qui en découle n’est pas liée à l’amour, au sexe, ni même à une autre émotion habituelle qui pourrait rapprocher intimement deux personnes, l’amitié par exemple. Non, c’est autre chose, une chose que je n’arrive pas à qualifier tant elle me semble étrangère. Une chose mystérieuse, inconnue et troublante, un émoi intérieur, une attirance sans arrière pensée.

(Cromax, mon tendre, tu ne connais pas l’Amour, tu ignores ce que c’est.)

Ce constat, je ne peux l’accepter de la part d’une créature sensé me connaître si bien. Intérieurement, sans lâcher une seconde des yeux le visage paisible de Sidë, je me consterne.

(C’est faux ! Je sais ce qu’est l’amour ! Regarde Lillith !)

(Lui t’aime sûrement, mais tes sentiments pour lui ne sont pas de l’amour. Tu ne serais pas tenté par quiconque hormis lui, si c’était le cas. Tu ne peux connaître ce sentiment.)

(Mais ça n’a rien à voir ! Et puis pourquoi ne le pourrais-je pas ? Quelle est cette nouvelle invention ?)

(Je n’invente rien Cromax. Tu as été privé de cette affection, de cet amour alors que tu étais encore un bébé. Et rien n’a su jusqu’à présent rattraper ce siècle de solitude sentimentale. Tu n’aimais pas ton Mentor. Il ne t’aimait pas non plus. Vous vous respectiez juste…)

Insurgé, je ne peux répliquer. Lysis a une fois encore raison, même si la conséquence de ce manque d’affection se répercute en moi comme une erreur de sa part. Je suis persuadé que l’amour m’est permis… Mais le trouble s’installe, et à mon tour je détourne le regard de ma voisine de nuit.

Alors, elle initie le mouvement du lever matinal, profitant de ma soudaine inattention pour se lever en s’enveloppant dans la couverture afin que je n’aperçoive rien de ses formes enchanteresses dotées d’une nudité élégante et attirante. Elle se tourne alors vers moi et me parle d’un ton autoritaire, mais doux. Juste ferme.

« Je vais me baigner, ne t’avise pas de sortir ton nez d’ici… »

Et elle s’en va dans son simulacre de toge à la couleur passée et aux mailles usées. Obéissant strictement à ses consignes, je ne bouge pas d’un poil pendant un bon quart d’heure, regardant à mon tour les poutres fixée au dessus de moi par quelque savoir-faire dûment acquis par l’agencement d’années de formation. Tout ça pour que cette réalisation soit abandonnée, à la portée de tout voyageur intrépide ou fatigué qui se dirait que c’est un agréable endroit pour loger. Alors, je me lève et enfile rapidement mon pantalon de lin avant de m’étirer de tout mon long, faisant en même temps craquer une ou deux vertèbres déplacées par le matelas de paille. Par-dessus, j’enfile directement mes bottes de cuir, n’ayant aucune envie de passer ma matinée à ôter de ma peau cendrée une écharde douloureuse qui serait malencontreusement sortie du plancher.

Je reste ainsi torse nu une dizaine de minutes, commençant à m’inquiéter à propos de Sidë qui ne revient pas de son bain matinal. Cette petite cabane commence à devenir oppressante, et je tourne en rond comme un lion en cage. Bien vite, j’endosse enfin ma chemise de maille, ajustant mon baudrier, ma ceinture, mon bouclier et mes armes afin de voir s’il ne lui est rien arrivé de fâcheux. Qu’importe son ordre, si elle était en danger, elle serait bien heureuse que je sois sorti de cette piaule grinçante. La porte que je pousse précautionneusement gémit plaintivement en s’ouvrant doucement, et à peine la vision de l’extérieur ensoleillé s’offre-t-elle à mon regard qu’un bruit sourd et violent, claquant une fois comme un fouet dans les airs, me fait bondir en arrière. J’en perçois bien vite l’origine. Dans la plainte de la porte, sur le rebord de la maisonnette de bois, un harpon s’est fiché, tremblant encore d’avoir été lancé. Mon regard surpris et étonné se tourne alors vers l’axe dans lequel il a été lancé, et je peux voir là Sidë, conquérante dans sa couverture usée, toute trempée, les cheveux imbibés d’eau et la peau perlée de gouttelettes. Elle me reluque aussi d’un air mauvais, les yeux légèrement plissé et les sourcils froncés dans une moue sévère.

« Je le savais que tu allais sortir ! »

« Mais ! »

Inutile d’en dire plus. Je n’ai pas la force de m’expliquer devant le mur qu’elle formerait de toute façon imperméable à tout type d’arguments, fussent-ils logiques et fondés. Je me rembrunis donc croisant les bras d’un air râleur qui ne me va que trop peu, alors qu’elle s’approche de moi – ou plutôt de la porte – afin d’entrer dans la maisonnette en bois en me claquant la porte au nez, tout en récupérant habilement son harpon et me snobant d’une nouvelle mise en garde.

« Je vais m’habiller, ne t’avise pas d’entrer, tu sais ce qui t’attend, maintenant. »

Et pan, la porte se ferme et je lève les yeux au ciel, ne sachant comment prendre ses remarques répétées et son manque total d’allusion aux évènements de la nuit. Ne veut-elle pas en parler ? Ne s’est-elle vraiment rendu compte de rien ? J’ai du mal à y croire, j’ai nettement perçu les changements dans sa respiration. Mais ma réflexion ne dure pas longtemps. À peine dix secondes après qu’elle ait fermé la porte, celle-ci se rouvre pour me laisser entrevoir la mignonette tenir entre ses doigts une miche de pain avec son mythique pot de miel, tenant de sa main libre, et un peu maladroitement, sa pseudo-toge qui s’en va à moitié et qu’elle plaque tant bien que mal contre sa poitrine.

« Je parie que tu n’as pas pensé à déjeuner ! Tiens ! »

Et elle me lance ma pitance, que je rattrape par chance avant qu’elle n’échoue sur le sol terreux du bord de lac. Je n’ai pas le temps de la remercier que déjà la porte se ferme à nouveau dans un clac retentissant, me laissant à nouveau seul.

Pas de temps à perdre, je ne voudrais pas qu’elle me prenne une nouvelle fois en défaut avec une de ses petites ruses malintentionnées et qu’elle puisse me reprocher ma lenteur du déjeuner, sous prétexte qu’elle est toute prête à marcher pour la journée. Je m’engouffre donc mon pain sucré au gout fondant, et je m’assieds sur un rocher avant même qu’elle ait pu repointer le bout de son joli petit nez. Elle ne tarde cependant pas, comme je l’avais prédit, et parait surprise de me voir ainsi paré pour de nouvelles aventures. Guilleret d’avoir pu échapper à l’une de ses vacheries, je lui lance un grand sourire en laçant à la volée :

« Alors, pouvons-nous partir, maintenant ? »

Elle me jette un regard noir – ce qui n’est pas dur avec ses yeux d’obsidienne – mais pas méchant pour autant, et me répond simplement d’une voix neutre, sans animosité, et presque agréable, quoi que toujours un peu froide…

« Oui, allons. »

Et quelle concision ! Sans plus stagner, nous prenons donc nos quatre pieds pour les unir dans la randonnée de cette journée. La dernière, si j’en crois les dires du marchand et si mes calculs journaliers sont correctement dosés. Voilà bientôt près d’une semaine que Sidë et moi nous côtoyons sur les chemins, et je suis rassuré que notre petite équipée ne se soit pas fait attaquer ni ait rencontré quelques travers gênants, si l’on excepte le fou de la montagne, le passage du torrent et d’autres bricoles inhérentes à ce type de voyage.

La journée se passe rapidement, et des plaines dévastées nous arrivons dans des zones cultivées. Diverses céréales, parfois communes, parfois typiques de ce pays, se côtoient donc ici dans la plus grande harmonie. Le jaune du blé se mêle au vert tendre des pousses de riz, et trouve un milieu dans les champs de maïs où les deux couleurs sont représentées. Culture de lin, de soie, de racines diverses, nous croisons quelques agriculteurs que je prends chaque fois le temps de saluer, même si aucun autre mot n’est échangé. Dans les habitudes rurales d’Ynorie, voir deux elfes à la peau bleue ou grise voyager doit être une chose inconnue, aussi ne nous imposons-nous pas davantage auprès de ces courtois, mais méfiants paysans.

Lors du repas de midi, une envie irrépressible me prend de parler à l’elfe bleue de mes activités de cette nuit… Etrangement, aucun mot n’a été édicté la dessus depuis le début de la matinée, et j’en viens même à me troubler. N’aurais-je finalement pas rêvé ?

« Dis-moi, Sidë… Ta nuit a été bonne ? »

Le regard qu’elle m’accorde alors me trouble encore plus. Elle plante ses yeux sombres dans les miens dans une attitude tout à fait neutre en répondant avec un naturel désarmant.

« Bien sûr. J’ai dormi comme une souche… Fort heureusement, nous avions une couche… »

Elle nie donc. Ou peut-être n’ai-je pas été assez loin dans mes investigations… Curieux, je poursuis.

« Et la proximité ne t’a pas trop dérangée ? »

Avec le même naturel, le même désintérêt, elle me répond avant de mordre dans un morceau de viande séchée.

« Il ne m’a pas semblé que tu ronflais, ni que tu sois trop agité, mon sommeil s’est très bien porté. »

Elle détourne ma question, elle n’y répond pas vraiment, et pourtant dans ces mots, aucun indice ne vient, aucune faille, aucun moyen de savoir si elle a senti ou non mes…caresses incontrôlées. Voyant ma réflexion, et comme un coup de hachoir sensé mettre fin à mon enquête, elle me pose une question d’un ton innocent.

« Et toi, as-tu bien dormi. Mon sommeil était si profond, je n’y ai même pas prêté attention… »

(Elle ment !)

(Quoi ? Je ronfle ?)

(Mais non bêta, elle a tout senti, tout vécu, et préfère désormais ne pas en parler. Une chose est certaine, cette nuit, elle était éveillée.)

Souriant sous cet aveu inné de ma faera invisible aux yeux de Sidë, je réponds aimablement en entrant dans son jeu…

« Ma nuit a été merveilleuse… »

Et toc, ça lui apprendra à parler par énigmes et à tergiverser sur des faits niés.

Le repas fini, nous repartons sur les sentiers, et nous ne tardons pas, cette fois, à arriver en vue de la Grande Oranan, cité de l’Ouest de Nirtim, qui tient bon malgré les invasions barbares des orques, portant haut et fier l’étendard de cette culture particulière. Nous nous empressons de terminer notre route, et le soulagement peut se lire sur nos visages. C’est dans la fin de l’après-midi que nous approchons des hauts remparts, prêts à passer les portes…

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 Sujet du message: Re: Les anciens RP de Cromax
MessagePosté: Lun 11 Juil 2011 19:50 
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