Cantemort créait, remuait, alimentait ses idées. Le conte prenait forme petit à petit. Malgré qu'il pensait le faire une fois sorti, l'absence d'occupation l'avait poussé à se concentrer sur sa nouvelle histoire. N'ayant rien pour écrire, il se réduisait à de grossières ébauches.
(Ce sera grand, lent, riant, pleurant. Au sommet de tout art, patron mon ardoise!)
Depuis la veille, il ne s'était rien passé. Les gardes jouaient aux cartes derrière les barreaux, regardant à peine leur prisonnier. Le chef Maens avait disparu. Tous semblaient avoir oublié Cantemort, tapis sur sa paillasse, profitant du repos qu'on lui offrait.
(Tapis sur paillasse, moquette. Moquette et paillasson... quel luxe!)
Parlant tout bas pour ne pas attirer l'attention des gardes, il récitait parfois des passages de son conte, arrangeant et corrigeant ici et là.
« Un poète pourtant honnête, Capturé par quelques brutes. Ce poète il est bien bête, Il les prend tous a la lutte. »
(Pas mal, mais ensuite? Quelle est la suite?)
Cela faisait maintenant trois jours que Cantemort pourrissait au fond de son cachot miteux. Les gardes l'oubliaient, le chef Maens honorait parfois les lieux de sa présence mais partait en général sans faire de remarque. Cantemort s'amusait néanmoins de ces visites, l'occasion de narguer le milicien ne se présentait que trop rarement pour la laisser passer. Ainsi, Cantemort le regardait entrer et soutenait sans ciller son regard, sachant pertinemment que, malgré sa position de force, Maens ne ferait rien.
Ce matin là, Cantemort tenta de se lever et y parvint au prix de gros efforts. Si la douleur était passée, l'engourdissement de ses muscles du au manque d'exercice était lui bien présent. Une fois debout, il trébucha et tomba sur ses genoux. Les yeux noirs, il se releva tant bien que mal et parvint cette fois à rester debout. Il avança de quelques pas puis se rassit, essoufflé. Les gardes le regardaient avec étonnement puis, voyant qu'ils ne risquaient rien, reprirent leur partie.
Une fois au sol, Cantemort repris son conte.
« Une bande de fiers à bras, Qui jouent aux cartes ici bas. Et qui frappent violemment Le poète un brin trop lent. »
Chaque jour Cantemort se réveillait, restait encore quelques instants sur sa paillasse à inventer la suite de son conte. Puis il se levait, maintenait son équilibre, et marchait dans sa cellule, se reposait tout en continuant son histoire, puis repartait. Au bout du cinquième jour, il arrivait à faire cinq fois l'aller-retour d'un bout à l'autre de la cellule. Maens descendait encore le voir et Cantemort pouvait désormais la saluer comme il se devait. Ainsi, il attendait qu'il passe devant sa cellule pour lui adresser un grand sourire et déclamer quelques vers choisis de son conte.
Malgré son activité apparente, Cantemort s'ennuyait. La routine n'était pas un élément agréable pour lui, et sans ses couteaux, il ne pouvait s'entrainer.
Le septième jour, le conte s'achevait. Cantemort, fier de son œuvre, se mit à courir dans la cellule, se remettant en forme. Il résolu de désormais procéder ainsi et se rassit, mettant en place les derniers vers.
« Et le poète fougueux, Et la princesse gracieuse, S'envolèrent au loin sur le dos, Du plus grand des vieux dragons. Et ils fuirent jusqu'au fin fond Du pays lointains, le plus beau. »
(Magnifique! Féerique! Presque elfique.)
Se relevant, Cantemort tenta un saut périlleux dans sa cellule, mais le plafond trop bas le rappela à l'ordre et il se cogna violemment la tête. Les gardes se mirent à rire et Cantemort se rassit, vexé.
Deux autres jours se passèrent encore où Cantemort, désormais inoccupé, s'ennuyait fermement. Il courait donc dans sa cellule, cherchant à se fatiguer le plus possible et inventant pour cela toute sorte de techniques. Il dormait ainsi la majeure partie de la journée.
Le matin du dixième jour, Cantemort tenta de courir encore mais l'ennui était trop fort et il se rassit immédiatement, serrant ses bras autour de ses genoux, se balançant d'avant en arrière. Aujourd'hui ne serait pas une bonne journée, il le sentait.
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"Aussi longtemps qu'il existe un endroit où il y a de l'air, du soleil et de l'herbe, on doit avoir regret de ne point y être. Surtout quand on est jeune." Boris Vian
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