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A ma suite, les présentations des membres de notre communauté aventureuse se présentent à la belle Ixtli, chacun usant de sa verve pour paraître autre chose qu’un rien aux yeux d’ambre de la délicate ondine. Le plus pompeux dans cet exercice, celui qui lui brosse la peau dans le sens des écailles se révèle en toute logique être le jeune coq courtisan, Faëlis. Dans une trombe de mondanités, il lui pourlécha tous les angles d’approche avec tellement de salive que je crois un instant qu’il va défaillir juste pour qu’elle le sauve d’un bouche-à-bouche bien humide… Et du coup mon esprit dérive un instant sur la texture que pourrait avoir sa langue, lors d’un langoureux baiser. Serait-elle plus aqueuse, ondoyante que celle, parfois rêche, d’une humaine ? Plus souple, peut-être, plus encline à tournoyer, comme une gorgée d’eau pure que l’on bat sur le palais avant de l’avaler, la laissant glisser lentement dans la gorge. Mais je m’égare, et me laisse surprendre à la fixer plus que voracement, alors qu’elle me répond d’un ton désengagé, quoique sympathique, qu’elle espère voir ce plaisir renforcé par la suite.
(Elle ne croit pas si bien dire…)
Pour une fois, c’est moi et non Lysis qui me permet ce genre de pensée que d’aucuns diraient être discourtoise et tordue. Je la sens se renfrogner, bougonner dans mon esprit et faire vibrer la flamme de sa jalousie.
(C’est le feu en toi qui voit un danger dans les flux d’Ixtli ?)
La question est rhétorique, plus provocatrice que réellement demandeuse d’une réponse de sa part. Aussi ne répond-elle pas, même si je la sens coincée dans son propre raisonnement : pourquoi d’habitude me pousse-t-elle à toutes les dérives viciées, et qu’ici elle émet une si grande réserve ? Peut-être est-ce depuis que nos corps ont fusionné, qu’elle peut à son tour prendre une apparence humanoïde pour réaliser ce qu’elle n’a jamais pu faire sous sa forme de faera… Et pourtant, elle n’était pas si réticente, quand je logeai avec passion le membre princier de mon anatomie dans le palais des mille et une merveilles de cette jeune esclave du désert. Bah. Qu’importe. Ce n’est pas la première créature que je trouve séduisante, et ça ne sera sans doute pas la dernière. Lysis doit le savoir. Et elle doit aussi savoir qu’elle ne pourra pas arrêter la machine qu’elle a si souvent elle-même mise en marche. On ne me changera pas. Et enfin, elle se permet un commentaire qui, tout en gardant le thème de la question, en change subtilement le sens.
(En tout cas, tu sais quelle apparence prendre si tu veux séduire les mâles de la troupe ! Si elle n’était poisson, ce serait de bovin que je qualifierais leur regard aux yeux de cabillaud.)
Elle n’a pas tort, et j’en fais entièrement partie. Mais sa remarque me fait sourire, une fois de plus, et j’imagine très bien le pompeux Faëlis ou le rude Kerenn fondre sous les avances de la belle Ixtli et se retrouver, en fait, à mes côtés dénudés. Une idée à puiser pour épuiser les envies d’épuisettes de ces pêcheurs néophytes au péché mignon pas… si mignon.
Je reviens à moi alors que, sous l’impulsion d’un commentaire de Baratume arguant la politesse élémentaire, Jillian nous presse de poursuivre la marche en s’approchant du nouvel arrivant balafré pour lui narrer en détail toutes les informations que nous connaissons déjà. Je reste en retrait pour ma part, n’ayant pas forcément envie de réécouter le même discours, même nuancé de nouvelles précisions. Je les apprendrai bien en parcourant ce monde, ou en discutant avec les habitants de celui-ci dans un endroit plus privé et se prêtant à la discussion que les sommets des Crocs du Monde au crépuscule.
Kerenn vient me rejoindre en fin de file, et me confie la carte sur vélin qu’il a récupérée à la milice. Je l’empoche, vérifiant qu’elle est bien roulée, pour ne pas l’abimer, et la glisse délicatement dans ma besace. Peut-être, à terme, devrai-je me munir d’une carte plus précise pour parcourir les différentes régions de ce monde. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vues indiquées les ruines d’où nous provenons. Il doit y avoir bien d’autres trésors cachés qui n’y apparaissent pas, du coup. Et pour ça, Jillian n’est pas le mieux placé pour y répondre, n’étant pas natif de ce monde, ni très ancien malgré ses probables nombreuses errances par ici. S’il est des êtres à Ilmatar qui ont connu le Ravage qu’il a évoqué, c’est à eux que je devrai m’adresser.
L’elfe gris et moi laissons un peu d’avance au peloton du groupe pour nous entretenir un peu en retrait, à mi-voix, loupant sans grande perte des informations sur l’occurrence des lutins en ce monde, ou la présence de fulguromanciens ou autres cryo-mages. La citation de la glace comme élément me fait soudain penser à Lillith. Qu’est-il devenu ? Voilà longtemps que je ne l’ai pas vu, visiteur de mondes étrangers que je suis devenu. Je devrai retourner voir Pulinn pour m’enquérir de sa vie actuelle, une fois de retour à Kendra Kâr. Si d’aventure j’y reviens, bien sûr. Qui sait si je ne trouverai pas d’ici là un coin où m’installer, de nouveaux rivages à visiter, plus distrayants encore que ceux de Yuimen. Je n’ai jamais été du genre à me fixer, que ce soit aux personnes ou aux lieux. Et ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer.
Kerenn, donc, me fait part de ses théories sur la disparition des dieux, et le lien qu’il voit avec les éléments sur lesquels nous allons enquêter. Il dit ne pas croire en leur mort, et fait un rapprochement avec le fluide de Vision ayant amené à la destruction d’Eden, le monde d’origine des Sindeldi. Je fais la moue à son annonce, mais le laisse poursuivre sa pensée jusqu’au bout avant de répondre. Et la suite ne manque pas de me surprendre : il annonce, de but en blanc, que Sithi l’exilée pourrait être la déesse liée à ce monde, qui tenterait de refaire surface en « drainant » la magie des élémentaires. C’est un peu tiré par les cheveux, mais ça suit une certaine logique. Je ne déments pas, mais mais un frein à ses dires.
« Nous sommes hélas dotés de trop peu d’informations pour faire de telles conclusions à l’heure actuelle… mais c’est une hypothèse qu’on ne peut pas exclure. Une parmi de probables nombreuses autres. »
D’ailleurs, l’une d’elle me percute l’esprit, distillée selon la sienne propre, et basée sur un rapport très simple, au final, avec les informations que nous possédons : les dieux sont morts en se livrant une guerre fratricide. Et les sindeldi ont disparu à la même période de la surface de ces lieux. Et si… et si les nôtres étaient ces dieux déchus ? Si, à l’époque, les gris avaient tellement impressionné les peuples d’Elysian de leur grand savoir technologique que ceux-ci s’étaient mis à les vénérer comme des divinités vivantes ? Un pouvoir divin confié à des mortels, fussent-ils elfes, cela aurait en toute logique découlé sur une guerre. Ce constat est un peu sombre, en vérité, mais assez proche de la réalité. Les elfes d’argent, divinités auto-proclamées d’Elysian. Jillian n’a guerre connu la période de leur faste, mais ceux qui y ont survécu, que nous allons probablement rencontrer… Verrons-ils en nous des dieux ressuscités ? Des élus devant lesquels ils ploieront le genou sans que nous ne le demandions, des sauveurs divins apparaissant en des temps sombres d’inquiétude nationale pour sauver, tels des messies, les peuplades élémentaires du courroux de la trombe magique aspirant les êtres et les choses ? Mais je m’emballe sans doute beaucoup. L’idée de base est notable, ses dérives un peu exagérées. L’une comme les autres, je les garde pour moi. Là encore, aucun élément fiable ne nous permet de l’attester sérieusement. Et pour toute conclusion à ce moment un peu long de réflexion, je réponds à Kerenn :
« La scission du fluide de Vision a détruit Eden. Ce monde-ci m’a tout l’air de bien se porter, pour l’instant. Soyons à l’affût du moindre indice, cependant. »
Mais son regard se fait soudain émerveillé, et attire le mien vers le spectacle qui se présente devant nous. Ilmatar. Après plus d’une heure de voyage sur les plateaux des Crocs, dans les passes et ravines, à travers rocs et forêts, nous voici arrivés en vue de notre destination, capitale des Sylphes : Ilmatar. Une ville à nulle autre pareille, nichée au sommet d’un pic rocheux, épousant jusqu’à la forme de la montagne, comme si la cité elle-même était née des fondations de la terre pour s’étirer en de fines et aériennes tours pour atteindre la pureté des cieux. Une pierre claire la constituait, et ses nombreux sommets, tours pointues, pointaient comme des aiguilles vers le ciel crépusculaire.
Un spectacle magnifique, qui après celle de Kerenn et des autres membres de la compagnie, sait trouver ma béatitude. Si certains trouvent encore la force de poser des questions de dernière urgence quant à notre rencontre prochaine avec la Reine de cette splendeur, ce n’est pas mon cas. Silencieux, je reste coi pour observer le spectacle de cette cité. Dans un murmure, faisant écho à l’admiration toute religieuse de mon confrère gris, je m’exclame :
« Surprenant. Superbement surprenant. »
Elysian recèle bien des trésors, qu’ils soient vivants, tangibles, ou pour le seul regard de celui qui parcoure ces paysages enchanteurs. Une richesse dont bien peu, hormis les aventuriers, peuvent se gausser. Celle du dépaysement. Du bonheur de la découverte, de l’exploration, dans des décors que les plus simples n’oseraient même pas imaginer en rêve. Bon sang que j’aime la vie. Ma vie.
Et sans tarder plus, nous avançons, encore, vers cette mythique cité. Le soir tombe, et nous sommes attendus. D’un pas accélérés, je rejoins les autres dans le rang de notre progression, jusqu’à remonter dès que possible à la tête du groupe, aux côtés du vaillant Jillian Averosa, et de la délicieuse Ixtli d’Elivagar.
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