|
A mes paroles, Yuralria réagit avec une brusque montée d'émotions, visiblement blessée, en colère, à tel point que son tatouage s'embrase d'une lueur bleutée. Ses paroles me révèlent qu'elle n'a pas perçu le sens de mes paroles, la conception Sindel du rôle de chacune et chacun, de l'équilibre entre les hommes et les femmes, lui étant aussi étrangère que pour nous les secrets des Ishtars. J'approuve d'un hochement de tête les paroles de Faëlis puis réponds à Yuralria, calme et posé:
"Notre protectrice Sithi est une femme. Les femmes Sindeldi se trouvent dans l'armée, dans le gouvernement, partout, nous ne les protégeons pas parce que nous les jugeons plus faibles. Nous les protégeons parce qu'elles nous sont chères, surtout, et aussi, c'est certain, parce qu'elles représentent la vie. C'est une femme qui m'a appris à survivre, elle m'a protégé de nombreuses fois, je l'ai protégée de nombreuses fois, alors crois-tu vraiment que je pense comme tu l'as décrit? Ne peux-tu concevoir, et accepter, que nous ayons à coeur de te protéger simplement parce que tu nous es chère, et que tu es importante pour nous?"
Je laisse passer un instant de silence, puis ajoute à propos de ses dernières paroles:
"Je te faisais simplement remarquer pourquoi nous ne pouvions pas savoir quelle place était la tienne en cas de combat, ne te sens pas agressée, ombrageuse amie."
Mais déjà elle reprend sa route, s'éloignant un peu en quête de solitude visiblement, et c'est Faëlis qui vient vers moi pour une confidence qui me tire un sourire franchement sardonique:
"Je suis un rustre, l'éducation laisse à désirer au bagne de Raynna. Mais évidemment, mieux vaut ne pas me le dire en face. Cependant, comme je t'avais pris pour un lâche paon de cour prêt à tomber en pâmoison au premier danger, et que tu es resté bien droit sur ta selle, nous sommes quittes?"
La stupide gamine, à mes paroles, passe par toute une gamme d'émotions très positives comme la haine, la rage, le mépris, la peur, qui une nouvelle fois font luire son regard de la manière la plus malsaine qui soit. Par Meno, celle-là c'est un cas à part, jamais vu autant de complexes dans une si petite carcasse. Elle finit cependant par arriver à une conclusion en s'efforçant alors de dissimuler son abyssal mal-être derrière un masque censément impressionnant et farouche. Mais, totalement incapable de se maîtriser, son flot de paroles ruisselantes d'émotions ruine le fruit anémique de ses efforts d'impassibilité assurée, je l'écoute en haussant légèrement un sourcil, imperturbable.
Folle et sotte de surcroît, ça commence à être lourd pour une si petite carcasse. Enfin, pour achever jusqu'à la dernière bribe sa crédibilité, elle fait volte-face aussitôt son beurre rance étalé, s'attirant une fort jolie réplique de Faëlis qui lui fait remarquer que ce sont ses omoplates à elle qui sont exposées, alors qu'elle vient ouvertement de nous menacer d'une flèche dans le dos si nous osions encore relever le fait qu'elle est une femme. Je ne peux m'empêcher de sourire imperceptiblement aux paroles de Faëlis, répondant à la gosse sur le ton que peut utiliser un adulte qui réprimande un mioche qui a été insolent:
"Une femme? Tu n'as rien d'une femme, pour l'heure tu te comportes comme une gamine prévisible, haineuse et suicidaire. Suis-je le premier Sindel que tu rencontres de ta courte existence, pour ne pas savoir quelle est ta place dans l'ordre des choses? Allons enfant, il suffit maintenant, vas bouder devant si cela te chante, mais en silence!"
Mes yeux s'étrécissent, à l'affût du moindre geste malencontreux de la gosse, mon corps se tend imperceptiblement, prêt à réagir instantanément en cas de danger. J'espère pour elle qu'il lui reste une bribe de lucidité, parce qu'au moindre faux pas supplémentaire je lui colle une rouste à la Ranaise, sans grand déplaisir en y songeant bien. Éliminer cette petite crevure maintenant nous éviterait sans doute bien des ennuis plus tard, je ne la crois pas capable de se comporter sainement. Mais, malgré cela, une certaine répugnance à tuer à nouveau une gosse me retient, tout juste suffisante à empêcher le déferlement de violence ravageur qui malmène les remparts de ma patience. Je sais que je devrais dorénavant me méfier d'elle comme de la peste, mais cela au fond ne changera rien, je n'ai et ne pourrai avoir le moindre respect, la moindre confiance en cette folle, alors par Meno pourquoi ne pas en finir une bonne fois pour toutes, ainsi que je l'ai toujours fait? Peut-être parce que je n'ai pas la moindre intention de la côtoyer plus longtemps que le strict nécessaire, et qu'elle n'a absolument aucune importance à mes yeux, quantité négligeable pouvant être réduite à l'état de repas pour les mouches d'un simple frôlement de lame acérée.
Je ne suis pas venu ici prendre des vies, à priori, mais en sauver, ce qui me change notablement de la plupart des missions dont je me souviens, commencer par égorger comme une truie bien grasse une greluche censée être dans notre camp serait un début légèrement moyen. Oui, mais précisément, je ne la crois pas fiable, incapable de contenir ses pulsions érotiques d'après les regards férocement jaloux et haineux qu'elle lançait à Jillian sur le balcon du palais. Frustrée à mort, probablement, et incapable de juguler sa frustration en public. Une faible et pitoyable petite créature, en y songeant bien, mais par quel déplaisant hasard les miliciens de Tulorim l'ont-ils laissée passer? Bon sang, Yuimen n'est pas à ce point en manque d'aventuriers pour laisser s'engager n'importe quel rat d’égout! Enfin, peu importe, je serai bientôt débarrassé d'elle, d'une manière ou d'une autre, et le plus tôt sera le mieux pour la survie de la mioche.
Faëlis me fait à cet instant plaisamment remarquer à quel point il est aisé de déclencher un incident diplomatique avec un ou une Ishtar, puisqu'il suffit de tenter de le protéger, puis me dit qu'il ne sert à rien de s'inquiéter à propos de l'esprit. Un sourire plus détendu reprend place sur mes lèvres, bien que je continue à surveiller la teigneuse du coin de l'oeil, et j'opine à l'attention de l'Hinïon:
"Oui, soyons prudents, si d'aventure nous lui sauvons la vie ce sera la guerre! Pour l'esprit, je ne m'inquiète pas, je m'efforce peu à peu de me constituer une trame de ce monde, d'en comprendre les rouages, les forces en présence, leur nature, leurs capacités, leurs faiblesses aussi. Vieille habitude de soldat, je suppose. Et toi, que faisais-tu, avant de t'engager pour cette mission?"
L'Hinïon pose ensuite une question sur l'état d'affaiblissement des Élémentaires du fait de ce drainage, nous savons déjà que leur pouvoir sur les éléments a faibli et continue à décroître, mais qu'en est-il d'eux en personne, quelle influence cela a-t'il sur leur vie de tous les jours, sur leurs corps, au-delà des bouleversements climatiques à venir? Aaria nous a dit qu'il était possible qu'ils disparaissent si le drainage n'était pas interrompu, mais sont-ils déjà physiquement affaiblis, si tant est qu'on puisse parler de physique concernant un élémentaire? Je pense que l'on peut, Yuralria avait un corps tout ce qu'il y a de plus matériel lorsque j'ai eu contact avec elle, mais de même que les Sylphes peuvent prendre une forme éthérée, les Ishtars peuvent-ils devenir des ombres, ou au contraire des lumières? Et les Ekhiis devenir de feu? Le pourront-ils toujours si le drainage se poursuit? Hum. Je rajoute ma petite question à celle de Faëlis:
"Je me demandais, Yuralria, pour les Sylphes par exemple, est-il plus facile pour eux de garder leur forme matérielle, celle éthérée, ou cela ne change-t'il rien? Et ce drainage, a-t'il directement une influence là-dessus? "
_________________
Kerenn
Si vous ne parvenez pas à trouver la vérité en vous-même, où donc espérez-vous la trouver?
Zenrin Kushu
|