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Alors que je marche vers le corps principal des ruines, les paroles d’Ixtli concernant sa non-venue le matin pour me quérir pour sa quête me reviennent à l’esprit. Pas le temps. Je devais voir Terhenetar. Je comprends ses dires, même si ça ne me semble pas être des excuses satisfaisantes. L’urgence de la situation était bien réelle, indubitablement. Mais ça n’aurait guère pris de temps de me quérir dans ma chambrée pour nous téléporter alors ici, près de cette cité délabrée. Quant à Terhenetar… Je gage que le lupin spirituel aurait sans peine pu attendre que cette urgence menaçant l’intégrité de toute la région soit passée. En plus, du temps j’en ai à revendre : mes pairs sont partis pour d’autres cités, se trouvant parfois à plusieurs jours de marche. Reporter mon entrevue, fut-elle riche en expérience et apprentissages, au lendemain n’aurait pas changé grand-chose. Ainsi, je demeure peu convaincu, même si je n’en laisse signe paraitre alors que je la porte contre moi.
Elle en été surprise, dans un premier temps, puis a semblé s’en accommoder et a sauté sur l’occasion pour prendre un peu de repos dans mes bras, les mains autour de mon cou pour s’assurer un équilibre, et la tête posée sur mon épaule.
Pendant la marche, et avant d’arriver à destination, elle commence à répondre à mes nombreuses interrogations. Ainsi, j’apprends que si elle s’est rendue ici, c’est à la fois pour se rapprocher du volcan et parce qu’elle aime ces lieux, tout simplement. Une fois encore, je suis peu convaincu. L’endroit est dangereux. Pour l’avoir parcouru sans doute de nombreuses fois, elle devait savoir à quoi elle s’exposait, ainsi seule et sans escorte. Elle porte autour du cou un pendant d’Uraj, semblable au mien. Elle aurait pu sans peine se rendre dans un endroit plus sûr où œuvrer sans risque. Mais peut-être est-ce là ce qu’elle aime : le risque. L’inconscience. Ou s’est-elle simplement dirigée ici sans réfléchir plus avant, pressée par l’urgence de la situation et la pression de ses fortes responsabilités. Seule. Je suis surpris qu’Aaria n’ait fait mander personne pour l’épauler, elle qui était au courant de son départ et de ses projets. L’abus de confiance peut nuire, parfois… Et aujourd’hui, ça a failli être le cas.
Au sujet des ruines sindeldi, et du fluide qu’elles abritent, elle me renseigne sur le manque de connaissances sur Elysian pour déplacer ceux-ci. Je ne suis pas sans ignorer que nous en possédons la théorie et la pratique sur Yuimen, mais je n’ai jamais assisté à un tel travail, ni n’ait aucune idée des moyens mis en œuvre pour se faire. Même en en connaissant le secret, ça ne doit pas être simple. Quant au fait de n’avoir pas restauré la ville, elle annonce qu’ils n’auraient pas eu les moyens de restaurer celle-ci en plus des autres, ni de la maintenir en activité correctement, par manque d’habitants. Le projet semble pourtant présent dans son esprit, et elle émet l’hypothèse d’une probable reconstruction, quand la menace d’absorption de la magie et de la guerre entre hommes et élémentaires sera passée. En vérité, ce n’était pas vraiment là ma question, et je le lui fais savoir aimablement.
« Non… Je veux dire… Vous avez choisi de reconstruire Ilmatar, Elivagar, Nyix… Pourquoi ces cités-là plutôt que celle-ci ? »
Ma demande portait sur le choix des autres villes à la place de celle des sindeldi. Était-ce un lieu sacré ? Maudit ? Mes pensées font écho à celles que j’ai eues plus tôt, concernant les dispositions stratégiques des capitales élémentaires. La possession d’un fluide spatial n’en faisait-elle pas une priorité ? Et pourtant, un terme a attisé ma curiosité dans son discours.
« Vos cités, dis-tu ? J’ai lu dans un ouvrage qu’il s’agissait de villes humaines, à la base, que les élémentaires ont reconstruites suite à la Grande Guerre des Dieux. Est-ce que des humains ont été changés en élémentaires, et gardé une préférence pour leur ville d’origine ? »
Si les elfes gris ont été décimés intégralement, ça explique que nul ne se soit intéressé à celle-ci. Nous arrivons d’ailleurs à proximité des ruines, et la jeune ondine me demande de la poser par terre, ce que je fais sans rechigner. Elle semble apte à marcher, même si je l’encourage d’un geste à s’appuyer sur mon épaule pour avancer dans ces ruelles rongées de caillasses et d’herbes mottées de terre. Elle le fait d’elle-même, par ailleurs. Mon regard, alors qu’elle prend la direction des opérations et de notre visite des lieux anciens, se perd dans les vieilles bâtisses qui nous entourent, autrefois prestigieuses et aujourd’hui rongées par une nature reprenant peu à peu le dessus, comme pour marquer son territoire. Ça a dû être une ville majestueuse et impressionnante, à l’époque de son âge d’or. Peut-être même plus belle et grande qu’Ilmatar elle-même. Car ainsi sont les miens : fiers et esthètes. Dotés de connaissances technologiques permettant à l’art de se sublimer entre leurs doigts. Mes arts à moi sont bien différents de ceux de mon peuple. Là où la science, la magie, la rigueur militaire et la religion sont les domaines des gris, les miens se rapprochent plus du meurtre, de la séduction, de l’aventure et des arts de la guerre. Notre seul point commun, finalement, est de magnifier ça entre nos doigts. Et cette petite pointe de fierté que certains membres, comme Kerenn le géant couturé, portent haut dans leur cœur. Je l’étais davantage, dans le passé. J’étais alors inconscient, insouciant et trop inexpérimenté. Mes aventures m’ont souvent brossé à rebrousse-poil, me faisant revenir sur mes positions. Car j’ai vu la bonté, l’efficacité, la beauté dans bien d’autres espèces, d’autres peuples que le mien. À dire vrai, je crois moins connaître les gris que je ne connais les tulorains, les kendrans, les shaakts de Caïx ou les gens des déserts d’Imiftil. Les rares sindeldis à qui j’ai eu à faire ont tous été des reclus, des aventuriers, des voyageurs loin de leur demeure. Un jour, je devrai me rendre sur le Naora… Mais ce jour n’est pas encore arrivé.
Mais trêve de dérive : je suis dans l’antre d’une civilisation décimée, sur Elysian. Du haut de leur superbe, ils sont tous morts. Alors que nous avançons vers un bâtiment qui semble un peu plus intact que les autres, tout cerné d’une impeccable colonnade blanche, à peine ternie des lierres qui en tapissent certains contours, je pose une question à l’ondine.
« Quel était son nom ? Comment se nommait alors cette cité ? »
À moins que ce secret n’ait été enfoui dans les limbes du temps, Ixtli doit sûrement être au courant, elle qui dit aimer ces lieux.
Nous pénétrons les lieux, grandioses tant du dedans que du dehors. Oui, la nature a repris ses droits ici aussi, mais… si peu finalement. Et cela ne sert qu’à sublimer la beauté à la fois simple et sophistiquée de l’endroit. La lumière, ici, était presque irréelle, transperçant de rayons visibles des verrières ternies, mais pas totalement, par les affres du temps. Nous montons un escalier, sous les directives de l’Aigail, et nous parvenons à un espace aménagé précédemment pour entreposer des paquetages et, apparemment, monter un camp provisoire. Un lieu qu’elle doit bien connaître. Elle affirme, s’installant, que le lieu regorge de secrets, et que nombre d’entre eux n’ont été découverts. Elle témoigne avoir appris de sylphes, un jour, la présence de mystérieux souterrains sous la cité. Et qui dit souterrain dit… trésors de découvertes à faire ! Mon esprit aventureux s’emballe, et je m’empresse de la questionner :
« Vraiment ? Ont-ils trouvé des entrées à ceux-ci, sans oser y pénétrer ? En connais-tu, toi ? Je suis d’un naturel… Curieux, et me sens avide d’en découvrir les secrets. Tu sembles en sécurité ici, et il vaut mieux que tu te reposes un instant. Crois-tu leur exploration possible, pendant ce temps ? »
Lui parlant, je m’approche de son visage pour en caresser la joue. S’il est des choses à savoir sur l’endroit, elle les connaît sans doute. Sans que j’en sache la raison, elle semble liée à l’endroit, d’une manière ou d’une autre. Comme elle l’est à Ilmatar.
[HJ : 1366 mots]
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