S'enfuir de cette chambre, sortir du couloir, s'échapper de la demeure. Prendre une profonde expiration. Expirer la peine, la peur, la rage. Retrouver Arana. Honorer Ythan. Protéger le coffre. Atteindre Oranan. (Je ne sais même pas ce qu'il contient, mais si cela compte pour Valyndra… Quant à Arana, j'aurais dû lui demander où le retrouver...) Tandis qu'elle déambule dans les rues de la ville haute, un cri perçant déchire l'atmosphère paisible de ce quartier pourtant réputé calme. Inès se rue comme elle le peut en direction des hurlements qui se transforment en sanglots de rage et d'horreur. Après avoir tourné dans tous les sens, elle finit par retrouver la scène de désolation. Arana est étendu dans les bras d'une femme au visage rougi par les larmes et la terreur. Autour, les arbres semblent avoir subit une tornade violente, les branches sont brisées, les feuilles sont arrachées. Un coup d'œil rapide sur la scène et la jeune femme rejoint le mage. Son corps est tordu, son visage est contracté, il semble être mort dans une souffrance extrême. "Que s'est-il passé ?!" Inès offre à la femme présente un regard mêlant le désespoir et l'incompréhension. "Je n'en sais rien ! Je suis arrivée après avoir entendu un fracas et je l'ai trouvé agonisant… Je… Je ne sais pas ce qu'il s'est passé…" Elle est tout aussi déboussolée qu'Inès et sanglote sans même réaliser la mesure du drame. "Je dois prévenir Valyndra. Faites porter le corps à l'abri." Sans plus attendre, elle se précipite vers sa demeure. (Dois-je lui dire alors qu'il vient de perdre un compagnon ? Qui va me guider à Oranan ?) À peine entrée, elle est arrêtée par sa mère. Pas un mot ne sort, mais Inès a compris. Il est passé à trépas, lui aussi. Son cœur se serre puis s'emballe, pire qu'en plein entraînement. Elle s'emporte : "Non, non, non ! Ce n'est pas possible ! Je dois encore lui parler ! Juste un peu…" "Inès !" La voix du père tonne dans le vestibule. L'ensemble de l'assistance garde silence et observe la scène. "Ton attitude est indigne, voire grotesque." Inès réalise qu'il y a bien du monde déjà présent dans la demeure et tous la regardent avec gêne et tristesse. Elle baisse la tête, honteuse, et se dirige, après avoir bafouillé quelques excuses, vers l'aile ouest à grandes enjambées.
Arrivée devant la porte, elle l'observe avec attention. De nombreuse fois elle était restée bloquée devant cet imposant barrage, se demandant les secrets qui pouvaient y être enfermés et, aujourd'hui, il allait être temps de le découvrir. Elle fait tourner la bague donnée peu de temps avant par son aïeul et observe l'immense et épaisse porte en bois sculpté. Cinq panneaux la compose, un central autour duquel se développe les quatre autres. L'histoire des Hiniöns y est relatée, depuis Nayssan jusqu'à Cuilnen, en partant de l'angle supérieur gauche jusqu'à l'angle inférieur gauche. Certains épisodes lui sont inconnus et malgré une attention soutenue, elle ne parvient pas à les déchiffrer. La partie centrale est d'autant plus sibylline : des ailes déployées sous lesquelles est gravé ce qui ressemble à un serpent, lui-même encadré par une épée, un bâton noué et un archer de violon. Elle laisse glisser ses mains sur le bois, cherchant une encoche ou un mécanisme activant son ouverture. Mais rien n'y fait, le secret est gardé par un mort. (Tu trouveras comment faire… Ou pas.) À nouveau, elle détaille la porte, s'aidant de sa bague pour chercher la solution à l'énigme posée par son grand-père. Le panneau central lui semble être l'endroit le plus adapté pour accueillir une serrure et chaque recoin est passé au crible. Nul emplacement offre un réceptacle convenable pour la bague.
(Sans coffre, sa dernière volonté ne pourra être exaucée... Il doit bien y avoir une solution !)
Dépitée, elle se laisse glisser dos à la porte et bascule la tête en arrière. Le décor n'en est que plus exubérant et foisonnant. Les sculptures à sa gauche lui racontent une histoire inconnue et seuls quelques éléments lui sont familiers. Une forge, la reine avec sa couronne, un serpent...
(Mais oui ! Là !)
Brusquement, elle se retourne et, agenouillée, elle place la pierre sur la queue du serpent, dans un creux à peine visible, surtout quand on se tient debout, face à la porte. Un cliquetis léger sonne, aux oreilles d'Inès, comme les trompettes de la victoire et l'ouverture se dévoile enfin à elle. Sitôt passée, la porte se referme derrière elle.
Le couloir secret est sombre et c'est à tâtons qu'elle parvient à une seconde porte, verrouillée elle aussi.
(C'est un trésor que nous gardons là ?!)
Sans lumière, la voici de nouveau à palper l'obstacle se dressant devant elle qui, à sa grande surprise, est totalement lisse. Rien ne semble vouloir accueillir la bague. Elle tente sur l'encadrement puis sur les murs adjacents, aussi lisses que le marbre. Elle aurait bien utilisé son épée mais cela aurait manqué de tact et de respect ; tant envers son grand-père qu'envers sa propre intelligence.
Les hiniöns, et les elfes d'une manière générale, sont réputés pour leur placidité mais, dans la situation présente, Inès commence à perdre patience. Ouvrir cette porte et trouver ce coffre est sans aucun doute la première, et la dernière, véritable mission confiée par son grand-père. Ne pas le décevoir est essentiel, tant pour l'honneur que par fierté. Après tout, il aurait pu demander à son père, ou son fils, tout dépend du point de vue. Un regain de motivation l'emplit, droite devant la porte elle se souvient des histoires qu'on lui lisait étant enfant et énonce à haute voix :
"Sésame, ouvre toi !"
Rien ne se passe.
"Ça aurait été trop simple…"
Elle pousse sur la porte, aucun effet. Elle toque, rien non plus. Dépitée, elle lâche un profond soupir. La porte coulisse.
"Quoi ?" Les yeux écarquillée elle observe le spectacle. Devant elle, une salle étroite et éclairée par elle ne sait quelle magie au milieu de laquelle se trouve un coffre. LE coffre. Installé sur un piédestal, il ne semble attendre qu'elle.
(Encore un piège avant de pouvoir le prendre ?)
Elle saisit les anses à pleines mains et… le porte sans encombre, malgré son poids conséquent.
(Oh ?)
Penchée en arrière, le coffre collé contre les hanches et avec une démarche ridicule, la voici repartie vers la sortie. La porte intérieure étant toujours ouverte, elle se glisse sans encombre dans le couloir encore légèrement éclairé par la salle. La porte principale, par contre, lui présente à nouveau résistance. Elle dépose le coffre à ses pieds et recherche une aspérité , au niveau de celle qu'elle avait déjà trouvée, mais la porte est lisse. Elle souffle sur la porte, espérant reproduire le miracle précédent, en vain.
"C'est quand même dingue cette histoire ! Si je suis parvenue à rentrer, pourquoi ne pas me laisser ressortir tranquillement ?!"
Elle toque à nouveau, elle pousse, elle ordonne. Aucun effet. Elle retourne dans la salle, à la recherche d'un indice ou d'un ustensile qui puisse la venir en aide, mais la salle est aussi vide que le crâne d'un sekteg. Elle revient donc sur ses pas et attend devant l'issue fermée, cherchant un moyen de s'échapper.
(Je vais finir par mourir ici si je ne trouve pas une solution…)
Aucune idée ne lui vient à l'esprit. Elle hurle.
"HÉHO ? Y'A QUELQU'UN ?!"
Elle colle son oreille au bois et n'entend qu'un silence de mort.
"HÉHO ? JE SUIS DERRIÈRE LA PORTE !"
Avant d'ajouter, quelque peu dépitée : "De toute façon, ils ne pourront pas ouvrir…"
Elle se laisse tomber au pied de la porte et commence à s'intéresser au coffre qui lui cause déjà tant de soucis. Il est relativement simple bien qu'il y ait, sur le dessus, le même dessin que sur le panneau central menant au couloir. Elle essaie, bien évidemment, d'ouvrir le coffre, verrouillé lui aussi.
(Décidemment !)
Elle attend, encore et toujours. La lumière finit par s'éteindre, laissant Inès dans le noir complet.
"Super…"
À peine a-t-elle prononcé ce mot que la porte se déverrouille. Il suffisait d'attendre que la lumière disparaisse pour revoir celle du jour.
(C'est une blague ?!)
Debout d'un bond, elle reprend le coffre et quitte le couloir sans se faire prier. Elle rejoint la salle de réception où se trouvent sa famille et les amis, ou connaissances, de Valyndra. Tous sont en profond recueillement, sous le choc de la disparition de ce dernier. Elle pose le coffre sur le côté de l'embrasure et fait un signe discret à son père. Sitôt il la voit, il la rejoint et chuchote : "Mais où étais-tu passée ?"
"Dans l'aile ouest." "Pardon ?" "Tu as bien entendu, dans l'aile ouest. J'y ai récupéré ce coffre." Elle le désigne du doigt. "Comment es-tu rentrée ?!" "C'est une longue histoire, grand-père m'a aidée." "Ne dis pas de sottises ! Je sais que sa mort t'affecte, mais il ne peut être venu à ta rescousse…" "Non non ! Il m'a confiée comment m'y rendre… Enfin, plus ou moins. Il m'a aussi demandée de porter ce coffre à Oranan. Je pars aujourd'hui." "QUOI ?!" L'interjection s'est échappée sans retenue et attire l'attention des présents. Il tire sa fille à l'écart, loin des regards curieux et poursuit à voix basse : "Mais tu ne peux pas partir comme ça ! Et pourquoi t'aurait-il demandé ça ?" "Bah ça, je n'en sais rien… Mais je lui ai promis d'accomplir sa volonté." "Tu ne peux partir ! Ses funérailles auront lieu dans trois jours. Tu dois l'honorer !" "Je l'honore en accédant à sa demande. Vous ne m'empêcherez pas de partir !" "As-tu pensé à ta famille ? Sais-tu même comment tu vas faire cette route ?" "Oui, j'y ai pensé, mais je croyais que vous comprendriez à quel point c'est important. Il s'agit de la dernière volonté de Valyndra… quant à savoir comment je vais me rendre à Oranan, j'avoue n'en avoir aucune idée, mais je trouverai bien."
Îshimak passe sa tête par l'encadrement de la porte et fait un signe à Arondâr qui le rejoint prestement.
"Ta fille compte partir à Oranan avec un coffre récupéré dans l'aile ouest. Elle prétend que c'est la dernière volonté de Valyndra."
S'en suit un dialogue, qui ressemble plus à une dispute chuchotée, qui mène, finalement, à un accord difficile.
"Demande aux Sinaris de t'accompagner. Je les paierai pour le service rendu."
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