L'intérieur de la maison était sombre, entassé et malodorant. Les chats de toutes races et couleur étaient omniprésents, en dessous et au dessus des meubles encombrés, miaulant à tout va et parfois se battaient même entre eux. Azraelle les dégageait à coup de botte et criait d'une voix stridente sur les chatons joueurs. Hrist trouvait la gobeline étrange, plutôt singulière et avait du mal à se faire un avis, était-elle ou non une menace. Quelques chats curieux s'approchèrent de la Sindel qui entrait en abandonnant sa cape détrempée. Certains virent à ses bottes en miaulant et en se frottant à elle. Hrist déposa le chat qu'elle tenait en otage, les expressions de la gobeline trahissaient un certain mécontentement face à ce chantage.
« Même les orques ne sont pas aussi brutaux que vous, jeune fille ! Alors, qu'est-ce qui vous amène chez la vieille que je suis ? »Elle invita Hrist à s'installer face à une table encombrée sur laquelle des mois de bougies avaient coulés, emprisonnant dans la cire bon nombre de poils de chats et de mouches étonnées. La tueuse repoussa trois félins curieux et s'installa, faisant bonne mine.
« Le vieil Occulus m'a dit que vous étiez en possession d'information sur une arme, une arme ancienne et convoitée. »« Par la barbe de ma soeur ! C'est la vieille rengaine que vous voulez ? » S'exclama Azraelle.
Hrist répondit en bégayant, étonnée :
« Ha, et bien, la vieille rengaine oui. »« Vous n'en êtes pas sûre ? » Beugla la gobeline comme pour se faire entendre par dessus les miaulements incessants. La vieille préparait une marmite en fonte cabossée dont un des pieds était cassé. Le feu dans l'âtre était encore bien chaud mais rien ne cuisait dessus.
« Si, si c'est bien cette arme dont je parle. »« Faites donc plaisir à la vieille Azraelle et partagez un rechat avec moi, je vous en direz davantage. »« Repas.» Ponctua Hrist.
« Comment ? »« On dit un repas, pas un rechat. »Mais la tueuse eut à peine le temps de faire un sourire sarcastique que la vieille Azraelle attrapa un chat par la patte arrière et lui asséna trois coup de marmite. Hrist observait la scène avec des yeux grands comme des oeufs en gelée.
(« Ses parents lui donnaient de l'ammoniac à boire quand elle était petite, ou... »)Puis, Azraelle prit le chat par le dos et ouvrit un tiroir de la table et y coinça la tête du chat puis le referma avec beaucoup de force, plusieurs fois de suite. Hrist de l'autre côté de la table observait les chats s'enfuir et les bougies trembler, la table bougeait doucement vers elle à mesure que la gobeline frappait la tête du chat dans le tiroir.
« Un repas d'chat chez moi, c'est un rechat. Passez donc à la vieille gobeline que je suis votre couteau, les miens sont usés et ce sera plus aisé avec le votre. »Les yeux de Hrist restaient fixés sur les mouvements de la gobeline qui accrochait maintenant le chat mort à une lanière de cuir suspendue au dessus de la table. Hrist, hésitante au début, se décida à glisser doucement son arme sur la table, en direction de son hôte.
Ses vieilles mains de la gobeline s'emparèrent de la lame et avec une impressionnante dextérité, trahissant une certaine habitude, elle découpa rapidement le chat, lui ôtant la peau puis ouvrit son ventre et sépara les bons organes des mauvais. Faute de place, elle enroula même les intestins autour de son cou. La flaque de sang provoquée par cette boucherie se répandit sur la table, faisant suffoquer quelques bougies et de temps à autre, Azraelle jeta un organe dans la marmite en marmonnant à grosses dents un chant gobelin.
Hrist se sentait quelque peu mal à l'aise.
« Vous savez... Je pense que vous avez à faire avec tous vos... Chats. »
« Pas question de vous dérober ! Vous ne trouverez pas meilleur mets ailleurs que chez moi, regardez ces beaux morceaux, regardez ! REGARDEZ !» Hurla-t-elle en mettant sous le nez de la femme quelques tranches de chat encore sanguinolentes.
Hrist glissa doucement sa main sur le manche de sa seconde arme.
(« Non ! »)La tueuse grimaça et lâcha alors sa dague orque, elle avait trop besoin de cette information et Cèles le savait, quitte à ramener sa maîtresse à la raison.
La marmite fut bientôt pleine et la table recouverte de débris, de poils et de petits os qui baignaient tous ensembles dans une flaque de sang noirci. Azraelle alluma quelques bougies tandis que d'autres chats, voyant que le repas était terminé, revirent timidement. L'un d'eux grimpa même sur les genoux de Hrist et ronronna, paisible. Bien que la Sindel soit d'ordinaire peu avenante envers les animaux, elle se prit au jeu et grattouilla les oreilles de chat en pâmoison.
« La Vieille rengaine est une arme antique, appréciée des assassins pour son nom et sa qualité, autrefois forgée par des humains, elle a été dans les mains de toutes races. Les rumeurs parlent de Kendra Kâr, là où elle fut perdue lors des conflits opposant des groupes d'assassins, mais elle est à Omyre, les Orques la garde comme trophée à l'arène des mille-lances. Elle est en possession du plus grand champion d'Omyre. Seul celui qui pourra l'occire sera digne de la prendre en main. Des générations et des générations se battent comme des chiffonniers pour espérer l'avoir. Et la plupart se font souvent tuer à cause d'elle, ou par elle. » Le feu ronflait doucement sous la marmite qui dégageait une odeur plutôt agréable, même mélangée à l'ambiance compacte et puante de l'urine des chats.
(« Sans déconner... Elle est siphonnée la vieille ? Une collection de chat qui lui servent de garde-manger. Quoique, la viande doit pas être monnaie courante ici. Dans certains quartiers ils mangent même les cadavres de leurs enfants. »)Hrist continuait à caresser le chat qui bougeait la queue de gauche à droite tout en fixant le vide. Sa maîtresse n'ayant probablement pas pour habitude de câliner ses repas.
« Si vous voulez cette arme, il vous faudra vous battre dans l'arène. Et vous y trouverez de tout, des loups, des esclaves et trolls et des soldats orques prêts à en découdre, pour la dague ou pour le prestige. Mais suivez mon conseil, n'y allez pas, sitôt que vous serez sortie de l'arène avec la dague, à bien vouloir croire que vous l'aurez, un assassin vous tuera et repartira avec. C'est toujours comme ça qu'ça marche ici. Maintenant, mangez avec moi. »Azraelle remplit deux assiettes de grès et s'installa avec Hrist. Elle goûta et estima que ce n'était pas si mauvais, ce n'est que quand on a vraiment connu la faim apprécie un repas chaud. Le chat sur les genoux de Hrist, vexé de cette distraction commença doucement à se faire les griffes sur sa robe achetée il y a peu. Hrist, qui ne le chassa pas tout de suite, essaya à peine de le repousser. Faute de réussir à déplacer le félin elle lui tira les poils de l'arrière train pour le faire partir.
« Mwaaaaou ! »
« Suffit ! » Gueula la vieille gobeline en jetant un reste de bougie sur le chat qui se carapata à toutes pattes dans un coin sombre de la maison. Elle marmonna toute seule dans sa barbe et porta à ses dents un morceau d'os charnu qu'elle décortiqua dans un bruit qui aurait dégoûté un cannibale. Mais Hrist avait trop faim pour avoir l'appétit coupé. Elle demanda après une courte pause.
« Et qu'est-ce que vous me conseillez, une fois dans l'arène ? »Azraelle resta observer Hrist à la lueur des bougies, son visage fripé aux petits yeux noirs et brillants bougeait de gauche à droite lorsqu'elle mâchonnait avec soin ce qu'elle avait dans la bouche.
« Ici, jeune fille, lorsqu'on va à l'arène c'est pour satisfaire sa soif de sang. Certains aiment les combats épiques et héroïques, nous, à Omyre, on veut que ça éclabousse et si les premiers rangs ne reçoivent pas une bonne giclée de sang, c'est que c'est raté. Vous vous sentez à la hauteur ? Je ne crois pas qu'une jeune femme ait sa chance face aux guerriers orques, même une femme aussi... Étrange que vous. » Une bagarre de chats éclata derrière la gobeline qui se retourna.
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Hrist affronta de nouveau la pluie. La chaleur de la maison avait quelque peu abruti la jeune Sindel qui se dirigeait vers l'arène. Pour ça, il n'y avait pas besoin de connaître la ville, il suffisait juste d'écouter.
Dans la maison qu'elle quitta, la porte encore ouverte, gisait Azraelle Mercuria, la tête enfoncée dans son assiette de grès, une tranchée béante dans la gorge. Autour d'elle, quelques chats rancuniers virent lui donner des coups de pattes et faisaient leurs griffes avec ses doigts qui pendaient de la table.