Message à caractère très violent. Public non averti éviter toute lecture.Massacre au détour d’une ruelle.
Le pas lourd, lent et vaste, Gurth parcourait les rues sombres de la capitale d’Oaxaca. Errant sans but autre que de découvrir les délices macabres d’une cité du mal, entièrement dédiée au chaos et au désordre, il cherchait sans trop le vouloir à affirmer sa présence en ces lieux. Jamais il n’avait senti aussi fort la présence de Thimoros en un endroit. Véritables cloaques sanguinolents, certaines ruelles n’étaient qu’un conglomérat hideux de corps défunts mêlés à la fange et au sang. Des mendiants, à peine vêtus de frusques élimées et trouées, gisaient sur leur séant, n’osant réclamer l’aumône aux passants effrayants, sous peine de ne récolter que des coups. La peau sur les os, fêlée de blessures infectées aux odeurs nécrosées, ils attendaient que la mort vienne les cueillir, d’une manière ou d’une autre.
Au détour d’une ruelle, un cadavre avait attiré son attention. Sur le dos, la peau livide et boursouflée, il était nu et offert aux regards. Le visage fermé, les yeux vitreux baignant à moitié dans la boue noirâtre qui couvrait le sol. Son ventre était enflé, comme s’il avait ingéré quelque poison avant de passer de vie à trépas, ou que la maladie inondait son être et l’enflait d’infection.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Gurth s’était un instant ému de la beauté que pouvait revêtir la mort. Une beauté dépassant toute autre, et qui ne pouvait être égalée que par la violence de la mort en question, juste avant que le corps ne tombe en paix, se déchirant de l’âme damnée et en colère qui alimentait la magie de l’ombre. Il caressa les crânes à sa ceinture, en guise de prière muette et respectueuse envers le grand Phaïtos, détenteur des secrets de cet élément qui lui plaisait tant.
Il avait donc parcouru ces ruelles nocturnes et pluvieuses, à la recherche d’autres spectacles d’une telle qualité. Et il n’avait pas été déçu. Une bagarre sanglante de garzoks en pleine lutte de pouvoir, un shaakt méprisant qui corrigeait un esclave à coup de fouet aux queues barbelées. Il s’était arrêté, un instant, pour voir ces lambeaux de peau et de chair virevolter dans les airs et retomber mollement sur les pavés rougis de sang, au rythme des plaintes effrénées de l’homme – mais en était-ce encore un ? – qui se faisait ainsi torturer.
Plus tard, il s’était retrouvé dans un quartier plus paisible, en apparence du moins. Aux heures les plus sombres de la nuit, sous ce ciel masquant toute lumière, sous cette pluie occultant toute envie, dans cette ville emportant toute vie, il s’était retrouvé face à un importun, qui allait sans aucun doute lui permettre d’à son tour donner un coup de pinceau à cette œuvre globale et infinie qu’était devenue pour lui, en si peu de temps, cette capitale. L’individu était posté à l’entrée d’une ruelle où semblait se dérouler une échauffourée. Sombre et étroite, il fallait s’en approcher pour visualiser la bagarre en cours, chose que Gurth avait fort envie d’ajouter à son panel de visions agréables. Rien de tel qu’un brin de violence sanglante, au cœur d’une nuit sans lune. Un spectacle que le malotru ne semblait pas à-même de le laisser participer en qualité de spectateur averti. Sans considération pour sa grande taille, ses mains immenses et son air patibulaire, le jeune humain à la gueule couverte de cicatrices boursoufflées apostropha l’Ogre sans ménagement.
« Hé, gros lard, fous-le-camp d’ici tout de suite. T’as rien à faire là. »Peu impressionnable, le larron dégaina une vieille dague pour accompagner ses mots, menaçant. Prenait-il Gurth pour un obèse infirme et impotent ? C’aurait été là son ultime erreur en ce monde, car un sourire carnassier, dévoilant des dents larges et blanches sur des gencives trop rouges, se dessina sur la face du géant. Les sourcils broussailleux se froncèrent sur les yeux pâles, dans un rictus mêlant haine et satisfaction. Le bandit ne vit pas la main énorme de Gurth qui lui retourna une gifle en revers sur la joue, puissante, terrible. Le jeune homme fut projeté par terre par la force du coup, et il s’en tira à bon compte de n’avoir tout simplement pas eu la nuque brisée sous le choc. Le coup, Gurth l’avait senti raisonner dans ses doigts, dont le derme épais picotait encore un peu. Un délice. Il grogna sous sa capuche de cuir, la rabattant vers l’arrière pour que son adversaire un peu trop téméraire voit qui il avait osé attaquer. Le crâne chauve révélé, le mioche d’une vingtaine d’années se releva, énervé.
« Putain mais t’es un gros malade toi ! J’vais t’planter, fils de pute. »Sa mère, bien qu’il ne l’ait jamais connu, n’était pas une prostituée. Mais il l’avait pourtant toujours considérée comme telle. Quoi d’autre, sinon, pour une femme qui n’avait fait que mourir en le mettant au monde, l’abandonnant entre les griffes d’un père cruel qui lui en voulait ? Il cueillit l’injure sans que ça ne lui fasse rien, et se réjouit d’avance de la menace proférée par le jeune abruti leste qui n’avait pas saisi la menace qu’il représentait. Un gros en robe, apparemment désarmé. Oui, il avait des mains comme des battoirs, et des bras plus épais qu’un gourdin garzok, mais ce n’était qu’un vieil obèse barbu. Un infirme, à bien des égards. Le jeune coq le voyait comme ça, en tout cas, lorsque fébrile et hargneux, il se lança, dague à découvert, sur la carcasse verticale de l’Ogre. Et sans doute cet assaut, vif et violent, aurait-il abouti, si Gurth Von Lasch n’avait pas en lui le sombre pouvoir des fluides d’Ombre. Aussi lorsque le tulorain invoqua son pouvoir de main sombre, laissant apparaître une main ténébreuse et fumeuse formée des âmes tourmentées des défunts du coin, la surprise cueillit le téméraire en pleine course, et lorsque ses pieds se soulevèrent de terre, il ne put retenir un couinement douloureux.
La main de Gurth s’était levée en même temps, mimant les gestes de sa paluche magique qui enserrait la gorge du brigand. Sa dague était tombée par terre dans un bruit métallique, et à part les trois autres gredins dépouillant une cible facile, il n’y eut plus comme bruit dans cette ruelle que les suffocations ineptes du balafré. Sa gorge, serrée par des doigts brumeux, ne libérait ni ne laissait entrer la moindre parcelle d’air. Des borborygmes baveux sortaient de cette bouche intrépide et insultante, semblables à ceux qu’un roquet ayant mordu sa proie et ne voulant la lâcher ferait. La panique se lisait dans ses yeux révulsés, qui tournaient frénétiquement dans leurs orbites en cherchant une issue qui ne viendrait pas.
Ses potes se rendaient compte que quelque chose clochait. Leur guetteur était en train de se faire pulvériser par un gros inopportun. Deux d’entre eux délaissèrent leur victime déjà vaincue, apparemment, et se ruèrent vers l’entrée de la ruelle.
« Eder, qu’est-ce que tu fous ? »Ils le surent bien vite, se tournant vers l’ogre avec terreur, voyant le corps de leur compagnon s’effondrer inerte, mort dans sa propre urine, le visage crispé de peur dans une dernière expression horrible, la gorge marquée de marques noirâtres, stigmates de la cruelle magie d’ombre. Un dernier gargouillis sortit de sa bouche grande ouverte et sans tonus, qui sonna la charge des deux autres. L’un fut plus rapide que l’autre, qui avait du mal à courir avec le plein potentiel de ses jambes, puisque ses braies avaient une tendance certaine à lui tomber sur les genoux, du fait de la ceinture qu’il avait débouclée, témoignant de la nature ses activités envers la victime, sans doute féminine, de leur petit quatuor. Un spectacle dont Gurth se serait pourtant régalé, et dont les cris échappés auraient illuminé cette journée déjà fort agréable. Le premier qui fut sur lui était plus âgé que le jeunot mort de l’avoir trop ouverte. La trentaine bien tapée, il était borgne et un nez enflé et rougeaud attestaient de son penchant avéré pour la vinasse des bas quartiers. Une tignasse poivre et sel teigneuse et parsemée de poux et de trous d’un cuir chevelu crouté d’avoir été trop gratté. Une bague encore rougie du sang de la demoiselle brillait à son annuaire. Un homme marié ? Un noble gradé ? Un riche déchu d’une longue lignée ? L’Ogre n’en avait que faire. Le sang qui coulait dans ses veines allait à son tour se répandre sur le sol de la ruelle. Il avait dégainé une petite épée une main, au tranchant douteux qui aurait mérité plus d’entretien. Il jeta, à son arrivée, un regard effrayé vers la montagne de chair qui stagnait devant lui.
Il attendit le second, qui avait appelé le jeunot, et qui arriva à leur hauteur en remontant son pantalon et en en raccordant les bords pour ne plus qu’il tombe. Celui-là, du même âge que son confrère, n’était pas plus beau à voir. Une tignasse noire et grasse attachée en queue lâche à l’arrière de sa nuque, une barbe hirsute tombant sur un buste poilu révélé par une chemise crasseuse entrouverte sur un torse néanmoins puissant. Des mains aux ongles longs et noirs de crasse. Celui-là maintenait entre ses doigts un bâton noueux servant autant d’arme que d’appui. Il semblait que son pantalon nait pas été pas la seule raison de son retard : quelques pansements poisseux entouraient l’une de ses jambes, où une vieille blessure devait s’être infectée, et commençait à puer la rage. Celui-là s’écria :
« Merde, c’est toi qu’a fait ça à Eder ? Tu vas l’regretter, aussi grand qu’tu sois. »Et il arma son arme pour en frapper le flanc de Gurth, qui se laissa faire sans bouger. Le coup lui meurtrit la graisse, et laissa une ecchymose à hauteur des côtes de l’Ogre, mais il n’en avait cure. La douleur était superficielle. Il l’aimait. Elle faisait partie de lui. Lorsque le bandit vit que son coup avait à peine ébranlé le géant, il tenta d’en redonner un, mieux placé, droit dans le genou du monstre. Son point faible : ses jambes déjà trop fatiguées d’avoir à soutenir sa carcasse toute la journée. Le choc fut plus cinglant, douloureux, et Gurth se sentit vaciller. Dans un grognement, la masse de son corps s’effondra sur le genou blessé, qui à la rencontre du sol se meurtrit encore davantage, la peau éclatant et le sang giclant sur les pavés mouillés. À la merci de ses adversaires, il n’allait pas se laisser faire. La colère montait en lui, la rage du combat. La trique de bois s’abattit à nouveau sur son dos, à deux reprises, et le plat de l’épée du premier vint le cueillir à l’épaule. Trop lent pour réagir physiquement, mis à mal par les ruées de coups, il grogna une fois de plus, avec davantage de hargne. Et voulant faire souffrir ces crétins ayant cru bon de s’attaquer à un fervent servant des dieux de l’Ombre, il déchaina une fois de plus sa magie.
Quoi de mieux que la cruelle obscurité pour cueillir ces deux hères agressifs ? Un sortilège puissant, qui nécrosait la chair de ses ennemis, la faisait flétrir dans une douleur atroce. L’épéiste eut le bon réflexe de se reculer sitôt les premières sensations de douleurs musculaires apparaître. Il se jeta en arrière, tombant sur son arrière train, et se soustrayant à la magie de l’Ogre qui l’aurait fait couiner. L’autre, en revanche, fut pris en plein dans le sombre sortilège, et vit sa propre chair se chiffonner sous ses yeux, se tordre, se creuser, de marquer de stigmates noirâtres alors qu’elle se flétrissait. Un cri s’échappa de sa gorge, alors qu’il tombait à plat ventre. Et le cri se prolongea en un second, de détresse, alors qu’il roula sur le dos, étreint par le mal.
Gurth eut un moment de répit pour se relever lourdement. Il appuya une main sur son genou, et força sur ses muscles pour retrouver une position debout, douloureuse. Boitant, il approcha de l’homme à l’épée qui s’était reculé à temps. Touché partiellement par sa magie, il semblait craindre l’être capable de lui asséner de telles douleurs. Ses compagnons, l’un mort, l’autre agonisant, lui firent lâcher son épée alors que des larmes coulaient toutes seule sur ses joues.
« Pitié, m’sire, pitié m’tuez pas. »Lâche. Il ne méritait aucune pitié. Son épée tomba sur le sol, et il joignit les mains pour implorer Gurth de l’épargner. Il n’en était pas question. Mâchoires serrées, le grand chauve assembla ses deux mains sur le crâne du brigand repenti, et le souleva de terre pour le plaquer contre le mur d’une maison. Une pointe rouillée dépassant dudit mur écorcha le dos de sa victime, déchirant ses chairs, mais il ne s’en rendit que top peu compte. Il serrait, serrait la tête de l’humain entre ses deux mains puissantes. Il serrait de toutes ses forces, faisant geindre de douleur sa victime se débattant vainement en donnant de maladroits coups de poings et de pieds dans le gras de son ventre et de ses cuisses. Dans un ultime espoir d’en réchapper, il plaqua ses mains sur les avant-bras de l’Ogre pour les écarter. Mais la force elle-même venait de ses mains. Et tremblant sous la pression, il entendit les premiers craquements du crâne qui cédait sous la pression. La calotte crânienne, sous cette chevelure tonsurée et mal entretenue, se fendillait. Il pressa encore, plus fort, alors que l’autre saignait des yeux et des oreilles. Les bruits sortant de sa bouche n’avaient plus rien d’humain, et ses membres pendaient déjà mollement, privés de toute force ou combativité.
Lorsque le crâne céda finalement dans un sinistre craquement, et que sa cervelle fut broyée entre les paumes de Gurth dans un son de succion répugnant, répandant sang et matière grise sur le mur, il lâcha enfin prise, et le cadavre à la tête explosée glissa contre le mur, la pique finissait d’arracher la peau de son dos en une ultime, et bien inutile, plaie ouverte.
Ainsi, il restait celui qui agonisait à moitié, sa chair nécrosée. Sa cane noueuse ne lui servirait plus, ni comme arme ni comme soutien. Il ne se relèverait pas, Gurth s’en fit la promesse. Il était celui qui avait osé le frapper, le mettre à genoux. Il souffrirait. Ô combien il souffrirait, avant de trouver la mort rassurante. L’ogre s’agenouilla à son côté, et l’homme tenta de protéger son visage en ramenant ses bras malmenés par-dessus. Le monstre sanguinaire s’empara de ces mains, les salissant du jus de cervelle de son ancien allié, et les écarta du visage de sa cible. L’effort soufflé chassa la morve de son nez, qui vint s’étaler sur les joues de sa victime. Lâchant une main en l’envoyant se fracasser contre le sol, il se saisit d’un doigt de son adversaire allongé, et le retourna dans un nouveau craquement. Un cri inhumain résonna dans la ruelle. Et un second, lorsqu’un deuxième doigt vint rejoindre le premier.
Maintenant toujours cette main, il rudoya l’estomac du presque-mort d’un violent coup de poing, qui vint s’écraser de tout le poids de l’Ogre dans le ventre du violeur. Le souffle lui fut coupé. Une bonne baffe le cueillit sous la mâchoire. Puis une autre, d’un revers de la main, et le poing de Gurth finalement fermé vint le frapper sur le coin de la joue, faisait exploser sa pommette sous la violence du choc.
« Meurs, ordure ! Meurs ! »Von Lasch hurla sa colère, en avançant à genoux contre sa victime. Il grimpa dessus, écrasant son torse de ses deux-cent kilogrammes de chair, d’os et de graisse. Les côtes cédèrent sous le poids, perforant cœur et poumons, et arrachant les derniers soubresauts de vie de cet être mauvais, qui avait mal choisi la personne à qui il s’adressait. Un rire lugubre sortit de la gorge déployée de l’Ogre de Tulorim, alors qu’il se relevait péniblement dans la ruelle, ensanglanté.
Ses yeux laiteux injectés de sang cherchèrent la victime du viol dans la ruelle. Il lui semblait qu’un quatrième luron était resté avec elle…
La torpeur onirique d’une balade au cœur du mal,
La cruauté sans nom d’un massacre pas banal.