Le profond soupir du saurien eut tôt fait de le faire reculer, conscient qu'il n'était à ses yeux qu'un insecte, de la viande sur pattes. Lorsque le dragon prit de nouveau la parole, ces paroles n'étaient qu'invectives et eurent pour effet de fissurer son masque d'impassibilité. Au fond, il méprisait ce dragon qui n'agissait pas pour le bien d'Aliaénon et de ses peuples légitimes, préférant à cela poursuivre les buts obscurs de son espèce et les plans de Naral Shaam qui n'auguraient rien de bon. Il ne tarda pas à sourire sarcastiquement lorsque le saurien lui avoua son déconfort à devoir affronter les blizzards glaciaux des monts de Sansarth. Il exigea enfin qu'il lui remette le sifflet pour éviter qu'il ne l'use avec légèreté. Le dragon faisait ainsi montre d'une certaine marque de défiance à son égard, rien d'étonnant à cela puisque les sentiments étaient partagés. Le Shaakt savait en cet instant qu'il serait l'ennemi de Naral et de ses alliés sauriens, quitte à suivre les ordres du Sans Visage, il les anéantirait tous avant de s'occuper de l'Unique plus sérieusement.
De ses yeux malfaisants, il vit le saurien tendre l'une de ses ailes membraneuse comme pour l'inviter à monter sans plus attendre. Il ne se fit pas plus longtemps prier et s'accrocha à ses écailles pendant la durée du trajet. Le moins qu'on puisse dire était que la vue était magnifique de là-haut. Au-delà des forêts du Sud se trouvait la cité double de Nagorin, autrefois témoin du massacre des Ouessiens et de leur résurrection en quelque sorte. Aujourd'hui, il s'agit d'un bastion, d'une prison pour l'un des avatars de l'Unique. En voyant ce spectacle, le shaakt ne put s'empêcher de se répéter mentalement qu'il fallait qu'il puisse devenir un allié des Ouessiens, c'était les seuls à savoir réellement ce qui se passait ici. Avec Nagorin close, les Ouessiens d'Ouesseort pourraient l'aider s'il savait comment les forcer à révéler leurs secrets.
Après un temps infiniment long bien que raccourci par ses méditations, il sentit enfin le froid glacial des monts de Sansarth. Il savait plus ou moins où trouver les géants de Colomir'Thù et il espérait que leur expansion à travers les montagnes l'aiderait dans sa tâche. Le dragon piqua du nez et se posa à la base d'une des montagnes basses avant de tendre son énorme patte quémandant le sifflet. Rapidement, Endar se sépara de son sifflet avant de commencer son escalade à travers les monts glacés.
Au début, la montée n'était pas difficile, la roche sous ses pieds lui permettait d'avoir des appuis solides pour accélérer son escalade. Toutefois, petit à petit, l'archer-mage sentit que ses pieds s'enfonçaient dans la poudreuse et ses mouvements en furent grandement réduits.
Kilomètres après kilomètres, ses pieds sentaient toujours la roche mais celle-ci était ensevelie par un bon mètre de neige dans laquelle il s'enfonçait aisément. Une bise glaciale commençait à souffler et la neige tourbillonnait autour de lui en flocons épars tout d'abord. Son souffle se fit plus court à mesure qu'il montait cette montagne qu'il savait bien plus basse que celle où il devait aller.
Les heures défilèrent dans un silence de mort seulement entrecoupé par le mugissement de vents furieux. A mesure qu'il avançait en prenant le flanc de la montagne et non en se dirigeant en ligne droite, ses pas émirent des craquements significatifs, signe que la neige devenait de plus en plus compacte et que celle-ci se transformait même par endroit en une glace difficilement friable.
Dans ce décor montagneux avec un ciel gris, le shaakt ne savait plus si c'était déjà l'après-midi ou si on approchait du soir. Lorsque la nuit tomba, elle le prit au dépourvu. Il se décida d'escalader encore plus avant la montagne basse dont le sommet lui était encore inaccessible, mais il se résolu bien vite à abandonner cette idée, car si ses yeux pouvaient voir dans l'obscurité la plus totale, son attention était diminuée par la faim et le sommeil.
Visualisant une cavité à flanc de montagne formé par les glaces sculptées au fil du temps par les vents déchaînés, il décida de s'y abriter pour quelques heures le temps de dévorer goulûment sa viande séchée, de boire une rasade d'eau et de méditer juste le temps strictement nécessaire pour récupérer un peu d'énergie. Avant même l'aube, il reprit son escalade effrainée.
Le début de cette longue marche s'annonça difficile et il trébucha souvent du fait de pans d'une glace solide qu'il n'avait pas prévus. Heureusement son armure le protégeait de ces chocs et il parvenait à se rattraper et à se redresser. Emmitouflé dans son épais manteau de fourrure et équipé de son piolet, il gravit finalement la montagne basse trois jours plus tard, la nuit tombée.
Ce n'est qu'après avoir franchi cet obstacle qu'une ultime épreuve l'attendait: la haute montagne. Le blizzard eut tôt fait de le perdre dans l'immensité de l'étendue immaculée. La neige éparse était devenue de plus en plus drue et de nombreuses fois, il devait enlever la neige qui le recouvrait à présent tout entier. Bien vite, il sentit que son équipement était à présent recouvert d'une épaisse couche de givre. Sa gourde était gelée et son contenant devait l'être tout autant, ce qui le privait d'une ressource fondamentale. Aucune plante ne semblait plus pousser à cette altitude, si bien qu'il ne pouvait plus en récupérer pour alimenter un feu et devait puiser dans ses réserves.
Le lendemain, son pied malheureux transperça le permafrost et il tomba dans un gouffre, ne survivant que par chance, ses gantelets ayant frottés contre la glace et son piolet ayant ralenti sa chute. La chute ne lui causa que quelques ecchymoses, son armure lui évitant que ses os ne se brisent sous l'impact. La douleur le sonna, mais il ne sut combien de temps il était resté au fond de ce gouffre. Il lui fallut toute une journée pour sortir de ce piège et non sans mal. Abattu par les épreuves, il décida de faire demi-tour mais un événement lui donna du baume au coeur.
Au départ, il se pensait fou, il avait vu un rocher bouger. Se frottant les yeux, celui-ci ne bougeait plus jusqu'à ce qu'il se remette à se mouvoir après un certain laps de temps. La créature se mouvait sur de multiples petites pattes, tout en boule qu'elle était.
(Un roustaud des neiges !)
Se concentrant, il dut dégager une flèche de son carquois gelé, en brisant plusieurs au passage. Le froid l'empêcha de correctement viser et sa première flèche manqua grossièrement sa cible. La seconde manqua de peu de toucher la créature, la dernière la transperça mais celle-ci continua à se mouvoir. L'archer suivit les traces de sang qui se distinguaient du permafrost. Au bout de longues minutes, il vit la créature en train d'agoniser, la vie quittant son corps. A la recherche d'une caverne peu profonde, il entreprit de vider sa prochaine collation et de préparer un maigre feu avec le reste d'herbes qu'il avait collectées jusque là. Dans la casserole, il fit cuire la bestiole, celle-ci n'avait pas un aussi bon goût que lorsqu'elle était rotie mais il s'en manquait un peu en cet instant. Débarrassé de la carcasse, il fit cuire un peu de neige pour enfin boire un peu d'eau fraîche malgré la douleur causée par ses lèvres craquelées par le froid.
Deux jours plus tard, épuisant ses ressources, il finit par atteindre la haute montagne, une intense joie l'étreignant en cet instant.
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