précédemmentCe fut étrange comme son sourire même assurément effrayant pour le reste de l’univers, et ce rire soudain teinté de sadisme purent à ce point me transporter des années en arrière … lorsqu’un homme très différent du capitaine Pragatt’ sourit à la simple servante que j’étais comme à une reine, lorsque que pour la toute première fois de ma vie j’eus l’impression qu’il me manquait quelque chose pour vivre pleinement. La présence d’un être plus grand, plus fort, au dessus de moi.
La chaleur qui traversa mon être lorsqu’il se pencha vers moi pour me parler était comme une confirmation de ce que je savais déjà. Vivre pour moi seule m’était impossible, il me fallait une puissance à suivre corps et âme, un guide choisi en toute conscience.
En l’absence directe de Keyoke, j’avais jeté mon dévolu sur Pragatt’ dont une part de moi s’y reconnaissait. Son attitude, sa manière de vivre et son comportement face à la vie étaient le reflet de mon âme profonde. Ne jamais laisser aux événements le temps de laisser une marque indélébile, libre au point de ne plus être considéré comme un être humain par ceux qui enferment les autres dans des prisons de moralité.
Si je n’étais pas née Ynorienne, j’aurais quitté famille et patrie pour le suivre sur les océans. Mais la rigidité de mes convictions n’avait d’égale que la légèreté de sa moralité. Je ne pouvais sciemment choisir de m'éloigner encore un peu plus de mon peuple.
J’acquiesçai d’un signe de tête et l’observai s’en aller, laissant derrière lui ce regard étrange envers le jeune homme du navire de Tulorim, empli d’un sentiment dont je ne perçus rien. Sa silhouette boitillante se perdit dans la foule de marins et d’ouvriers et je restais seule … m’efforçant de ne pas penser au lendemain.
Derrière moi les aventuriers continuaient à se regrouper et se séparer mais nombre d’entre eux ne furent à mes yeux que des étrangers de plus dans cette ville ; et je ne guettais que les rares ayant choisi de laisser le sombre marionnettiste faire face au seul destin qui nous protégeait tous. Instinctivement, je m’attardai sur mon compatriote et remarquai pour la première fois à quel point il était jeune, sans doute plus que le blondinet. Entouré comme il l’était, une présence de plus n’aurait rien changé, et je connaissais mon incompétence en matière de soutien, aussi lorsque que nos regards semblèrent se croiser, je m’abaissais en une respectueuse révérence avant de m’en aller vers l’entrée de la ville sans attendre de savoir si mon signe avait été vu ou non.
Des agents Kendran commençaient à s’agiter autour du navire, devant les regards curieux des quelques citadins ou marins faisant une pause dans leur activités respectives. Le port n’était plus en fête comme le jour du départ, et malgré l’absence de toute trace physique du drame, le manque des festivités pour l'arrivée du premier navire était comme le miroir des souvenirs de ce jour maudit. Mis à part l’accueil particulier des militaires sur les quais, je remarquais que nous n’avions droit qu’à des regards inquiets autant que rassurés. En avançant vers l’entrée de la ville, je m’étonnais pourtant de ne pas voir plus de familles inquiètes de ne revoir leurs maris ou fils embarqués sur le navire Kendran. Les fils du pays n’étaient pas de retour et personne ne semblait réellement les pleurer.
A part moi, je me demandais s’ils ne les avaient pas pleurer plus tôt, ayant je ne sais comment eu vent des vrais intérêts de cette aventure et du sort attendu aux dizaines d’hommes courageux partis en quête de richesses pour ne trouver qu’une mort programmée pour le sauvetage d’un seul.
Je m’attardais finalement devant une sorte de carriole. Les arômes salés de poisson fris réveillèrent mon appétit trop longtemps mit au repos, et réussirent même à chasser les relents nauséabonds de mes vêtements … sauf pour les citadins déjà tassés autour du marchand qui se déplacèrent tel un troupeau de brebis face à l’odeur sauvage du loup. Je ne les blâmais pas, faisant profil bas le temps d’acheter une tranche épaisse de pain aillé et une brochette de poisson.
En reprenant ma route je repérai un duo qui éveilla ma curiosité. Ces deux là ne marchaient pas comme des touristes dans une ville inconnue et ne semblaient pas non plus hésiter comme je le faisais sur où aller et quoi faire. Ils avançaient têtes baissées mais d'un pas franc et déterminé … et je décidais de les suivre.
De cette ville je ne connaissais rien, si ce n’est la grande rue qui la traversait et permettait de rejoindre les deux ports en passant par le marché et le château. Si les deux mages étaient finalement d'ici, ils pouvaient tout aussi bien rejoindre leur logis qu’une taverne perdue dans l’un des nombreux quartiers de cette ville, et me faire perdre le peu de repères que mes souvenirs avaient préservés. Je ne sais au juste ce qui me poussa à les suivre. Une manière sans doute d’observer le retour à la vie normale des disciples du marionnettiste. Ils n’avaient parlé qu’au jeune guérisseur sur les quais et n’avaient échangé à ce que je me souvienne aucuns mots avec leurs associés. Ou peut être était-ce simplement une manière de renouer avec mes habitudes : observer et informer.
Et tout compte fait, je pense que j’avais décidé de les suivre probablement pour m’occuper encore quelques minutes avant d’être réellement seule, à devoir m’occuper de moi et uniquement de moi pendant une journée, sans autre but qu’attendre.
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