(précédent)L'animation sur le port et le long des quais était plus importante qu'à notre arrivée, les heures lentes du repas étaient passées et chacun avait retrouvé son poste de travail et la routine d'une journée comme les autres. Les capitaines et leurs seconds hurlaient des ordres à leurs marins, tandis que les chefs de quais braillaient sur les ouvriers du port ... et parfois on se demandait si tous ces cris n'étaient pas moins nécessaires pour se faire entendre qu'une manière de montrer aux autres qu'ils méritaient leur rang. Toujours est-il qu'une drôle d'harmonie prenait forme, tout en muscles, vigueur et grossièreté.
Il m'arrivait de passer des heures à regarder les autres travailler de la sorte à Oranan, observant les faits et gestes de chacun pour y détecter les jeux et règles tacites de hiérarchie ... mais en ce milieu d'après-midi, c'était un groupe d'un autre genre que je croisais bien malgré moi.
Une foule de badauds s'était amassée devant le navire noir, contenue à bonne distance par la garde de la ville. Marins et ouvriers en pause ou simples curieux restaient à quelques mètres, discutant entre eux tout en observant ce qui se passait, à conjecturer sur la nature du fameux trésor ramené par les aventuriers. En comparaison, les mouches qui s'agglutinaient sur le cadavre d'un chien semblaient moins écœurantes.
Je contournais rapidement cet amas de personne sans plus m'en soucier, tant je désirais écourter au maximum toute cette mascarade de fanfare faussement héroïque et cette montagne fielleuse d'allégresse déplacée.
Cela n'avait rien de comparable avec le jour du départ de cette funeste aventure, mais il ne me fallut pas moins jouer des coudes pour m'approcher au plus près d'un membre de la garde. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, l'un d'eux me fit signe de venir. A croire qu'ils avaient mémorisé la tête de tous ceux revenus avec le navire, ou qu'ils avaient plus d'informateurs apte à suivre n'importe qui dans cette ville.
- Bien, vous voilà. On craignait que certains d'entre vous ne disparaissent sans votre dû. Ce dernier avait heureusement gardé un certain flegme. Militaire avant tout, il semblait gérer cette affaire de trésor exceptionnel comme n'importe quelle autre. Il me toisait pourtant d'un air sévère et je sentais une vague de scepticisme se propager à travers sa question muette, à laquelle je m'empressais de trouver réponse.
- Le retour a été mouvementé, et ... je n'avais pas réalisé l'étendue de ce dont nous avions découvert, mentis-je finalement à moitié, tant ce que je découvrais derrière lui était réellement étonnant.
Une tente de fortune avait été montée sur les quais, à l'écart du navire. Des dizaines de caisses, de tonneaux et de sacs y étaient entassés pèle-mêle, et quelques soldats semblaient en faire l'inventaire.
- Soit, répondit-il sans méchanceté mais qui ne signifiait pas pour autant qu'il ait était convaincu ou qu'il ait écouté mes propos.
Il rejoignit une table où étaient déposés plusieurs sacs de cuir et me tendit l'un d'eux que j'ouvrais pendant qu'il reprenait la parole et me guidait jusque sous la tente.
Ceci est pour chacun d'entre vous. Une bourse de 8000 Yus ...
J'avoue bien volontiers que la suite de ses mots n'arrivèrent jamais à mes oreilles. Je restai sur place, mes jambes refusaient de bouger et je craignais qu'elles ne se dérobent à chaque seconde, ma bouche s'ouvrait et se refermait sans former le moindre mot audible.
Cette somme était tout simplement trop déraisonnable, je l'avais entre les mains mais je ne réalisais pas ce que cela représentait, en dehors du fait que j'aurais bien plus à perdre en cas de vol. J'avais reçu en l'espace d'une minute l'argent de très, très nombreux mois de travail. Et tout ça parce que j'avais survécu à un carnage causé par le désir de liberté d'un seul.
Heureusement, l'officier me sortit rapidement de cet état végétatif et de cette dangereuse pente qu'était le souvenir de ces derniers jours. Son air sévère s'apaisa devant ma mine des plus déconfite.
- C'est une grosse somme oui, dit-il sans jalousie.
A vous voir tous réagir ainsi, je me dis que cet argent n'atterrit pas dans les plus cupides des mains ... sauf peut être cet énergumène, ce Pragatt', un pirate récompensé par la blanche Kendra Kar, quelle ironie. Enfin, revenons à vous mademoiselle. En plus de la bourse vous pouvez choisir une arme parmi ces caisses. Je ne sais ce qu'il pensa de mon sourire. J'aurais pu réagir ainsi à l'idée du trésor que je pouvais dégoter parmi toutes ces armes, mais je m'imaginais encore mon cher capitaine arriver dignement face aux austères officiers, savourant pleinement le gain inattendu après les pertes qu'il avait eues à subir.
De mon coté, je ne savais pas trop quoi choisir mais la beauté des toutes ces armes ne pouvait souffrir d'aucune critique. Il y en avait pour tous les goûts, de la dague à la longue lance en passant par des arcs et arbalètes et toutes aussi blanches que le plus pur des flocon de neige.
J'en étais arrivée à la conclusion que j'allais me choisir une arme facilement vendable à un bon forgeron quand je vis un objet aussi surprenant qu'insolite.
Mon léger rire surprit attira l'attention de l'officier qui s'occupait de l'inventaire qui, lorsque je sortais de sa caisse ma future arme, se mit à brailler à un jeune soldat :
- Bon sang Joscelin, je t'avais demandé de sortir les babioles de ces caisses depuis des heures.Le dit Joscelin, un jeune rouquin bâti comme un géant s'approcha de nous, le regard las.
- Je l'ai fait major, commença-t-il avant que l'homme ne lui coupe la parole en tentant d'attraper l'arme.
- Et ça !?!- Non, m'exclamais-je en reculant d'un pas.
Je le prend. Ce n'est pas une babiole, regardez. J'ouvris d'un coup sec l'éventail blanc et leur montrai les extrémités en pointe de l'objet.
- Ha ! Y'a bien que les dames de chez vous pour inventer pareil outil, railla le premier des soldats.
- Oh, les femmes n'ont rien à voir avec ceci. C'est un instrument utilisé au départ pour la signalisation sur les champs de bataille, puis nos hommes de hauts rangs et nos samouraïs s'en sont appropriés l'usage pour en faire des armes discrètes, qui restent avec eux quand d'autres doivent quitter arc et épées. - Ha ! Y'a bien que les vôtres pour imaginer plus sournois que le voisin.- D'autant que nos voisins n'ont rien de subtil, lui fis-je remarquer sur un ton froid.
L'officier supérieur nous rejoignis finalement, et dispersa tout ce beau monde en leur attribuant de nouvelles tâches avec une facilité déconcertante, à croire qu'il en gardait en réserve pour ce genre de situation.
-
C'est votre récompense, votre choix, votre arme. Si nous en avons terminé, je vous demanderais de signer et enregistrer l'arme. Je vous laisse inscrire son nom si ça vous dérange pas, ajouta-il sur un ton moins autoritaire.
Je m'exécutais sans un mot et repartis sur les quais, plus riche de 8000 yus et d'une arme des plus discrète que je plaçais dans la ceinture de mon pantalon.
Je me demandais tout de même comment et quand l'équipage avait pu récupérer tout ce matériel, d'autant que la quasi totalité des armes semblaient avoir était fabriquée de la même manière, et même un instrument typiquement de chez nous avait terminé dans les cales de ces monstres.