Toc toc toc...
- C'est ouvert.
La porte s'ouvrit lentement et dévoila la sombre pièce à la lueur de la lune. L'ombre la recouvrit de nouveau lorsqu'une silhouette imposante traversa l'entrée de la cabine du capitaine. Il avança vers une sombre silhouette, meurtrie par un mal sans nom, avachie sur un bureau de bois, cernée par une bonne dizaine de bouteilles qui étaient depuis peu remplies d'eau glacée, il buvait plus qu'il ne pouvait supporter d'eau. Un large rideau cachait le mur de verre derrière lui, il avait dès lors vaillamment repoussé les assauts diurnes du soleil. Dégagé de sa torpeur par le grincement de la porte, l'homme releva sa tête et fixa son interlocuteur. Il lui parla d'une voix asséchée :
- Quoi de neuf ?
Le vieil homme à peine entré fit quelques pas de plus, il se pencha au niveau de son compagnon pour mieux voir son visage et fit un pas brusque en arrière : son ami avait salement morflé. Les creux de ses joues étaient aussi profonds qu'un lac sans eau, et sa peau inspirait la désolation d'un champ de bataille, ou d'un village rongé par la famine. Il déglutit avant d'annoncer :
- Sirius, on est arrivé.
- A Kendrâ Kâr ?
- Ouais...
Sirius prit appui sur un coin du bureau et se leva avec quelque peine de son séant mouillé de sueur, libérant une odeur nauséabonde, presque morbide, cadavérique. Il avança vers son suivant et passa près de lui sans lui adresser le moindre regard, ses yeux étaient cachés sous sa chevelure foncée. La tête basse, il sortit de sa cabine et s'offrit aux lumières de la ville, profitant de la brise fraîche qui caressait parfois le pont du navire. Ses pas lourds partaient parfois de travers, mais s'efforçaient de montrer leurs élans de vigueur fatiguée en piétinant les planches avec fermeté. Recouvert entièrement d'un manteau bleu marin, le capitaine parcourait le pont de long en long pour se poster près du ponton d'embarquement. Il s'arrêta au beau milieu de son parcours et s'adossa au mât principal. Fixant l'horizon, il distingua les hautes tours de Kendrâ Kâr, la cité blanche, capitale humaine du Nirtim. Assombries par l'obscurité ambiante, Sirius avait l'intime conviction que ces dernières étaient d'un blanc propre et immaculé. Il n'avait jamais pénétré derrière les murailles de cette ville, aucune affaire ne l'y avait mené, jusqu'à cette nuit. Il avança vers le pavois pour mieux observer les quais qui se rapprochaient du navire, ils étaient presque arrivés alors.... Ledit navire laissait ses voiles blanches se faire emporter par le vent, aussi loin que les mâts solides nus de pavillon le leur permettait. Des motifs grossiers, du pavois jusqu'au bout de la coque, ornaient le bois d'une peinture bleue exquise, en tout cas pour un connaisseur. Du coin de l'œil, l'homme s'assura que les amarres étaient bien sorties. Celle qui était le plus près de lui pendouillait dans un rythme incassable, elle caressait le bois et la peinture en-dessous et parvenaient parfois à atteindre le nom qui était gravé sur le bois par le tranchant d'une épée, Masamune. Grâce aux habiles manœuvres du second, le galion s'infiltra parfaitement dans un coin non-encombré et mouilla dans les eaux du port, captivant l'attention de certains habitués remarquant un nouvel arrivant étranger aux bites de leur cité. Le ponton s'abaissa et la silhouette du capitaine s'aventura en première sur le sol marbré du quai, d'un pas tranquille. Aussitôt rejoignit-il la terre ferme qu'un gaillard d'une toise de hauteur accourut vers lui pour lui adresser la parole : commerçant.
- Oyez marin ! Je suis le capitaine Kro, gérant du commerce naval de Kendrâ Kâr. Votre navire est un nouveau, êtes-vous venus ici pour affaires d'envergure ? Votre nom, cher client ?
L'homme qui faisait ses courbettes de marchand en face du capitaine de ce navire au pont presque vidé de badauds avait une mie de quarantenaire. Brun, il était chevelu et bien barbu, les deux bien peignés et présentés avec allure de richesse. A côté de ses yeux verts pendaient deux boucles d'oreille en or. Il était vêtu d'habits extravagants, orné de couleur vives, le jaune, le rouge, contrastant avec des touches de sombre violet, sans compter le noir de ses bottines cirées avec acharnement. Il n'avait pas de manteau par le froid qui courait mais sa chemisette était fièrement garnie de motifs kendrans. La contemplation s'arrêta , cet homme ne ressemblait en rien au genre d'hommes qui jouait l'escroc en se présentant de travers, mais en apparence seulement. Sirius rehaussa son col et dissimula son visage en partie, cisaillé ça entre ses cheveux pendants, c'était un cache-misère. Il se méfiait de ce Kro, il avait perdu confiance envers les commerçants portuaires, pour certaines raisons douloureuses...
- Je suis Heartless, et non, je viens juste ici pour boire un coup. Mais c'est gentil de demander.
- Dans ce cas puis-je vous être utile en quoi que ce soit ?
Heartless vit l'arnaque sans difficultés. Son embarcation était une nouvelle acquisition, et elle était chère à ses yeux, très chère. Il la protégeait avec jalousie des convoitises et mettait un point d'honneur à jouer cartes-sur-tables.
- Pas question, vieux.
- Pardon ?
- Tu touches pas à ce navire, que ce soit pour le visiter, le nettoyer, polir son bois, faire tes besoins, amener une pute ou le piquer sous mes yeux, compris ? Restes où tu es, on va l'amarrer nous-mêmes, pigé ?
- Mais...
- Pigé ?!
- O-Oui...
Ça, c'était bouclé. Heartless appela son ami qui se tenait encore sur le pont et il se mit à poursuivre les cordages pour amarrer le Masamune. Ensuite, devant une foule hasardée par un visiteur aussi décharné et strict quand on parlait de son bâtiment, il demanda à son interlocuteur :
- Capitaine Kro, il y a un médecin dans les parages ?
Le commerçant, offensé par la brusque demande de Sirius, se décida tout de même à lui répondre, et lui indiqua la direction menant à une petite boutique vendant quelques élixirs utiles selon lui, tenue par un elfe un peu louche, actif de nuit. Il n'en fallut pas plus à Heartless. Avant de se mettre en route, il appela ses compagnons, encore sur le navire :
- Gorilla, Leoj, on y va ! Thunar, reste avec le blondinet, d'accord ?!
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