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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra-Kâr et Mertar
MessagePosté: Lun 1 Jan 2018 16:26 
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Comme pour l'aller, Kay choisit de commencer son voyage à bord d'un bateau. Cela lui permit de se préparer mentalement à la suite – son fessier n'était toujours pas aguerri en ce qui concernait les longs voyages à dos de cheval – en plus de lui faire gagner du temps. Chaque jour, chaque heure comptait, en effet. Debout à l'avant du fier esquif qui remontait la rivière Kenaris en direction du lac de Hynim, elle ne cessait de repenser à ce qu'elle avait entendu durant cette fameuse nuit où elle s'était retrouvée entre les mains mêmes d'Averenn, le puissant Ithilauster. Elle se souvenait désormais de ce qu'au cours de sa conversation avec le demi-Shaakt, il avait évoqué des troupes qui attendaient et dont le chef s'impatientait. Elle se souvenait de ce qu'elle s'était dit ; qu'il lui suffirait d'empêcher que le don de l'Ithilauster ne parvînt jusqu'à ce chef militaire pour contrecarrer les plans du premier. C'était sûrement trop tard désormais ; sa mission la conduisait directement à Clair de Lune.

Kay, pour être honnête, eût bien poursuivit son voyage sur ces tranquilles planches de bois couronnées de blanches voiles, mais Kenaris avait eu le caprice de partir vers l'ouest, alors qu'elle-même se dirigeait plutôt vers le nord-est. Avec une petite déception, la guerrière dû donc remercier et prendre congé de l'équipage et de son capitaine, des gens forts sympathiques au demeurant, et prendre la route qui conduisait à Amaranthe. De là, elle prendrait la direction de Mertar, ville près de laquelle (ou plutôt en amont de laquelle) avait été bâtie la citadelle des Danseurs. Cette route, qui traversait les duchés des montagnes, se parcourrait sous l'ombrage d'une forêt qui les recouvrait de bout en bout avec la seule différence que les arbres feuillus laissaient petit à petit place aux conifères. Le sentiment de familiarité avec ce chemin emprunté moins de trois jours auparavant (la confrontation avec Averren s'était effectuée le deuxième soir après son arrivée et elle était repartie au matin du troisième jour) fut vif dans l'esprit de la jeune femme qui y vit là un signe de plus pour un calme voyage. Malheureusement, ce prétendu calme s'acheva brutalement la première nuit qu'elle passa sous l'ombrage resserré de ces arbres ducaux.

Il avait surgi, assassin de la nuit – seul. Kay ne dû sa survie qu'à ses prodigieux réflexes ; ses oreilles à l'ouïe elfique qui entendirent les craquements des racines sèches sous ces pieds qui se furent pourtant voulus feutrés, les nerfs de tous ses muscles, au repos, mais prêts à se tendre à tout instant et surtout, les nombreuses heures d'entraînement guerrier auxquelles elle avait astreint son corps. Quand la lame siffla dans l'air frais et clair d'une nuit pleine, elle roula aussitôt sur le sol, encore dans la couverture dans laquelle elle s'était emmitouflée la veille, avant de s'endormir. Le poignard ne frappa que le vide et faillit embarquer son porteur. La maître d'armes, pendant ce temps, repoussait avec une frustration sans cesse croissante cet emballage de laine chaud qui mettait, à son goût, bien trop de temps pour prendre congé. Finalement, elle s'empara des deux lames qu'elle serrait toujours contre elle, dans son sommeil – habitude prise après qu'une semblable attaque nocturne avait eu lieu et bondit sur ses pieds. Ces derniers, bien que loin des bottes qu'ils affectionnaient particulièrement sur les terrains de mousse et de racines comme celui-là, n'en étaient pas pour autant dénudés et ils étaient entourés de grosses bandes de tissus, là encore, à cause d'une précédente mésaventure.

L'assassin, constatant que sa première attaque avait échoué et que l'effet de surprise était dorénavant nul, rangea son poignard dans le petit fourreau pendu à sa ceinture et dégaina son épée en prenant une position volontairement défensive, ses deux pieds bien ancrés dans le sol. Kay, qui ne distinguait pas encore les traits de son opposant, eut un bref sourire. Ses propres jambes bougèrent pour se mettre en position et, sans quitter des yeux et la lame et la tête nimbée de ténèbres de celui qui lui voulait du mal, retira doucement ses deux épées noires de leur fourreau qu'elle laissa tomber à terre ; une dans chaque main. Elle vit alors l'autre, pendant une seconde, chanceler. Sans attendre, les deux fers sombres tendus en avant, elle fondit sur son adversaire. Celui-là, sans quitter sa position frontale, éleva son épée et, quand la semi-elfe fut sur lui, l'abattit d'un coup sec. Mais l'attaque était trop prévisible et Kay s'écarta, presque nonchalamment. Passant sur son côté, son pied gauche partit et rentra avec brutalité dans les côtes de l'assassin qui fut projeté sur le sol, telle une poupée de chiffon. Un rayon de lune accrocha alors son visage et Kay eut confirmation de ce qu'elle avait pressentit.

(Ce n'est qu'un garçon...)

Le combat n'était pas terminé, cependant. Le jeune homme – qui avait des traits kendrans et peut-être la vingtaine ou même pas – se redressa aussi vite qu'il le lui fut permis et s'élança sur sa victime en criant pour se donner du courage. Kay l'attendait ; quand son épée partit droit vers son ventre, elle se décala et sa propre lame vint doucement s'accoler à l'ennemie pour la détourner vers le ciel. À nouveau, il perdit l'équilibre et fit quelques pas maladroits. Il fit de suite volte-face, néanmoins et attaqua encore. Voilà bien longtemps que la maître d'armes aurait pu en finir, mais devant cette jeunesse, elle n'arrivait pas à s'y résoudre et se contentait de parer et modifier la trajectoire des coups qu'on portait sur elle de sa main gauche, la droite pendant mollement dans le vide. Le garçon s'épuisait à vue d’œil, mais sa persévérance était remarquable. Lorsqu'elle vit qu'il était au bout de ses forces, la semi-elfe résolut d'en finir. À l'attaque suivante, elle lâcha son épée gauche et se jeta sur son adversaire. Avant que celui-ci n'eût pu ralentir, leurs poitrines à un pouce l'une de l'autre, sa main gauche vint saisir la lame claire et, dans le même temps, elle effectua un rapide mouvement avec son arme qui perturba l'équilibre du jeune assassin. Une légère poussée et il s'effondra sur le sol, dépossédé de son arme utilisée alors même pour le menacer.

"Allons ! Ce combat est terminé, reconnais ta défaite."

L'autre, pourtant en mauvaise posture, se redressant en prenant appui sur ses avants-bras, la fixa d'un air de défis et de colère.

"Jamais !"

Kay laissa s'échapper un rire sec. Elle se sentait presque amusée par ce garçonnet qui avait voulu jouer – il n'y avait pas d'autres mots tant tout en lui, de ses postures à ses attaques, trahissait une fraîche et indomptée expérience. En avait-il même eu une ou avait été-ce là son premier coup d'essai ? Le gardant bien sous le fer de sa propre épée – elle aussi de qualité médiocre, la guerrière préféra détourner la conversation.

"Dis-moi, pourquoi as-tu cherché à me tuer ?"

Ils ne se connaissaient pas ; ce n'était pas en réparation d'un quelconque tord, la demi-Sindel en était convaincue. Elle inclina la tête pour mieux voir le visage de son opposant qui hésitait visiblement à lui répondre.

"Pour... la récompense."

"Quelle récompense ?"

"Celle offert à qui vous tuera."

Cette réponse fut si troublante que le cœur de la jeune femme rata un battement. On avait mis un prix sur sa tête ? Mais... depuis quand ? Pourquoi ? Soudain, le visage d'Averenn s'imposa à son esprit. Bien sûr... Bien sûr ! C'était ce chacal, cette immondice qui avait lancé sur ses pas les chasseurs de prime ! Il avait découvert que son cher associé avait malencontreusement perdu la vie et il avait décidé qu'il était temps pour elle de se retirer hors de ce monde.

"Ah !"

Le garçon avait profité de son bref moment d'inattention pour bondir sur elle en dégainant son poignard. Ils roulèrent au sol. Kay n'arrivait pas à dégager son épée et l'autre, les yeux fous, tentait de la poignarder n'importe où, de toute sa rage du désespoir. La maître d'armes dû abandonner son arme pour se défendre. Elle referma ses mains sur les poignets de son assaillant. Ils luttèrent, mais la lutte était inégale. Kay avait plus de force que le frêle bonhomme. Elle parvint finalement à lui arracher le poignard, le repousser et se rua successivement sur ses deux lames noires qui gisaient au sol à quelques pas l'une de l'autre. Le souffle court, elle revint vers l'apprenti assassin et croisa ses armes contre sa gorge. Cette fois, c'était allé trop loin ; elle lui avait laissé trop de chances.

"Désolée."

Ses mains tremblaient. Ses doigts glissaient. Elle raffermit sa prise sur la garde de ses épées. Devant elle, elle n'avait qu'un gamin. De grosses larmes se mirent à rouler sur ses joues, il était agité de vives secousses. Pourtant, il n'implorait guère pardon. N'en avait-il plus la force ? Ou s'était-il résigné à son sort ? Kay n'arrivait pas à le deviner dans ce regard si jeune. Elle-même, dans cette position, eût-elle pu être résignée ? Prête à mourir après un juste combat ? Sa poitrine se serra ; elle se sentait trop jeune. Qu'en était-il de ce garçon ? Que la vie humaine était courte ! Soudain, elle prit son geste en dégoût. Elle abaissa ses armes.

"Comment t'appelles-tu ?"

Sous les larmes, elle pouvait le voir son regard, désormais. C'était celui d'un enfant apeuré.

"Jordan, m'dame."

La demi-elfe hocha la tête.

"Cette récompense pour ma tête... Si je t'en promet le double, acceptes-tu de t'occuper de ma sécurité pour le reste de mon voyage ?"

Il y eut une seconde de flottement puis Jordan acquiesça vigoureusement la tête. Il s'empressa de ramasser son poignard, son épée et se jeta à ses pieds pour la remercier, de l'avoir épargné d'abord, de lui offrir cette opportunité ensuite. Il tremblait et pleurait toujours, mais c'était le choc et le soulagement. Kay ne le regardait déjà plus vraiment. Ce premier assassin n'avait pas constitué un grand danger pour elle, mais les autres qui viendraient seraient plus forts, mieux armés, mieux préparés. Elle avait subitement peur pour sa vie. Sans avoir foi en Jordan, elle avait confiance dans son instinct. Il suffisait au garçon de monter la garde pour elle. Le reste, elle s'en occuperait.

_________________
Kay de Kallah, Maître d'Armes et demie-Sindel

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra-Kâr et Mertar
MessagePosté: Dim 22 Avr 2018 13:49 
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Jordan. Il était gai, un agréable compagnon de voyage. Kay se surprenait à le regarder de temps en temps, avec tendresse. Pour un jeune humain, il était plutôt bien fait, les traits décidément kendrans, une courte et brune chevelure mal peignée et des grands yeux curieux. Curieux, il l'était en effet et sa présence se découvrit être un forte brise de fraîcheur pour la semi-elfe qui n'avait, récemment, vécu que dans la guerre. Lui s'enthousiasmait pour un rien, devant des traces d'animaux qu'il arrivait à reconnaître, quand Chevauchante frottait amicalement son museau contre sa frimousse à lui, lorsqu'il réussissait une passe d'armes que tentait de lui apprendre Kay - autant pour lui que pour elle-même, puisqu'il avait accepté d'être son garde du corps, elle avait décidé de lui apprendre de meilleurs rudiments de combat qu'il n'en possédait quand il l'avait attaquée. Généralement assis sur le trapu cheval, derrière elle - le premier jour Kay craignit un coup en traître, mais le garçon avait complètement (et définitivement) changé d'état d'esprit, ce qui confirmait ce que la demie-Sindel avait pressenti, à savoir que seule la misère et la solitude l'avaient poussé à son geste désespéré et de fait, il s'agrippait à elle, se collait contre elle d'une manière infiniment douce et chaleureuse et cela la rendait quelque part, heureuse - quand le terrain était part trop impraticable ou qu'après un trot soutenu, ils eussent voulu reposer un peu Chevauchante de leurs poids, il marchait tout à côté d'elle ou trottinait quelques pas en avant. Trois jours s'écoulèrent - il n'en restait pas beaucoup plus, encore, avant leur arrivée à Clair de Lune - sans d'autres attaques nocturnes. Kay subit bien, en réalité, une autre attaque, mais ce ne fut que de la part de simples bandits des montagnes qui apparurent sur la route, au détour d'un énième lacet. La jeune femme avait déjà dégainé ses deux longues épées quand elle eut la surprise de voir Jordan bondir devant elle, bien décidé à se battre pour elle. Il n'en eut pas vraiment l'occasion puisqu'à peine eût-il engagé le combat que ses opposants prirent au sérieux leur détermination et jugèrent que ce n'étaient pas voyageurs sans défense - et ils décampèrent sans demander leur reste. Ce voyage, qui avait commencé sous de sombres auspices, lesquels s'étaient révélés plus noirs encore, semblait désormais vouloir se racheter et s'achever dans la paix. Ce fut le cas. Jusqu'à cet autre fatale nuit.

Quand le soir arrivait, Jordan s'occupait de Chevauchante - la nourrissait et la brossait - tandis que Kay préparait le repas. Ils mangeaient en discutant - surtout lui, en fait, mais elle aimait l'entendre parler car il parlait naïvement - puis, généralement, c'était Kay qui prenait le premier tour de garde. Jordan se levait tôt, mais tombait vite le soir et ils avaient décidé de couper la nuit ; jusqu'à quatre heures du matin, c'était la semi-elfe qui veillait. Ensuite ils échangeaient. Cette nuit-là ne différa pas : quand la lune fut bien avancée dans sa course céruléenne, Kay alla secouer Jordan pour qu'il se réveillât. Le jeune garçon bougonna et se rétracta, mais, finalement, après une dernière tape amicale sur le haut du crâne, il se sortit de sa couchette et s'empara de son épée. L'esprit tranquille, Kay s'en alla dormir et tomba vite assoupie. Son garde du corps, lui, faisait les cent pas - il avait peur qu'il ne s'en rendormît s'il s'asseyait ou même demeurait debout, appuyé contre le tronc d'un arbre. Le temps commença à s'écouler lentement. Il dressait l'oreille, comme il avait appris à le faire et reconnaissait à chaque fois quel animal, quel branche sous le vent faisait ce bruit. Tout était de fait calme. Mais soudain, il reconnut dans les fourrés un pas inconnu. Le cœur battant, il s'immobilisa et serra plus fermement son épée. Doucement, il fit un tour sur lui-même et sonda les profondeurs ténébreuses des environs. Il ne voyait rien. Il n'entendit qu'un sifflement ; eut-il à peine le temps de se décaler que la flèche lui frôla l'arrête du nez et vint se planter, vibrante, dans l'arbre juste derrière lui. Alors il se précipita.

"Maîtresse Kay ! Maîtresse Kay ! On nous attaque !"

À ses premiers cris, Kay fut aussitôt réveillée et il n'en fallu pas moins pour qu'elle fût debout, ses deux épées luisant sombrement dans ses mains. Jordan tremblait, à ses côtés. On ne voyait rien, n'entendait personne - pourtant la flèche n'avait pas été décochée par un fantôme.

"Qui que vous soyez, montrez-vous !" Et, ajouta-t-elle en serrant les dents : "Venez vous battre comme de vrais guerriers."

On entendit une nouvelle décoche - une flèche fila directement sur le cœur de Jordan, mais Kay parvint à la bloquer de son épée. Le garçon était - disons-le - mort de trouille. La jeune femme n'en avait pas moins le cœur qui battait à cent à l'heure et ne se méprenait pas sur l'heureux hasard ou réflexe qui venait de sauver la vie à son compagnon. De fait, si leur ennemi se contentait de leur tirer dessus à distance, il finirait par les avoir.

"MONTREZ-VOUS !"

Le silence les enveloppait tout entiers - même la forêt et ses habitants semblaient s'être tus. Enfin, une silhouette se détacha et gagna en précision à mesure que les rayons de lune accrochait les plaques de métal qui constituait son armure. Il était grand, peut-être chauve et un trait sur toute sa figure qui en rejetait la moitié dans l'ombre laissait penser à une balafre. Il n'avait qu'une seule - longue, recourbée - épée, mais son bras droit (il était donc gaucher ?) était couvert par une sorte de bouclier qu'il n'avait pas besoin de tenir. D'un geste, Kay intima à Jordan de rester en arrière et ce dernier, tout aussi tremblant de peur se décala imperceptiblement vers le cheval de sa protectrice. Les deux adversaires se jugeaient du regard. La guerrière ricana.

"Elle doit être importante, cette prime sur ma tête."

"Plus que tu ne l'imagines."

Ils restaient encore quelques secondes à se tourner lentement autour. Soudain, ils se précipitèrent l'un contre l'autre. De sa main droite, Kay abattit son épée, mais il n'eût qu'à lever son bras droit pour la parer. Elle tenta alors de remonter avec son arme gauche et cette fois-ci, il bloqua de la sienne propre. Ils se fixèrent avec hargne. D'un bond reculèrent. Se précipitèrent à nouveau l'un contre l'autre. Kay avait des gestes brefs, précis ; elle alternait les coups de ses deux lames sans donner impression qu'elle pût un jour s'en fatiguer. L'autre parait de son bouclier avec assez de facilité, mais il s'était replié sur une position défensive, de profil et n'arrivait plus à contre-attaquer. Kay tenta une botte - d'un bond un peu maladroit, il s'esquiva. Il fondit alors sur elle, mais n'embrocha que le vide et, comme elle était trop près de lui, se contenta de lui asséner un coup du pommeau de son épée sur son poignet. Il geignit et recula. Elle sourit. Ils recommencèrent à se tourner autour. Il décida alors de prendre l'offensive. Son bras droit ramassé contre sa poitrine le protégeait et il faisait pleuvoir tailles et estocs contre la semi-elfe qui les arrêtaient de ses deux lames noires. Cependant, la puissance de son adversaire la forçait à reculer. Une racine se mit en travers de son chemin ; elle baissa à peine les yeux, par réflexe : il lui fit un croche-patte et elle s'effondra sur le sol. Aussitôt, elle vit avec horreur la pointe acérée du fer fondre en direction de sa tête. Elle roula sur le sol et sans même avoir le temps de se remettre sur pied, envoya son arme dans un large demi-cercle. L'attaque fut maladroite, mais l'élan et la force que lui avait donnés la jeune femme suffit à prendre l'autre par surprise et le faire reculer. Elle put se redresser. Le combat reprit. Leurs poitrines commençaient à se soulever à un rythme plus rapide et de la sueur leur coulait dans le dos. Kay était paralysée ; elle n'arrivait à démarrer sa danse - elle n'avait pas l'habitude d'un combattant avec un bouclier, elle s'en rendait bien compte à présent. Elle tenta une autre approcha. Elle se recula brutalement et juste après enchaîna avec la Main du Géant, l'attaque qui devait lui permettre d'a minima faire lâcher son épée à son adversaire. Évidemment, ce dernier para de son autre bras. Mais alors se rencontrèrent le bouclier et la pointe acérée et dure de l'épée de la semi-elfe, à l'endroit où se trouvait le bras. On entendit un craquement - était-ce le bouclier ? l'os du bras ? que l'assassin accusa néanmoins d'un grognement douloureux. Kay, surprise de l'issue de sa Main en eut même le malheur d'abaisser sa garde. L'homme ne se le fit pas donner une autre invitation : il lui envoya son bouclier dans la face. À nouveau, elle se retrouva sur le sol, cette fois-ci le nez en sang et la tête qui l'élançait. Des étoiles dansaient devant ses yeux, l'aveuglant - et ce n'étaient pas celles qui ornaient le ciel de cette nuit-là.

"Maîtresse Kay !"

Aussitôt qu'il avait vu cela se produire, empoignant son épée à deux mains, Jordan se précipita, la peur au ventre, mais la rage au cœur.

"Jordan, non !"

Leur ennemi détourna son attention vers le garçon... mais au lieu de se préparer à accuser cette future attaque, il claqua dans ses doigts. Ce n'est que lorsque le son de la corde qui se débande rapidement parvint à ses oreilles que Kay prit enfin la mesure de l'embuscade qu'on lui avait préparée. La flèche cueillit Jordan à l'âme. Il s'effondra, telle une marionnette abandonnée, sans un cri. Satisfait de s'être débarassé de ce nuisible, l'assassin au crâne nu se retourna vers son adversaire principal. Mais Kay ne lui laissa pas ce plaisir. Genou au sol, sa main gauche fusa par le bas, droit sur le cou de l'homme. Il eut un mouvement sec des cervicales pour l'évita, mais l'attaque ne se finissait pas là : à peine son coup initié, Kay lâcha son arme et ses deux mains se rejoignirent sur la poignée de son autre lame et cette fois-ci, passant sous son bouclier, elle la lui enfonça sauvagement dans le bas ventre. La guerrière abattit sa main sur son épaule et, s'y appuyant, elle se redressa tandis que lui tombait à genoux, éructant un flot de sang. D'un brusque mouvement d'épaule, Kay fit remonter son épée dans ses entrailles, jusqu'au thorax. Une flèche se précipita sur elle à cet instant-là, mais elle l'évita sans même y penser. Elle se rua ensuite dans sa direction opposée. L'archer n'était, en réalité qu'à trois pas de là, dissimulé derrière un tronc - comme ne l'avait-elle pas vu plus tôt ! et, n'ayant que son arc pour se battre, fut aussitôt désemparé devant la maître d'armes qui apparut soudainement devant lui. Sans pitié aucune, elle l'égorgea.

Les deux personnes qui avaient attenté à sa vie gisaient désormais sur le sol, privé de la leur et leur sang chaud allait abreuver la terre déjà froide, à cette altitude. Kay s'approcha doucement de Jordan. Elle se laissa tomber à ses côtés. Nul besoin de prendre son pouls ; il était déjà mort. D'un revers du poignet, elle cassa le morceau de bois qui l'avait atteint en son souffle même et de l'autre main, les doigts tremblants, elle lui ferma les yeux. Quelle ironie. Passé d'un camp à l'autre, il n'aura pas survécu longtemps, finalement... Il ne faisait plus trop nuit noire, désormais. Les genoux remontés contre sa poitrine, la demie-Sindel attendit que l'aube se levât. Alors elle porta les cadavres des deux assassins dans une fosse qu'elle venait d'aviser et prit de longues heures pour creuser une tombe digne de son ami. Elle l'enterra là, là où il était tombé dans sa tentative pour la sauver, elle. Le soleil était bien haut quand elle en eut terminé. Mais elle ne serait repartie sans l'avoir fait. Devant cette petite butte de terre, anonyme, elle rappela à elle l'image du jeune garçon et y sourit tendrement.

"Repose en paix, Jordan. Mon brave ami."

Puis son sourire disparut et elle reprit sa route.

Alors qu'elle avait été tranquille durant les trois dernières nuits, toutes celles qu'ils lui restaient avant de parvenir à la citadelle de l'Ordre de l'Opale, sans exception, lui apportèrent des attaques en traître. Mais le jeu avant changé. Ils la surprenaient, mais elle leur tombait dessus. Ils la visaient de flèches et elle enfonçait ses dagues dans leur gorge. Ils fondaient sur elle, leurs épées tendues vers son cœur - seules ses deux lames de ténèbres entraient dans la chair pour la mettre en pièces. Chaque nuit, c'étaient de nouveaux combats, qu'elle gagnait plus ou moins facilement, mais sans qu'il n'eût jamais le moindre doute sur sa victoire. Ils voulurent s'en prendre à Chevauchante ; elle leur fit regretter amèrement, dans un dernier et douloureux soupir. Elle progressait vite, mais elle était épuisée. Elle ne pouvait plus dormir la nuit, n'y arrivait pas le jour. Elle était, constamment, sur les nerfs. Plus de distinction pour ses ennemis : elle les tuait tous, sans la brise d'un regret ou d'une hésitation. Ils étaient tous les meurtriers de Jordan et il en faudrait bien plus pour racheter un jour cette faute. Quand, enfin, elle se présenta à la sentinelle qui gardait l'entrée de Clair de Lune, elle avait le teint cireux - ce qui n'était pas peu dire, même pour une demie-Sindel - ses doigts s'agitaient nerveusement et sa voix était claquante, peu amène.

"Dites à Sylayëm Illinwë que Kay de Kallah est de retour. Et qu'elle le doit le voir tout de suite."

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