Avoir des ailes sur soi est déjà pratique, mais en avoir sur sa monture fait gagner un temps précieux. Sauf qu'une fois à l'embarcadère, encore faut-il que les géants soient foutus d'indiquer correctement les destinations. Ce qui n'est pas le cas. C'est donc contraint et forcé, et malgré l'accolade qui se veut apaisante de mon congénère, que je dois attendre la venue des autres abrutis. Et malheureusement, ils se pointent presque tous. Casse-pieds en premier, la chose en blanc et or, et les thorkins un peu moins indécents cette fois.
Dans mon dos, je sens Dae'ron un peu tendu alors que nous faisons face à quelques engins sur le départ.
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Nerveux ?"
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Un peu.", fait honnêtement mon congénère. "
Je n'ai jamais voyagé à bord de...", commence-t-il avant de désigner la chose.
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Des géants, du bruit, des chieurs infoutus de te laisser tranquille dans ton coin. Sans compter les heures coincés là-dedans à l'étroit si le trajet est complet. C'est tout ce que tu as à retenir.", grincé-je avant de subitement sentir sa poigne contre mon épaule.
Je plisse les yeux mais n'ai pas le temps de m'interroger que la voix du bipède blanc et or se fait entendre. Et que ça piaille et que ça braille et que ça se fait remarquer en houspillant le milicien, mais il ne l'a pas volé cet abruti. Dire que ce truc est censé être un haut gradé dans cette cité moisie. J'avais déjà les humains à une estime plus bas que les mines mertariennes, mais lui, il creuse encore un peu plus. Manque plus qu'il se mette à chialer au premier bobo ou à la prochaine engueulade, et ce sera le bouquet !
Suivi de près par Dae'ron, j'entre avec mon oiseau dans l'engin en passant un peu près de la chose claire à peau sombre à mon goût. J'en profite pour lâcher un commentaire avec une amertume pas même dissimulée.
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Bienvenue à Kendra Kâr la merveilleuse... Oh, et au cas où ce ne serait pas encore clair... Les déserts de Yuimen seront remplacés par des forêts donnant des fruits immenses avant qu'un humain sache ce que signifie le respect... Et se fier à l'un d'eux, c'est être plus inconscient que l'ahuri gravissant un haut sommet dans le blizzard, avec un manchot ou un cul-de-jatte comme chef de cordée."
Pour une fois, Dae'ron pouffe à ma comparaison et s'éclaircit rapidement la gorge, comme se sentant coupable de sa réaction. Mon fiel déversé, j'avise rapidement l'une des rares tables rondes flanquées de sièges bas, dans un coin. Je m'y pose et balaye immédiatement les environs d'un regard méfiant. Toutefois, la première chose que je note est l'inconfort de Dae'ron, qu'il tente d'ignorer en observant la géante qui nous a précédé.
Sauf que je ne suis pas dupe.
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Tu ferais bien de t'asseoir.", conseillé-je en lissant les plumes du harney puis en le regardant. Il m'offre un regard quelque peu interrogateur. "
Cesse donc ! Tu es encore plus pâle que d'habitude.", sifflé-je avant de comprendre que mon ire ne fait qu'accroître son malaise. "
Tu vas tenir ?"
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Cela va aller. L'endroit est plus grand qu'une cage ou qu'un souterrain.", fait-il en s'efforçant de sourire. "
Cela ira mieux quand je me serai changé les idées."
Il joue les courageux, encore une fois. Et là, il le fait pour ne pas m'inquiéter. Pour que je ne change pas d'avis quant à ce départ, et donc pour ne pas retarder davantage l'heure de mon règlement de comptes avec la grosse moche. Pour grossir le trait, il pense à moi. Faisant fi des potentiels témoins, auxquels j'éclaterai la figure si je les identifie, j'étends mes ailes sombres autour du Protecteur en claquant de la langue avec mécontentement. Élevant la main, je lui donne une petite tape du revers des doigts sur le front, et pendant qu'il se le frotte avec une expression curieuse, je grogne.
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Je te l'ai déjà dit, mais je vais quand même te le répéter... N'en fais pas trop."
Le bel aldryde cligne plusieurs fois des yeux avant d'émettre un petit rire. "
Je... Je vais aller proposer aux autres de s'installer avec nous."
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Ah ?!", éclaté-je sans aucune retenue face à l'absurdité qu'il vient de sortir. Mais lui semble s'y être attendu et il ne tressaille même pas.
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Tu ne veux pas que je pense au voyage, pas vrai ?", fait-il avec un clin d’œil complice, qui me fait me frotter le coin des miens.
Je ne peux que vaguement lui faire un geste de la main avant de le voir décoller vers la chose qui a engueulé l'humain plus tôt. Si je m'efforce de ne pas le montrer, je le garde à l’œil quand il s'approche de cette grande figure. De loin, je l'entends compatir au manque de sérieux de casse-pieds et proposer non seulement de s'asseoir près de Lyïl et moi, mais aussi de répondre autant qu'il le pourra aux interrogations d'Eyll... D'Ewë, parce que je n'ai aucune envie de m'encombrer de son nom.
Il est vraiment trop gentil. À croire que tout ce qui lui est tombé sur les plumes à cause de ça ne lui a pas servi de leçon. Faut-il que je m'y sois attaché avec le temps pour réagir de la sorte à cause d'une seule de ses actions...
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