--> Les Ruelles d'Eniod(Milicienne en mission)Ils descendirent tous trois durant une dizaine de minutes encore et alors les deux miliciens se plaquèrent contre une paroi. Jadelle les imita. Depuis qu’ils étaient ressortis de chez l’Armurier, ils n’avaient croisé que peu de gens et maintenant, si près du port qu’ils étaient, on n’entendait personne dont les pas résonnent sur les pavés. Ni piéton, ni cavalier, pas non plus de gosses aux pieds nus ni de mendiant pouilleux. Tout était régit par le chant des mouettes et les caquetages de l’eau qui cognait les quais de pierre. Certes, il y avait bien quelques bateaux qui arrivaient et d’autres qui partaient, mais si peu. L’équipage déchargeait lui-même son chargement : personne ne travaillait plus sur les quais. Ceux-ci était tout bonnement sans surveillance aucune, les marins à la merci de n’importe quel archer elfique.
Jadelle n’entendait plus que sa propre respiration, ne sentait plus que l’air qu’elle rejetait devant elle et qui embaumait le chocolat chaud et ne voyait plus que la vapeur sortant de sa bouche. Seules les pierres froides aiguisaient son toucher et le seul goût qu’elle percevait était celui de ce foutu chocolat qui lui avait brûlé la langue et dégrossi sa bourse. Lentement, le Grand Raide se glissa le long du mur et s’engouffra dans une rue à gauche qui était séparée des quais par une rangée de maisons de pierre sans étage. Il fit signe à la naine de le suivre. Elle se faufila aussi silencieusement que son acolyte et ils grimpèrent tous deux par une gouttière en fer forgé sur le toit de l’une des maisons. Ils s’étaient positionnés de telle sorte que l’homme surveille immédiatement les quais et que Jadelle surveille les toits des rues au dessus d’eux. Le moyen souple était resté en arrière jusqu’à ce que le grand prenne le relais depuis le toit pour la surveillance des quais. La gouttière qui s’était miraculeusement tue au passage des deux premiers miliciens émit un crissement sinistre au passage du troisième. Ce dernier s’immobilisa au milieu de son ascension et Jadelle se demanda comment pouvait-on rester immobile sur une gouttière sans perdre en hauteur, elle se promit de franchement de mettre au sport après cette mission. Aucune présence ne se manifesta et la naine se dit que le bruit de la gouttière ne devait pas être plus élevé que celui des cottes de maille des deux miliciens. Rassurée, elle relâcha quelque peu son observation des rues supérieures.
Alors, profitant certainement de l’inattention de l’apprentie milicienne deux archers lâchèrent des flèches sur les miliciens. Par chance, les premières flèches n’atteignirent pas leur but et les offensés purent rouler sur eux-mêmes et se lever afin de trouver un abri. Le grand raide réussit à se caler derrière une cheminée et Jadelle se dit que c’était une chance qu’il soit maigre et puisse être entièrement caché. Le moyen souple eut autant de chance que son confrère, il courut deux toits sur la droite et trouva lui aussi une cheminée à sa taille. Jadelle qui était, soyons francs, légèrement rondelette, ne tenta aucune cheminée de maison et préféra trouver celle de la cantine centrale du port qui devait, l’espérait-elle, être plus aux mesures d’une naine. Ce faisant elle courait sur les toits, à gauche de la première maison sur laquelle ils avaient atterri. A ce moment, on siffla et se retournant, la naine vit le Grand Raide faire rouler son bouclier rond vers elle. Il l’avait lancé fort et il avait déjà roulé sur deux toits et continuait en ligne droite malgré les tuiles grises qui crénelaient la surface des toits. Elle fit alors un brusque demi-tour auquel les archers elfiques ne devaient pas s’attendre et sauta pour se laisser glisser et attraper le bouclier. Elle courut jusqu’à la cheminée du Grand Raide et présenta le bouclier devant elle, dans la lignée de la cheminée. Alors, elle sortit son arc :
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Ils sont cinq, deux archers qui couvrent et trois elfes à l’épée qui tentent de nous rejoindre.- Ils doivent vouloir atteindre la maison abandonnée. Peux-tu atteindre les archers d’ici ?- Si tu peux tenir le bouclier ainsi, je pourrais viser. Visiblement, ils se relaient, celui sur le toit de droite tire d’abord et celui de gauche tire deux secondes après lui. Je peux viser à temps le deuxième par rapport à l’apparition du premier. » Le premier archer se montra et Jadelle banda son arc en faisant dépasser sa flèche entre le bouclier et la cheminée et le laissa tirer. Elle compta deux secondes dès qu’il apparut et savait que de l’autre côté de la rue, l’autre archer comptait aussi. A deux, sans vérifier la présence du deuxième archer, elle tira et fit mouche : la flèche l’atteignit en plein cou. Le Grand Raide manifesta sa satisfaction dans un grognement sourd et dit :
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L’autre maintenant.- Je ne sais pas comment il va réagir, il risque de changer d’attitude, attendons un peu. » L’autre archer ne tira plus, pourtant ils virent les elfes descendre des toits et courir dans les rues, toutefois, ils ne pouvaient pas les poursuivre, puisqu’ils étaient certainement mis en joue par le dernier archer.
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Il faut que l’un de nous bouge ainsi que……comment s’appelle-t-il ? commença Jadelle.
- Nomme-le Dague pour le moment.- Bien….. Dague et l’un de nous doivent descendre des toits sans que l’archer ne les voie. Ils pourront filer à la maison abandonnée et y attendre les elfes.- Reste alors. Nous ne pouvons pas nous occuper de l’archer.- Attends, donc. J’ai peu de chance de l’avoir sans qu’il sorte la tête de derrière sa planque. Tient moi encore le bouclier. Je vais tirer en l’air peut être la flèche peut-elle retomber près de lui, il devrait se sentir agressé et peut être répliquera-t-il. A ce moment tu lâcheras le bouclier et vous sauterez tous deux du toit et cette fois-ci je pourrais peut être l’avoir.- Il y a trop de facteurs chance dans ta phrase. Fit remarquer le Grand Raide.- Il n’y a pas vraiment d’autre solution, je pense. Si j’y arrive, je saute du toit et je vous rejoins. Je pense que le remue-ménage peut être une bonne façon de vous localiser, lorsque les elfes vous tombent dessus, alors faites du bruit.- Nous n’y manquerons pas ! » affirma en riant le grand raide. Il siffla Dague et il lui fit quelques signes, l’autre hocha la tête et attendit. Jadelle fut surprise qu’il comprenne ce langage des main du grand raide aussi facilement.
La jeune naine devait calculer la trajectoire avec exactitude et dans un temps très court. Elle savait que les Elfes couraient dans les rues en bas, qu’ils surgiraient d’une seconde à l’autre sur les quais pour atteindre la petite maison et que ses alliés n’auraient alors pas le temps de les rejoindre en toute sécurité. Puis, d’un coup, elle tira : ce fut un trait instinctif. Le grand raide et Dague sautèrent du toit et elle entendit les coups sourds de leurs pas sur les pavés.
De l’autre côté de la rue, sur les toits, il n’y eut aucune réaction. Ni exclamation, ni flèche renvoyée, ni mouvement, rien. Durant quelques secondes, seuls les bruits sourds d’un combat à quelques rues lui parvinrent. Elle fut tentée un instant de rejoindre ses camarades et de leur prêter main forte, mais elle devait pour cela être sure que l’archer d’en face était soit hors d’état de nuire soit mort. Elle n’avait pu l’atteindre, au hasard, c’était impossible. Il n’y avait qu’une manière de vérifier si l’archer était encore là : bouger. Jadelle prit son arc en main avec une flèche encochée et, sortant de son abri de fortune, elle galopa sur les toits. Personne ne la visa. Elle osa regarder les toits ennemis : personne ne se montra : elle eut un espoir fou. Alors, elle vit une échelle posée sur le toit contre un mur d’une unique maison à étage. Sans réfléchir plus d’un quart de seconde, elle attrapa l’échelle, la posa au dessus de la rue sur les toits et traversa à quatre pattes. Une fois de l’autre côté, elle tira son épée et se précipita vers la retraite de son adversaire. A sa grande surprise, elle trouva un elfe dont sa flèche avait emprisonné la manche droite de son manteau à un panneau de bois. Pointant son épée sur le cou de l’elfe, elle sortit de sa main gauche sa corde et ficela l’elfe : pieds et poings liés. Elle déchira le capuchon le la cape de l’elfe avec son épée et le bâillonna. Elle prit sur lui son arc et son carquois plein de belles flèches elfiques et aussi une petite dague qu’il avait à la ceinture. Ainsi, il ne pourrait plus leur porter préjudice. Elle prit le temps de trouver l’autre elfe, celui qu’elle avait tué et garda ses affaires aussi.
Après avoir sauté du toit, Jadelle se hâta de trouver la cabane abandonnée, non sans ressentir une certaine douleur quand elle atterrit sur les fesses. Un grand bruit se faisait à l’intérieur. Le corps d’un elfe gisait en travers, il devait donc se jouer à l’intérieur un terrible deux contre deux. Jadelle lâcha une partie des armes devant la porte et dégaina son épée. Hélas ce n’est pas deux mais un seul compagnon qu’elle put aider. Le Grand Raide gisait au sol touché à la tête. Dague se démenait contre deux elfes de dix centimètres de plus que lui. Jadelle prit le plus grand des deux. Elle parvint à coincer le Grand elfe dans un angle mais celui-ci profita de sa taille pour sauter par-dessus elle et attaquer de nouveau Dague tout en harcelant la naine avec sa lame. Finalement, l’elfe de Dague glissa et celui-ci le transperça. Alors, le Grand elfe pris entre deux ennemis, secoué d’une volonté et d’une hargne violente s’agita : il avait ramassé une autre épée et il parvenait à manier ses deux bras l’un à l’encontre de l’autre, ce qui était prodigieux. Mais tout grand combattant qu’il fut, il n’échappa pas à la rancœur de la naine et du milicien, ébranlés par la mort de leur compagnon, et Jadelle sur pourquoi on appelait le milicien Dague : Jadelle mit l’elfe à terre et lui le tua de sa dague. Il ne combattait qu’avec cette arme là. Essoufflés, Dague et Jadelle ne prirent aucun répit, ils sortirent les corps de la cabane et mirent celui du Grand Maigre à part. Ils lui laissèrent ses armes avec lesquelles il serait certainement enterré et firent l’inventaire des autres : 2 arcs, 2 dagues, 2 carquois pleins de flèches elfiques, 3 épées, 3 boucliers, 5 cottes de mailles, 3 heaumes. A ceci, il fallait ajouter un elfe capturé et en bonne santé ce qui était très satisfaisant puisque remit aux autorités de la milice, ce pourrait être une source de renseignements.
Après, Jadelle alla chercher son prisonnier et l’emmena à la cabane abandonnée. Là, ils entreposèrent les armes récupérées, laissèrent l’elfe dans un coin de la cabane, et des matelots attirés par le bruit du combat les rejoignirent et proposèrent aux deux miliciens, quoique regardant la naine de travers, de prévenir la milice pour leur venir en renfort, s’ils n’étaient pas trop occupés avec l’effervescence générale de la ville. Jadelle et Dague avaient trouvé une caisse de plumes de mouettes sur le port qui n’appartenait à personne. Les marins tuaient parfois ces volatiles intempestifs et les mangeaient, ils laissaient alors les plumes dans de grands bacs. Entre deux vieilles voiles, les deux miliciens disposèrent les plumes pour un faire un matelas de fortune sur lequel ils déposèrent le Grand Raide, dans la cabane puis ils attendirent les renforts. Jadelle ne sut jamais le nom du Grand Raide mais elle savait qu’elle garderait son visage en tête durant de longues années et peut être son souvenir ne s’effacerait-il pas. Elle regarda son épée : la lame était immaculée, étrangement elle ne s’en était pas plus servi que cela. Par contre, elle aperçut sur le fourreau de cuir une grande rayure : sûrement quand elle avait roulé sur le toit ; et une éraflure : lorsqu’elle avait sauté du toit à n’en pas douter.