Je me réveille doucement dans un lit bien douillet. Je me redresse, un peu surpris de me trouver à cet endroit. Je ne comprends pas très bien comment ceci a été possible ? Je ne me souviens pas être rentré de mon combat contre le garzok et je ne sais ce qui a bien pu arriver à la shaakt. Je plonge ma tête entre mes mains avant de basculer la nuque vers l’arrière.
(Que m’arrive-t-il ?)
Je me serais évanoui comme ça, sans m’en souvenir, sans savoir que j’étais arrivé à mes dernières limites. De plus comment j’ai bien pu me réveiller dans ce lit ? J’étais dans la grotte tout proche de Bouhen. Je regarde tout autour de moi, mes armes, mon armure, mon casque, mes protèges-bras, tout ce qui m’appartient a été parfaitement nettoyé et briqué pour que tout brille de mille feux. Je m’avance vers une petite table où se trouve une bassine avec une cruche en étain rempli d’eau encore fumante et un morceau de tissu soigneusement plié.
(Il n’y a rien qui pourrait mettre hostile ici. Je me demande bien où j’ai pu débarquer.)
Je pose la paume de mes mains contre le métal. La chaleur se diffuse progressivement dans les tissus et les chairs. La sensation est agréable, je ferme les yeux un instant et je prends une immense inspiration. Un mélange d’odeurs se fraye un chemin à travers mon nez. Je sens un intense parfum de lavande. Je jette un œil à l’intérieur de la cruche et je remarque que des fleurs, de la dite plante, flottent à la surface.
Je prends le textile et le trempe dans l’eau pour commencer comme un rituel que j’effectue depuis des décennies et surtout quand je peux. Le torchon humide et tiède entre en contact avec ma peau. Chaque parcelle de mon corps se trouve ainsi nettoyé, mais à plusieurs endroits des tiraillements me prennent. Quand je regarde, je peux voir des points de sutures d’effectué. Mon corps ressemble beaucoup plus à une passoire qu’à celui d’un bel elfe. En tout cas, je n’ai pas été épargné. Je me rappelle que le combat a été rude, mais je n’étais tant blessé. Que s’est-il donc passé entre le moment où le garzok s’est relevé et maintenant ?
Ma toilette se termine par le lavage de mes cheveux, l’eau en coule noir. Il y a bien longtemps que je n’ai pas eu le temps de les laver. Mes cheveux reprennent petit à petit une couleur naturelle. Je les essore comme je peux puis les attache en arrière. Je me saisis de mes affaires pour les remettre. Ma tunique sens, elle aussi la lavande. Je serais peut-être tombé chez un fada de cette plante. J’enfile toutes les pièces de mon armure et les règles à ma taille grâce aux lanières de cuir. J’enfile mon casque avant de franchir la porte. Je passe devant un miroir qui mesure les trois quart de ma taille. Je peux voir à quel point je suis loin de l’elfe que j’ai été quand j’étais jeune. Je suis devenu un monstre, un combattant, un mercenaire, un guerrier, tout ce que l’on veut de monstrueux, d’odieux sauf un être doux et aimant.
Depuis que l’on m’a arraché Flora, j’ai plongé à bras ouverts dans cette spirale infernal qu’est la haine et la rage. J’ai traqué les assassins de ma douce comme l’on aurait traqué un animal sauvage qui aurait décimé un troupeau. Parmi les mercenaires, je commençais à me faire un nom. Bien sûr, il ne s’agissait que d’un pseudonyme. Personne ne devait savoir qui j’étais réellement à cette époque Daio Ichioama était mort. Il vivait par le sang et pour le sang. Je fus sauvé par mon retour dans la maison familial et par mes multiples rencontres, Cromax, Lothindil, Tatar,… Je repris goût à la vie grâce à eux. De plus Flora m’apparut de nombreuses fois dans mes rêves et à des moments les plus dangereux. Elle a tout fait pour me protéger depuis l’endroit où elle se trouve. J’aimerais tant pouvoir sentir à nouveau son souffle sur ma peau, sentir son parfum et ressentir le frisson de notre amour.
Je m’extirpe de cette nostalgie qui vient de s’installer en moi. Je pousse la porte de bois, elle donne sur un humble et austère couloir. Au loin, une petite salle avec une grande tablée où je peux voir assis plusieurs personnes portant des aubes à capuches. Je n’entends pas un seul mot, juste le bruit des cuillères en bois contre les bols en terre cuite. Je les observe quelques instants, je trouve leur comportement dès plus reposant. Je m’avance et m’excuse auprès d’eux de par mon intrusion. Un des hommes se lève et s’éloigne du groupe après m’avoir fait un signe de la tête. Je le suis jusqu’à l’extérieur, il retire sa capuche et laisse apparaître un banal visage humain. Des yeux marron, des cheveux bruns, une peau légèrement halée, d’un poids et d’une taille moyenne. Je lui présente encore mes excuses pour le dérangement que j’ai pu occasionner et de m’avoir sauvé. Il me répond avec une voix humble qu’il n’a fait que son devoir pour un fils de Rana.
(Moi un fils de Rana ? Il a dut sentir en moi, la grâce que m’accorde la déesse pour utiliser son pouvoir.)
Je lui demande ensuite :
« Excusez-moi, moine. Je voudrais savoir comment je suis arrivé en ce lieu ? »
Il me regarde étonné que je ne m’en souvienne pas. Il semble réfléchir un bon moment avant de me répondre :
« Des ombres vous ont amenées ici. »
Je reste interloqué pendant un instant. Puis des souvenirs remontent des fins fonds de ma mémoire. Je me revois tuer la prêtresse d’un Rana Slash puis je vois la poupée de mon épée chanter et des flammes apparaître. Jack a pris le dessus à ce moment. L’envie de meurtre, l’envie de sang et de mort est arrivée à son paroxysme. Je suis à nouveau devenu le monstre que je suis réellement. Je me répugne rien que d’y penser. La dernière chose que me montre mon esprit, c’est une apparition lumineuse. Elle me donne son nom, Michel puis l’instant d’après, je m’écroule de fatigue.
« Les ombres vous ont-elles données leurs noms ?
-L’une s’appelait Jack et l’autre Michel. Après vous avoir amenez ici, elles ont disparus comme une brume se dissipant. Sur le coup, je me suis demandé si je n’avais pas rêvé. Je n’avais jamais rien vu de pareil.
-Ce n’est rien moine. Il s’agit de mes anges-gardiens même si l’un d’entre eux et plus proche du démon que d’autre chose. »
Le moine ne me répond rien. Je m’excuse auprès de lui et je lui demande où se trouve l’autel de la déesse Rana. J’aimerais me retirer un instant pour la remercier. Elle m’a sauvé la vie encore une fois en me prêtant son énergie, son pouvoir. L’humain me montre du doigt un modeste temple. Je le remercie en plaçant mon poing dans une paume ouverte. Je me retire silencieusement laissant le moine reprendre sa place à la tablée.
J’entre à l’intérieur du lieu dédié à la déesse Rana, il n’y a rien à l’intérieur. Il s’agit d’une simple pièce rectangulaire qui est plongé dans la lumière grâce à une bête meurtrière. Quand je regarde autour de moi, il y a de nombreuses alvéoles recouvertes de cire et dans certaines des cierges brûlent encore. Au centre la pièce se trouve une pierre, quand je m’en approche, je ressens le pouvoir de Rana m’envahir. Il s’agirait donc d’un don qu’a fait la déesse aux êtres vivants sur les terres de Yuimen afin qu’ils puissent la prier et avoir un contact direct avec elle.
Je m’assois en tailleur, les mains posé sur les genoux et je ferme les yeux afin que mes prières atteignent la déesse. Je commence une méditation profonde, j’abandonne toute conscience de mon corps de chair. Je laisse mon esprit vagabonder et profiter des courants d’air pour envoyer des paroles à la déesse. Les premières furent celle-ci :
« Déesse Rana, je te remercie de l’aide que tu m’apportes depuis des années. Je recherche l’ascension vers un pouvoir encore plus grand et me permettant de m’approcher encore plus de toi. »
Je continu de palabrer pendant un bon moment pour remercier la déesse Rana. Je m’arrête lorsque je remarque que le soleil commence à se coucher. L’ambiance est magique, le ciel se colore de toutes les couleurs possibles. Il y a bien longtemps que je n’ai pas profité de ce spectacle. Il est si reposant. Je reprends conscience de mon corps. Je me relève et dépose une petite bourse d’or pour la déesse, même si au fond de moi, je me doute parfaitement que ceci sera dérobé.
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Trois êtres distincts pour une seule âme et une destinée
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