La première étapeForte de l’argent que j’avais gagné suite à ma traversée sur le bateau d’Ektor, j’ai pris la direction du centre ville. J’avais dans l’idée de monnayer mon salaire contre quelques objets qui pourraient être utile pour la suite de mon aventure en territoire inconnu. (C’est vrai que c’est la première fois que je suis loin de ma patrie, mais comment j’ai pu me mettre dans un pétrin pareil ?) Enfin, qui vivra verra.
J’arrive au bout du ponton et je me retourne. Je vois Ektor au loin qui donne des ordres à ses marins afin de décharger sa marchandise. C’est le premier humain que je rencontre et il a accepté de me prendre sur son bateau en échange de mes services de protection. (Au moins, mon entrainement m’aura servi à quelques chose !) Le regard d’Ektor croise alors le mien. Ses lèvres se transforment en un sourire, puis il fait un léger mouvement de tête vers le bas en signe de remerciement. (Les humains sont tellement faciles à comprendre, si seulement j’avais réussi à lire dans le cœur de mon frère, je n’en serais pas là aujourd’hui.) Repenser à tous ses évènements éveille en moi un sentiment profond de nostalgie. Mon frère, mon sang, ma chair, me trahir, il a ce jour-là commis un acte impardonnable. Après un dernier regard vers Ektor et son équipage, je pars en direction des rues du centre ville.
Etroites et sombres, les rues de Bouhen ne sont pas très accueillantes. Contrairement au port, très vivant, ces rues pourraient faire froid dans le dos. On a l’impression d’être observé, épié depuis chaque petite zone d’ombre présente dans toutes ces rues. J’ai le sentiment d’étouffer, je pourrais sursauter au moindre bruit. C’est donc la main sur le pommeau de mon épée que j’avance doucement. Les premières maisons sont toutes enduites de poussière, les murs sont noirs, froids, odorants, ils sentent la mort. Je m’arrête, cette ambiance me glace le sang, un frisson me parcourt le dos. Je réprime une violente envie de prendre mes jambes à mon coup et de rentrer chez moi avec Ektor. Néanmoins, je dois dépasser ma peur et je reprends la route.
Arrive le premier croisement, et oh ! soulagement, des gens se baladent dans les rues adjacentes. Mes peurs s’envolent doucement en retrouvant la civilisation. J’avance donc plus sereinement en direction de l’Est, comme me l’a indiqué Ektor lorsque je suis partie. Je finis par faire attention à l’architecture des bâtiments. Les habitations sont toutes très sommaires mais, de toute évidence, elles suffisent à leurs habitants. C’est là que j’ai compris, j’ai compris que le quartier que je traversais devait être le quartier pauvre de la ville. Cela ne faisait aucun de doute maintenant. Des toits de chaumes, des murs en bois, des murs de briques fissurés, c’est de l’habitat typique des quartiers pauvres humains.
Un enfant jouait juste devant moi. Je me suis approchée pour comprendre son jeu mais je l’ai malheureusement effrayé. Il a appelé sa maman au secours. (Mais qu’est ce que j’ai fait, bon sang, je ne vais pas te manger ! Je voulais juste regarder à quoi tu jouais, espèce de … nain ?) Ma lanterne venait de s’éclairer, la simple pensée de nain a fait tilt dans mon esprit. (Aenaria, tu n’es qu’une grande saucisse sans cervelle !) Je me suis machinalement taper le front en signe de dépit. (Le diadème d’argent qu’Ektor m’avait donné à failli tomber, il avait appartenu à sa défunte femme, je devrais faire plus attention.) Je manque de bon sens par moment. J’ai beau venir d’une civilisation intelligente et cultivée, je fais parfois preuve d’une grande débilité. Je ressemble à un géant pour cet enfant qui a légitimement appelé sa maman. Ou bien ce sont mes oreilles qui lui ont fait peur, je suis une parfaite étrangère à ces yeux ou pire les deux.
Pour essayer de comprendre le pourquoi du comment du parce que, je me suis adossée à une des bâtisses dans l’esprit de démêler le fond du problème. Comme j’ai l’habitude de le faire dans ce genre de situation, je me suis laissée tomber le long du mur afin de me mettre en tailleur pour méditer. (Je suis très compliquée comme fille et surtout comme elfe grise.) Ma mère me le disait souvent, je pense trop et je n’agis pas assez. (Qu’elle repose en paix…) Il vaut mieux réfléchir que d’agir sur l’impulsion et finir dans une boite.
J’ai détaché mon épée de ma ceinture pour la poser devant moi, prête à être dégainée, et je me suis confortablement installée en tailleur. J’ai voulu faire le vide dans ma tête mais cela est bien trop difficile en ce moment, c’est peut-être une des raisons qui fait que je ne trouve pas facilement le sommeil. Trop de choses tournent dans ma tête et je ne fais pas attention à ce qui m’entoure.
Le petit garçon que j’avais apeuré est revenu dans la rue pour récupérer son jouet. Me voyant songeuse dans la rue, il prend ses affaires et prend le chemin de sa maison. Mais quelque chose l’arrête car il revient sur ces pas pour s’asseoir devant moi. Il ne prend pas peur en voyant mon épée posée devant moi, il doit y être habitué dans une ville garnison. Blond aux yeux verts, il doit faire parti des garçons les plus mignons de son âge. La saleté sur son pantalon n’enlève rien à son charme d’enfant. (S'il avait mon âge, j’aurais bien aimé qu’il soit mon fiancé… qu’il repose en paix lui aussi.) Il semble qu’il n’est plus peur de moi, donc il a déjà vu quelqu’un comme moi. Mais comment est-ce possible, les étrangers n’ont pas le droit de rester vivre dans les murs et donc encore moins d’y dormir alors pourquoi n’a-t-il pas peur ? (Il aurait vu mon frère ou quelqu’un de ma race récemment, génial ! Bon Aenaria, fais preuve de tact et attends qu’il joue son premier pion.) Les relations humaines c’est comme une partie d’échec : il faut attendre que le joueur d’en face commence pour pouvoir mettre en place sa stratégie.
J’observe attentivement ce petit garçon qui dépose six petits objets devant moi qui se ressemblent. Je ne sais pas ce que c’est et cela m’intrigue, c’est donc avec beaucoup d’intérêt que je regarde le petit garçon faire. Il prend un des objets dans sa main tout en disposant les autres de manière anarchique. Celui qu’il avait dans sa main, il le lance en hauteur et d’un mouvement rapide de la main, en attrape un par terre et récupère celui qui était dans les airs avant qu’il ne touche le sol. Il recommence l’opération en lançant les deux objets qu’il avait dans la main et en attraper un troisième au sol. Cependant, il n’arrive pas à attraper les deux objets en l’air. Je peux lire de la déception sur son visage. Il récupère tous les objets et il me les tend.
- « Essaye de faire mieux que moi. »
Ce petit bonhomme vient de m’adresser la parole. Je suis prise au dépourvu. (Je ne m’y attendais pas à celle-là !) Je prends donc les objets qu’il me tend. J’en prends un dans la main et étale le reste sur le sol. Je réussis le premier coup avec une facilité déconcertante, je réitère l’opération avec deux de ces objets cette fois. Un nouveau succès mais de peur que le petit ne soit déçu par ma prestation à ce jeu, je préfère rater le troisième lancer. Il faut que j’arrive à apprivoiser ce petit bonhomme. Je lui tends alors ses objets afin qu’il recommence.
- « D’où je viens, on ne connaît pas ce jeu. Comment s’appelle-t-il ? »
- « On appelle cela les osselets parce qu’au début les billes de terre avec lesquelles on joue étaient des petits os de lapins. »
Un long silence s’installe ensuite pendant que le petit prépare le jeu. Il arrive une première fois, une deuxième fois, puis une troisième fois mais échoue à deux billes de la fin, ces petites mains ne bougent pas assez vite. Il me tend de nouveau son jeu. Je retente ma chance et m’arrête au même niveau que lui – pour ne pas le froisser –, il a l’air tellement heureux que je perde. (L’orgueil masculin dans toute sa splendeur !)
- « Tu te débrouilles bien pour quelqu’un qui n’y a jamais joué, tu es une elfe c’est ça ?
Il est loin d’être stupide ce petit garçon, n’importe qui aurait compris ça en me regardant mais il coupe dans le vif du sujet. A moi d’en apprendre plus maintenant.
- « Tu es intelligent pour ton âge. Oui je suis une elfe, je m’appelle Aenaria. Et toi ?
- « Mon nom est Iladim, fils de Brahma. Ma maman est couturière. »
Brahma serait sa maman ? Il a perdu son père alors, sinon il m’aurait donné le prénom de ce dernier. Le pauvre, je connais la douleur que cela fait dans le cœur. Il ne mérite pas un sort pareil. (Personne ne devrait connaître un jour la douleur de perdre ces parents mais c’est immuable.)
- « Tu n’as pas peur de moi Iladim ? Serais-ce parce que tu as déjà rencontré quelqu’un de ma race ? »
- « Il y a deux jours, un elfe comme toi est arrivé en ville. Il a pris la direction du marché. Il était accompagné d’un groupe de personnes aussi grandes que lui. Ils m’ont fait froid dans le dos, ils étaient armés, plus lourdement que toi. On aurait dit des membres de l’armée avec leurs tenues similaires. J’ai remarqué une chose bizarre, ils avaient la peau noire. »
- « Iladim, tu es bien sur de ce que tu me dis ? »
Il acquiesça de la tête. Oh mon dieu, mon frère a des liens avec des Shaakts. (Comment il a pu faire une chose pareil ? Il est complètement malade !) Les Shaakts sont les ennemis de toutes les races elphiques qui peuplent ce monde. Il a étudié la diplomatie mais il ne peut pas être aussi bon diplomate que cela. Réussir à faire entendre raison à des Shaakts est une mission impossible, c’est un miracle qu’il soit encore en vie aujourd’hui.
Iladim a repris son jeu alors que je me perdais un peu plus dans les méandres de mes pensées. Apparemment ma petite tête blonde l’avait bien vu et ne me proposa pas de jouer de nouveau avec lui. Il se contenta de jouer tout en me regardant du coin de l’œil. Soudain, une femme apparue au coin d’une rue. Elle était habillée de d’une robe bleue fine, avait les cheveux tressés et portait des sabots de bois. Elle regarda dans toute la rue jusqu’à ce que ces yeux tombent sur Iladim.
- « Iladim, pourrais-tu me faire le plaisir de rentrer immédiatement à la maison, tu as du travail qui t’attend. Et ne t’ai-je pas répété maintes et maintes fois de ne pas parler à des inconnus ? »
- « Je suis désolé Aenaria, mais je dois rentrer chez moi. J’espère que tu trouveras ce pour quoi tu as fait un si long voyage. »
- « Iladim, pourrais-tu te dépêcher s’il-te-plaît ?
- « Au revoir. »
- « Merci beaucoup Iladim, je ne t’oublierais pas. »
- « J’espère bien. »
Iladim est parti en courant rejoindre sa maman. Il m’a fait un signe d’adieu de la main et a tourné au coin de la rue avec sa maman. J’allai reprendre mon épée lorsque j’ai remarqué que les billes étaient restées devant moi. Iladim avait oublié son jeu, c’était donc ça le message caché dans ses dernières paroles à mon attention. Il m’a volontairement laissé son jeu pour que je ne l’oublie pas. (Quelle délicate attention de sa part.) J’ai ramassé les billes, les ai mises dans mon sac, ai rattaché mon épée à ma ceinture et suis partie en direction du marché à la recherche d’information sur mon frère et ses suivants.
=> direction le marché de Bouhen