< Les portes de la villeNous atterrîmes sur les pavés des ruelles de Bouhen. Je regardai autour de moi, me tordant le cou pour observer les immenses bâtiments qui nous entouraient. J'étais à la fois impressionné et empli de curiosité. Tout était si différent ici, les constructions, bien que moins impressionnantes que la muraille de la ville, étaient aussi hautes que des arbres et il y avait tellement d'agitation, tellement de vie. Les rues étaient bondées de grands dadais, tous affairés à quelque-chose ou pressés d'aller d'un point à un autre de la ville. Ils se croisaient en déambulant dans la rue, se touchant presque, dans ce qui ressemblait à une danse générale. D'autres, derrière des étals, criaient haut et fort les mérites de leur marchandise, et hélaient les passants pour quérir leur attention. Tout semblait aller si vite, la ville semblait être en fête, mais apparemment cet état était normal.
"C'est beau hein ? Tu n'étais jamais venu ?" me demanda Bab, observant ma mine d'enfant venant de découvrir un immense magasin de jouets.
Je secouai la tête en signe de négation et me forçai à quitter les yeux des alentours pour les plonger dans ceux du lutin. Je lui fis un sourire niais. Il me le rendit et ajouta :
"Tu me rappelles moi-même il y a quelques années. J'étais exactement comme toi la première fois que j'ai mis les pieds ici ... Bon ne traînons pas ici, ou on va finir sous la semelle d'un orc" fit-il en me montrant un groupe de peaux vertes bien armées qui marchaient tout droit sur nous, sans nous voir.
L'alchimiste me tira jusqu'à une ruelle sur notre gauche, beaucoup moins fréquentée.
"On va prendre le tram pour aller jusqu'à chez moi, ça ira plus vite, et on ne s'f'ra pas écraser." "Le tram ?" répondis-je curieux.
Il sourit, sans me répondre, et farfouilla dans son sac qui émettait des bruits inquiétants de verre brisé, grommelant sur la façon qu'il avait de ranger ses affaires. Enfin, il en sortit un petit sifflet dans lequel il souffla. Le son qui en sortit était très aigu et presque imperceptible. L'attente ne fut pas longue avant qu'un énorme chien d'une couleur noire de jais déboula de nulle part pour s'arrêter juste devant nous.
"Letrâm, c'est le nom de mon chien." dit-il avant de s'agripper à l'une des oreilles et de se hisser sur le cou de l'animal.
Je regardai le colosse. Il était taillé tout en muscles, et bien qu'il semblait vivre dans la rue, il ne mourrait apparemment pas de faim. Il aurait pu me paraître inquiétant si je l'avais croisé dans d'autres circonstances. Je m’approchai de sa gueule et tendit la main pour lui caresser le museau. L'animal me renifla puis se mit à lécher les restes de bière sur moi de sa grosse langue baveuse.
"Hé ! En plus de sentir le houblon, je ne veux pas sentir la bave de chien ! Na ! " m'indignai-je.
L'animal jappa tout en frétillant de la queue. Il m'avait adopté, et moi j'avais adopté sa bave ! Bab se mit à rire et je grognai, bougon. D'un mouvement ample, je m'accrochai à l'oreille canine et m'assis derrière Bab, agrippant les poils noirs comme une bride de cheval. L'alchimiste donna un léger coup de talon contre la peau de Letrâm pour lui faire signe qu'il fallait y aller.
L'animal partit en trombe et je crus un moment décoller. Je m'accrochai de toutes mes forces aux poils pour ne pas aller manger la poussière. Les rues défilaient à une vitesse vertigineuse tandis que le chien cavalait, slalomant à travers les passants qui grognaient d'indignation. Bab dirigeait notre monture en tirant légèrement sur les poils du cou et lui murmurait des choses inaudibles aux oreilles, penché en avant. Autant dire que le voyage ne fut pas de tout repos, et je me posai la question un moment si je ne préférais pas risquer de me faire écraser par les grand dadais plutôt que de voyager comme cela.
Nous arrivâmes tout de même à destination. Le canidé s'arrêta en dérapage devant une petite boutique dont l'enseigne représentait un parchemin recouvert de mots en langue ancienne.
"C'est ici que tu habites ?" demandai-je au lutin qui m'accompagnait.
"Oui !" répondit-il.
"Je travaille aussi ici, avec Alcofribas Chantelierre, le propriétaire de la boutique. C'est une boutique de magie, ça devrait te plaire, de ce que j'ai vu, tu t'y connais un peu ..." Puis, tout souriant, il passa la porte de l'échoppe par une chatière creusée dans le bois, se courbant pour ne pas s'y cogner la tête et me fit signe de le suivre.
> La Boutique magique "Aux milles arcanes"