II-3 Un remède douloureux (suite 3)Rapidement, mon espoir de voir l’épreuve se terminer s’évanouit, lorsque je me retrouve dans la demeure de mon enfance. Je suis enfant et dans l’entrepôt familial, où je m’exerce à la pratique de la magie depuis peu. L’ensemble est composé d’un mélange entre des murs en pierres et une armature en bois. De nombreux objets inflammables sont présents comme du tissu pour la confection des esclaves, des fétus de paille, réserve de nourritures et une quantité d’autres choses encore. C’est un endroit tranquille et je m’y suis aménagé une petite place pour ma pratique du feu. Derrière-moi j’entends un bruit de pas. C’est ma sœur. Plus âgée que moi, elle possède une fine tenue sur tout le corps, fait d’un seul tissu violet, moulant ses jeunes formes et une cape en fourrure remontant sur les épaules. Les femmes ont toujours été favorisées dans la culture shaakt, mais ma sœur, qui peut espérer devenir une des grandes prêtresses de notre culte, profite d’un statut particulier. Depuis mon jeune âge, elle a toujours été cruelle envers moi et sans aucune retenue que celle de me laisser vivre.
Je reconnais enfin ce moment. C’est celui qui m’a valu d’avoir cette brûlure sur le bras droit et avec, une terreur lorsque je vois une flamme. Comme un spectateur, je laisse le fil des évènements se dérouler sans pouvoir intervenir.
"C’est donc ici que tu te cachais ! Je n’ai pas pu m’amuser avec toi aujourd’hui, mais je vais me rattraper comme il se doit. Je trouve que depuis que tes pouvoirs sont apparus, on te prête un certain intérêt. Et cela me déplaît fortement." Me dit-elle en s’avançant lentement.
"Tu ne devrais pas être avec les prêtresses en ce moment ?" Lui dis-je, sachant que ces réunions sont vitales pour son devenir et celui de notre famille.
"Que ces vieilles harpies se fassent bouffer par les chiens, j’ai des plaisirs à assouvir. Alors, pourquoi ne me montrerais-tu pas tes progrès ?"Je préfère me cacher derrière une poutre plutôt que d’affronter ma sœur qui je sais, ne cherche qu’à me tourmenter encore.
"Tu te caches de ta propre sœur ?" Me nargue-t-elle.
"Si tu ne veux pas me montrer, je ferais mieux de t’y forcer."D’un geste rapide, elle se déplace et m’agrippe le bras droit en le soulevant.
"Que dois-je faire pour voir cette flammèche ? Te frapper peut-être ?" Associant le geste à la parole, son poing me percute violemment le ventre et me coupe le souffle.
"Allez espèce de larve. Montre-moi pourquoi on s’intéresse soudain à toi vermine !"Je revis comme lors de cette fois-là les évènements. Le souvenir de toutes les tortures et humiliation me reviennent. La haine que je lui porte surgit et se mue en une boule de feu que je lui projette dessus. Surprise, elle parvient à esquiver au dernier moment non sans embraser sa cape en fourrure. De rage elle me repousse en arrière et s’empresse de se dévêtir du vêtement en feu.
"Tu as osé faire ça ? Je fais te le faire payer. Tu aimes les flammes ? Tu vas être servis !"Elle prend la cape en feu par l’un des derniers morceaux encore intact, ainsi qu’une corde. Elle s’avance vers moi et m’assomme d’un coup de pied à la tête. Je ne peux réagir lorsque je sens quelque chose me serrer les bras et me brûler la main. Je reprends conscience sous l’effet de la douleur et vois mon bras emmitouflé dans la cape de feu, ainsi que la corde qui m’empêche de la libérer. En tenant l’une des extrémités de la corde, je vois ma sœur se délecter de ce supplice. Loin d’étouffer les flammes, la corde prend feu. La douleur est horrible et j’hurle à m’en faire mal. Quelques morceaux de la cape se détachent et commencent à enflammer les lieux au contact d’un fagot de paille au sol.
"Alors, tu perds le contrôle petit frère ?"Autour de moi les flammes ne cessent de grandir, créant une épaisse fumée noire. Rapidement, l’entrepôt devient un four ardent où il commence à être dur de respirer correctement. Seulement je me moque de tout cela. Mon bras qui brûle encore est mon unique obsession. J’ai l’impression que mon bras s’immole jusqu’aux os. Finalement, ma sœur lâche la corde et il me faut encore un peu de temps pour me libérer. Au travers de la fumée qui se densifie, je vois mon bras entièrement brûlé. Chaque geste, chaque mouvement sur mon bras me fait frémir de douleur. Plus loin, ma sœur se dirige lentement vers la sortie. Je me souviens de cet instant. C’est celui où m’enferme dans ce brasier sans connaître la trappe secrète au sol. Je l’ai découverte quand j’ai aménagé mon espace pour m’entraîner sans embraser l’entrepôt comme maintenant. Je me baisse pour enlever le tapis qui recouvre la trappe, saisis le cercle métallique en guise de poignée et tire. Rien, la trappe ne s’ouvre pas.
Je ne comprends plus. Moi qui pensais que ne je faisais que vivre ce moment, celui-ci est différent. La trappe devrait pourtant s’ouvrir pour me permettre de survivre à ce brasier, mais non.
"Un problème petit frère ? Tu as chaud peux peut-être ?" Me fait une voie sombre.
Je regarde dans la direction de la voix et y aperçois ma sœur, mais elle est différente. Premièrement, elle devrait être dehors et non à l’intérieur. Deuxièmement, les flammes du brasier se reflètent sur son visage, dont les yeux sont d’un noir absolu. L’épreuve a pris le pas sur le souvenir et la marque a pris possession du corps de ma sœur. Maintenant que je ne suis plus spectateur, la terreur des flammes reprend le dessus. Je me tétanise et m’accroupis au sol. La peur prend même le pas sur ma douleur au bras. J’en suis au point où je souhaite que la fumée prenne le dessus et me tue, avant que les flammes ne le fassent.
"Tu vas sombrer dans les ténèbres et tu feras partie à jamais de la marque." Me fait la chose qui ressemble à ma sœur.
J’ai peur. Terriblement peur. Je suis au milieu de mon enfer personnel sans être capable de me sauver. Je continue de tirer sur la trappe, en vain. Je m’apprête à lâcher prise lorsque je sens une pression me serrer la main gauche ? Pourtant, je n’ai rien en main. Rien, hormis Sylve qui continue de me soutenir dans cette épreuve.
(C’est ça, ce n’est qu’une épreuve ! Je ne suis pas dans cet entrepôt en feu, je suis à Oranan chez le guérisseur. Quand j’ai affronté ma maîtresse, j’ai réussi à prendre le contrôle. Il me faut simplement recommencer. A Omyre, je devais lutter pour être libre. Ici je dois lutter contre ma peur.)
Je me répète que tout ceci ne sera plus, une fois l’épreuve terminée. Je sers ma main gauche et me focalise sur ma sœur. Lentement je m’avance vers elle. Elle ne bouge pas et continu de me fixer en bloquant la seule sortie. Je me mets à courir et la distance semble plus grande qu’il n’y paraît. La fumée m’asphyxie et les flammes me font souffrir, mais les épreuves m’ont appris que tant qu’on souffre on est vivant, que ce soit dans le gel de l’hiver ou dans ce feu infernal. Qu’il me faut être calme face aux évènements et laisser passer ceux où je suis impuissant. Que ma faiblesse peut être une force pour comprendre les choses et qu’il existe une puissance latente en moi. Galvanisé par ces épreuves, je charge la matérialisation de la marque qui devient une brume noire. En la traversant, j’entends ses ultimes paroles.
"Je serai toujours en toi, à guetter la moindre faiblesse dont tu feras preuves."La brume noire se dissipe et je brise la porte dans un flot de lumière.
"Il est en vie ?" Demande une voix féminine.
"Je sens son pouls, mais il ne semble pas réagir." Lui répond un homme.
"N’y a-t-il rien que l’on puisse lui donner ?""J’ai faim." Lui dis-je faiblement.
J’ouvre difficilement les yeux et me retrouve de nouveau chez le guérisseur. La semi-elfe me tient toujours la main gauche et de l’autre côté le vénérable Sifo pousse un soupir de soulagement.
"Ca y est, c’est terminé ?""Oui. Me répond le guérisseur. Tu es parvenu à mettre à mal la marque maudite. Comment te sens-tu ?""J’ai aussi faim que je suis fatigué et je suis prêt à dormir des jours.""On ferait mieux de te porter ailleurs dans ce cas. Mon antre n’est guère idéal pour un long repos. Je puis toutefois étancher ta soif si tu le désires.""Jeune femme." Dit-il en s’adressant à la semi-elfe.
"Je vous laisse vous charger de lui. Il est très fatigué et a besoin de se restaurer.""Dans ce cas je vais l’emmener chez moi." Lui répond-elle.
"Tu as la force de te lever ?" "« Ca » pouvoir marcher, mais « ça » pas vouloir déranger toi !""Je ne suis jamais chez moi et je ne reçois personne non plus.""Je vais prévenir les gardes qu’ils vous aident à le porter et je vais préparer de quoi le mettre sur pied rapidement.""Merci vénérable Sifo."Je le vois quitter mon champ de vision en déposant au passage une gourde d’eau fraîche. Derrière-moi, la porte s’ouvre.
"Messieurs, veuillez escortez cet homme avec tout le respect qu’il lui est dû. Vous l’avez certainement entendu subir des épreuves que vous ne comprendriez jamais. Si j’apprends qu’il a subi un mauvais traitement, je m’assurerais moi-même de votre sort. Ai-je été clair ?" Ordonne Sifo aux soldats en poste.
"Oui vénérable Sifo !" Répondent-ils simultanément.
La semi-elfe m’aide à me rhabiller et à me lever délicatement. Dehors, les soldats droits comme des piquets, forment une sorte de haie d’honneur. J’en rigolerais si je n’étais pas aussi épuisé.
"N’oubliez pas ceci." Déclare le guérisseur au seuil de sa porte. Il tient un petit colis dans un tissu beige.
"Apposez-lui ceci avant son sommeil, les instructions sont à l’intérieur. Une dernière chose, la marque maudite est fortement affaiblie, mais elle reste toujours présente. Tant que tu garderas une forte volonté, comme tu l’as prouvé ici, elle ne sera pas un problème.""Merci vénérable Sifo. Je vous en serais toujours reconnaissant." Lui dis-je en quittant les lieux pour aller me reposer.
J’ai accompli quelque chose aujourd’hui, mais je sais que la dernière épreuve ne s’est pas passée correctement. Je devais certainement prendre le dessus sur ma peur, mais au lieu de cela j’ai fait comme s’il n’y avait rien, comme une simple illusion. Même si la marque semble plongée dans une longue veille, le moindre réveil de ma peur du feu risque de la réveiller et cela m’effraie.
II-4 Chez Sylve