[
Petit héron]
L'enfant hurle, le corps recouvert d'une sueur poisseuse et puante. Malgré sa frêle carrure, il contraint Lachesis à peser de tout son poids pour le maintenir relativement immobile. Son côté gauche est rouge et gonflé. Un pustule purulent marbre ses côtes. Le pus jaunâtre est visible, la peau en regorge, les bords de la protubérance sont noirâtres autour de ce flot impur. Une vieillarde sèche, au visage plein de replis et au nez énorme orné d'une verrue mange ses mots rageurs.
«
Paysans débiles, pourquoi qu'y m'ont pas faite venir avant hein ? J'aurais pu le soigner sans douleur et bien plus facilement après qu'y ait été piqué ! Mais nan ! Fallait qu'y z'attendent. Ch'parie qu'ils y ont rebattu les oreilles avec des 'Ça va passer, fais pas le bébé' à c'pauv' gosse. »
Apparemment, le peigne de Mizubaba est bien plus puissant qu'elle a bien voulu le dire. Lui permettant de modifier bien plus que son âge. Ou alors, elle a beaucoup plus d'artefacts et tours dans son sac qu'elle ne l'admet.
«
Tu es prêt, petit ? »
Pendant une seconde, Lachesis croit que la guérisseuse s'adresse à l'enfant avant de réaliser que ces mots lui sont destinés. Serrant les dents, sachant ce qui arrive, elle fixe Mizubaba et opine du chef, l'air résolu.
Attrapant de petites feuilles séchées de couleur de terre, Mizubaba en fiche une grosse poignée dans sa bouche et commence à mâcher, l'air rageur mais concentré. Crachant, elle malaxe un peu la pâte ainsi obtenue. Puis, elle applique le cataplasme peu ragoutant sur le bout du pustule prêt à exploser. Les yeux exorbités, l'enfant tente de hurler mais la douleur est telle que son visage se fige dans un masque qui aurait pu sembler comique si la situation n'était pas aussi tragique, totalement muet. Son corps tendu se bloque quelques secondes et le malade retombe, inconscient.
Le remède drainant agit rapidement, des flots visqueux et encore plus odorants que le corps du gamin s'écoulent dans la bassine préparée à l'avance.
«
Aurons-nous assez du remède ? » s'inquiète Lachesis, la voix rendue tremblante par la fatigue.
«
Oui, maint'nant que la croûte de pus est rompue, le poison va s'écouler un moment et on en mâchera encore un peu pour finir le boulot. C'pas possible d'en arriver là. Même si je sors la saleté, c'pas dit qu'il survive. Son corps a trop subit. »
Lachesis se met tout de suite au travail. Pressant une grande quantité de kimflies, de petites baies aux fortes capacités nourrissantes, elle en récupère le jus, qu'elle chauffe à l'aide de la flamme d'une bougie. Elle retire ensuite la pulpe de sa membrane de peau, qu'elle émulsionne dans le liquide chaud pour créer une mousse légère qu'elle assaisonne de poudre de cheveux de Gaïa. Ainsi, Mizubaba et elle espèrent redonner des forces à l'enfant tout en le vidant des restes de venin ayant provoqué le pustule géant.
Le bruit du pus s'écoulant de la plaie béante est encore plus vomitif que son odeur. On croirait entendre la pisse matinale d'un homme, d'après l'enseignante. Qu'autant d'impureté ait pu se loger sous cette peau si délicate d'enfant dépasse l'entendement de la semi-elfe. Enfin, le flot se tarit et Mizubaba redépose du cataplasme, un peu plus en profondeur, pour faire sortir les restes d'infection.
Lorsque les doigts noueux triturent ses chairs à vif, l'enfant s'éveille à nouveau, visiblement soulagé mais toujours en souffrance. Il gaspille ses faibles forces à pleurer en appelant sa mère.
Posant une main apaisante sur le front du garçonnet, Lachesis lui chuchote des mots tendres en le poussant à boire la concoction qu'elle lui a préparée. D'abord réticent, il boit ensuite avidement. Le goût des baies ayant rendu supportable la saveur des cheveux de Gaïa, souvent décrite comme repoussante.
«
Maintenant, le pire commence. »
Sur ces mots peu encourageants, Mizubaba souffle une poudre argentée très fine sous le nez de son patient qui venait de finir sa boisson. Il s'endort instantanément.
«
Que faites-vous ? » s'écrie Lachesis, au bord de l'hystérie.
«
Faut faire sortir les œufs. »
C'en est trop pour Lachesis qui vomit dans la bassine de pus, ajoutant encore au fumet ambiant. Faisant comme si de rien n'était, Mizubaba continue son explication.
«
La créature qui l'a piqué, c't'une Arachnar. Une araignée grosse comme ma tête qu'a un dard au lieu d'mandibules. » Mimant des mandibules, elle jauge Lachesis, guettant ses réactions à venir. «
Quand elle t'pique, elle te met du v'nin dans la carcasse pis y'a un tuyau qui te met des œufs qui grandissent. Y poussent dans ta chair et le pus c'est leur cocon. Quand la blessure est jeune, les œufs y sortent avec l'infection. Mais là, y z'ont pris racines. Sont presque à point. »
Elle sort alors une raclette minuscule de sa besace, qu'elle désinfecte avec un filet d'alcool.
«
On va devoir bosser d'concert. Je peux pas faire autrement, qu'd'arracher les œufs en faisant attention d'pas les casser. Z'ont grossi, ce s'ra pas TROP difficile. Par contre, ça va l'blesser. Prends les feuilles de Snaria. Quand j'enlève une grappe, t'appliques la feuille pour qu'il saigne pas à mort. Oublie pas, la Snaria, c'le côté rugueux pour arrêter les saign'ments. »
Tremblante, Lachesis s'empare d'un bouquet de feuilles. Veillant à ne pas utiliser la main qui tient l'ustensile propre, Mizubaba rapproche la bougie de sa main gauche. La plaie est immense pour un si petit corps mais la surface de travail reste réduite. Positionnant l'enfant sur le flanc sain pour faciliter leurs démarche, Lachesis se tient prête.
Alors, le manège commence. Maintenant qu'elle les cherche, Lachesis voit les petits œufs écarlates, accrochés à leur hôte par des filaments blancs. Ils seraient difficile à repérer pour des non initiés mais les deux femmes savent relativement ce qu'elles font. Surtout Mizubaba. Dix grappes d'une dizaine d'œufs palpitent. Rapidement, Mizubaba racle, Lachesis applique ses feuilles, qu'elle change lorsqu'elles sont trop imbibées.
En cinq minutes, le tour est joué. D'un ton las, Mizubaba félicite Lachesis pour son bon travail.
«
Bien joué. On dirait que le p'tit héron s'est envolé. J'vais aller prévenir la famille et m'occuper d'cette bassine. Pus et œufs d'Arachnar. J'aurais pu en faire que'quchose si t'avais point vomis dedans, t'sais ? »
Honteuse et fière à la fois, Lachesis enduit des feuilles de Snaria de mélange d'eau et des restes de cheveux de Gaïa puis pince les bords de la plaie de son patient pour y déposer les pansements qui permettront une cicatrisation rapide.
Quelle chance ont-elles d'avoir cette plante ! Non seulement vient-elle d'Imiftil mais encore est-elle très peu connue même des guérisseurs expérimentés ! Très étrange la Snaria. Le côté rugueux active la cicatrisation et stoppe les saignements importants. Le côté lisse par contre, hâte les saignements. Si cette surface peut être pratique pour saigner les personnes au sang corrompu, sur des blessés graves elle peut être fatale.
Lachesis, à qui le soulagement avait redonné quelques couleurs sent son visage blêmir et l'envie de vomir la reprendre. Elle a commis une erreur irréparable. Elle a appliqué sa Snaria dans le mauvais sens, vidant son patient de sa précieuse substance vitale. Le corps est froid et il semble ne plus respirer. Le sol est couvert de son sang chaud, chose que Lachesis, dans l'obscurité et la moiteur ambiantes n'avait pas remarqué jusqu'à présent.
Trébuchant et pleurant, elle se précipite sur la porte, l'ouvrant violemment et criant le nom de Mizubaba dans la nuit. Mais la silhouette courbée de la vieillarde n'est visible nulle part. L'air de la nuit d'été semble glacial en comparaison de cette chambre de malade.
Retournant près du lit, la semi-elfe prend le petit visage blanc comme la mort entre ses mains en sanglotant. Farfouillant dans la besace de la guérisseuse, elle ne trouve rien qui pourrait l'aider. Un bruit sourd envahit son crâne. Sa tête lui donne l'impression d'être enserrée dans un étau d'acier. En hyperventilation, toutes les couleurs lui semblent criarde et en même temps lointaines. Tentant désespérément de réparer son erreur, elle presse le bon côté de la Snaria sur le corps apparemment sans vie de ce garçonnet qu'elle pensait avoir sauvé. Malheureusement, elles sont bien trop imbibée pour pouvoir agir et elle n'en a plus de fraiche.
(
Oh, Gaïa, GAÏA ! Je vous en prie ! Ne le laissez pas mourir par ma faute ! Ne me laissez pas le tuer. Je vous en supplie !)
Des fourmillements parcourent les mains crispées de la semi-elfe. Elle voit avec stupéfaction son propre sang, entremêlé de filaments d'un blanc pur pénétrer le corps de l'enfant qui peu à peu reprend vie. Le flux vital de Lachesis vient remplacer celui manquant du malade tendis que les filaments recousent la plaie qui bientôt disparait, laissant place à une surface rose vif douce.
Soudain vidée de ses dernières forces, Lachesis, après avoir murmuré un «
Merci. » inaudible à la déesse lorsque le malade rouvre des yeux hébétés, perd conscience.
(((
Pour moi, Lachesis vient tout simplement d'utiliser pour la première fois le Souffle de Gaïa. Mais si le fait qu'une transfusion sanguine s'opère en fait un sort différent trop puissant pour mon personnage, je me range volontiers du côté des MJ.)))