^^Pépin ne savait plus à quels dieux se vouer – si tant est qu’il eût enfin compris ce qu’était un dieu… La méfiance. Les pommes. La méfiance. Les pommes… La méfiance ? Les pommes ! Son esprit jouait au ballon dans son petit crâne, et ça, ce n’était pas fabuleux. Il n’avait jamais eu à se défier de quiconque, au cours de ses vingt-huit ans bientôt et demi ! Et si jamais il en avait besoin, c’étaient les autres qui le prévenaient. En général, il s’était retrouvé confronté à des gens vraiment charmants – sa maman, Ephélides, les troupiers, Barbanfeuille et même Pégasiel ! – et à d’autres super-méchants, comme les gobelins de la forêt de Bouhen, les zombies d’Âne-aux-Nîmes ou les brigands d’Oranan ! Mais là, c’était une tout autre paire de manches ! Et pourquoi, hein, cette dame n’avait-elle pas un air parfaitement effrayant ? Pour sûr, c’eût été vachement plus simple.
C’est qu’en plus de tout, elle avait vraiment rapporté à manger, et les yeux de Pépin ne pouvaient s’empêcher de lorgner sur la belle couleur bien rouge des pommes qu’elle leur proposait. Quel ne fut pas l’embarras du lutillon lorsque la jolie dame aux cheveux scintillants, Flore, la maman, lui tendit délicatement de quoi remplir son ventre affamé ! Sans mot dire, il laissa venir le fruit dans ses bras et se contempla rien qu’un instant à la surface brillante de sa peau diaprée : peut-être que oui, qu’il avait un chouillat grandi et que maintenant c’était à lui de discerner les méchants des gentils…
Alors il observa, attentif, les jeux rigolos des deux frères, il écouta les mots tendres que leur maman avait pour eux, il se laissa même bercer par sa voix quand elle fit amende honorable. Il frissonna de plaisir lorsque toute la petite famille bien hétéroclite mit la table l’air de rien et qu’elle lui fit une place dans ses rangs ! Il écoutait son petit cœur battant, bien sûr, qui lui disait que ça sentait bien bon, qu’ils avaient l’air drôlement gentils, et que ça lui faisait comme les veillées au coin du feu dans la prairie avec tous ses amis. Mais s’il se trompait, hein ? Alors là, c’en était fini, et jamais Fibule ne retrouverait son petit lutillon ! Pépin sentit sa lèvre trembler à cette idée mais il empêcha bien vite ses larmes de couler.
Alors il se dandina vers la chaise qui lui était réservée, tendit la pomme à Flore avec un petit sourire contrit pour qu’elle l’aidât à la monter, et grimpa vivement le pied pour poser ses fesses sur le coin de la table. L’odeur du pain tout chaud lui fit un effet bœuf, aussi avant de commencer à répondre à toutes les questions qu’ils lui avaient posées, il en huma un peu le fumet :
- Moi, je m’appelle Pépin, et je suis un lutin, pas un gobelin ! D’ailleurs, il y en a plein qui nous ont attaqués à notre village, dans la forêt de Bouhen !! Comment ça se fait que vous vous soyez gentils, alors que tous les autres ravagent tout dans leur sillage ?
Il se tourna vers Flore, les yeux brillants de larmes :
- J’ai cassé la figurine du Singe-qui-râle que Lunette avait faite ! Je suis vraiment désolé !! Je vais la réparer, ou mieux ! Je peux vous proposer d’aller chercher le vrai ? Vos amis n’ont rien pu me dire, mais j’ai lu un peu dans votre livre…
Il rougit de temps de révélations :
- Maintenant, je suis curieux… J’aimerais bien savoir ce que c’est la Gaine-Mièvre et tout ça ! Racontez-moi !... S’il-vous-plaît ! Madame Flore. Et aussi, pourquoi Frimousse il est devenu méchant, s'il ne l'était pas avant ? Et, rajouta-t-il doucement en se penchant pour que seule Flore entendît, pourquoi est-ce que Lunette est devenue une chouette ? On ne peut rien faire pour l'aider ?
Invisible aux yeux des mortels, une petite faera bien taquine s'émouvait de voir son protégé devenir grand.
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