Chapitre 1 : La réunification des deux pays"Où va-t-on, déjà ?"Elle était si belle cette femme, avec ses cheveux noirs de jais. Cela faisait maintenant plus de trente ans qu'ils étaient ensemble, et elle avait vieilli d'une si belle manière qu'elle semblait avoir gardé toute son innocence. Pourtant, le vieil ynorien allait mal. Ce n'était pas la présence de sa femme qui le peinait, c'était son état. Elle était belle, mais faible. Tellement faible. Elle s'accrocha à son bras par réflexe, alors qu'Hivann lui répondait.
"On va se promener un peu, comme d'habitude. Comme tous les jours, Inoka." dit-il calmement.
Ils étaient dans le magnifique jardin du Pavillon d'Or, là où Goont se sentait certainement le mieux, au sein de cet endroit. Il semblait que le temps s'était arrêté et qu'ils étaient dans un autre monde. Seulement tous les deux, ils étaient seuls.
"On fait ça tous les jours ?"
"Oui, tous les jours, environ à la même heure."
"Et c'est toujours vous qui venez me voir ?"
"Oui."
"Mais vous êtes qui ?"
"Je suis ton époux."La femme resta interdite et se détacha doucement du bras de son mari.
"Ca alors... Je suis mariée ?"
"Oui."
"Avec vous ?"
"S'il te plaît, tutoie-moi, certains jours c'est facile pour toi."
"Oh, désolée..."Alors de nouveau, elle le prit par le bras, encore un peu gênée par ce qu'il venait de se passer.
"Je suis mariée... Et nous sommes amoureux ?"
"Oui, bien sûr que nous sommes amoureux."
"Pour tout dire, moi, je ne sais pas si je le suis. Je viens seulement de vous rencontrer, pour moi."
"Ce n'est pas grave."Hivann lui caressa les cheveux. Un geste qui étonna Inoka, mais elle s'y abandonna très vite, comme se rappelant la douceur de ses mains.
"Et nous avons des enfants ?"
"Oui."
"Combien ?"
"Cinq."
"Oh... J'ai des enfants." Réalisa-t-elle, une étoile dans les yeux.
Mais d'un coup, elle s'éloigna de lui. Elle alla s'assoir sur l'un des bancs de pierre du jardin, plongeant la tête entre ses mains. Ses épaules se relevaient par soubresauts, comme si elle sanglotait. Hivann se jeta immédiatement vers elle.
"Ca ne va pas du tout..."
"Qu'y a-t-il ?"
"Pourquoi ils ne sont pas là mes enfants ?"
"Mais non, Inoka, ils t'aiment énormément, tu n'as pas à te faire de soucis là dessus. Ils sont venus te voir hier et tout à l'heure encore, Thôko est venue te rendre visite."
"C'est vrai...?" demanda-t-elle, rassurée.
"Ils t'aiment beaucoup, rassure-toi."Elle sécha vite ses larmes et, sans attendre, entoura les épaules de son grand mari, de ses bras frêles. Même Hivann ne sembla pas s'attendre à une telle démonstration. Alors il se laissa faire et se permit même de l'embrasser sur la joue, respirant l'odeur de ses cheveux. Après de longues minutes, elle se détacha.
"C'est la première fois que j'embrasse quelqu'un..."Puis, réalisant :
"Mais... Je ne connais même pas votr... Ton nom ?"
"Hivann."
"Hivann ?"
"Quoi ? Tu n'aimes pas ce nom ?"
"Mais ce n'est pas du tout ynorien !"
"Je sais, ma famille est ainsi."
"Hivann comment ?"
"Hivann Goont."
"Je m'appelle Inoka Goont ?"
"Quoi ? Tu n'aimes pas ce nom aujourd'hui ?"
"Si, si..."Elle ne dit rien pendant un moment.
"Et nos enfants ? Ils ont quel âge ? Et leurs noms ?"
"Ethian a trente-trois ans et est engagé dans l'armée ynorienne. Thôko en a vingt-cinq et tient un magasin de tabac et d'alchimie. Taé en a dix-huit et est danseuse. Lùthian en a quatorze et veut faire comme son frère et enfin, Sujima en a onze... Et elle est encore indécise."
"Et toi, tu fais quoi ?"
"Je... J'autorise ou non des sorts."
"C'est un métier ça ?"
"Oui, c'est un métier !"Puis d'un coup, elle s'apprêta à demander quelque chose, mais sa ravisa, gênée. Elle fit une mine encore curieuse et finalement, elle posa la question, avec des pincettes.
"Dis-moi... Maintenant que nous sommes plus proches, j'aimerais savoir... Est-ce qu'on a fait l'amour ?"Hivann releva un sourcil, franchement amusé par la question, et répondit de la manière la plus simple possible.
"Et bien oui, au moins cinq fois."
"Ah ?"
"Mais oui, bien sûr qu'on a fait l'amour ! explosa-t-il. On était marié et on a des enfants, donc oui, on a fait l'amour ! On l'a même fait hier, d'ailleurs."
"Hier ?"
"Oui, des fois tu en as très envie. Je te raccompagne jusqu'à ta chambre, puis tu me demandes si je veux rester un peu, et voilà."Encore une fois, elle se figea. Alors qu'ils s'étaient remis à marcher dans le jardin, tout à l'heure, elle resta debout, droite, encore un peu sonnée.
"Et... Notre mariage, c'était comment ?"
"Normal."
"Comment ça, normal ?"Hivann se montra encore énervé, usé par cette conversation, et continua dans ce ton.
"Comme deux personnes normales qui se marient."Inoka afficha une mine déçue, les yeux mouillés. Mais d'un coup, l'homme qu'elle avait aimé explosa de nouveau, d'une manière si incroyable qu'elle en fut touchée et sembla reconnaître l'amour qu'elle avait oublié.
"Bon sang, mais c'est pas vrai, bien sûr que non ! C'est magnifique ! Magnifique, tu entends ? Quand on s'est rencontré, déjà, c'était parfait, c'était comme si nous étions deux moitiés, perdues pendant des millénaires et qu'on se retrouvait ! C'était merveilleux. C'était comme si Oranan et Omyre avaient cessé de faire la guerre et qu'après tous ses conflits, les frontières n'existaient plus et que leurs peuples se mélangeaient à nouveau. C'était la naissance de quelque chose de formidable et de merveilleux et quand nous nous sommes embrassés la première fois, c'était comme si tout cela remontait à très loin. Il n'y a rien, absolument RIEN à redire sur notre mariage. Nous sommes les plus beaux et les plus heureux mariés de toute l'Ynorie."Inoka resta interdite, sans savoir quoi répondre. Elle se contenta de se laisser prendre les deux mains, jointes, comme une prière à leur amour.
"Alors c'était comme ça..."Elle se laissa mener encore plus loin, à la périphérie du jardin.
"Et il y a encore des choses que nous faisons tous les deux ?"
"En dehors de faire l'amour ?"
"Enfin..."
"Cueillir des fleurs."
"Quoi... C'est tout ?"
"Et des champignons."
"Mais c'est ridicule !"
"Je sais... Mais on a toujours adoré faire ça !"Ses yeux se fermèrent, alors qu'ils continuaient à marcher, lentement.
"Je suis fatiguée, maintenant... J'aimerais qu'on aille dans la chambre, si tu veux bien."
"Bien sûr, je veux bien."Ils marchèrent encore un moment, et très vite, ils se retrouvèrent face à la porte de la chambre en question. Hivann l'ouvrit, laissant sa femme s'y engouffrer tout en lui caressant tendrement le dos, et quand elle fut à l'intérieur, il la suivit.
Tout s'arrêta au moment où il claqua la porte derrière lui.
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Hivann ouvrit les yeux. La réalité le rattrapa immédiatement. A en voir le garde en train de s'écarter et le bruit des clés, il comprit que la grille venait de se fermer derrière lui. A ses pieds, du pain rassis et un pot d'eau y étaient disposés. Depuis combien de temps il était ici ? Il ne saurait pas même le dire. Les minuscules fenêtres barrées ne laissaient pas entrevoir suffisamment le ciel pour qu'il sache à quelle période de la journée il se trouvait. Il savait seulement que deux nuits étaient passées et qu'on ne lui avait encore pas permis de discuter avec un conseiller, ou avec qui que ce soit qui puisse confirmer la promesse d'Ethian.
Fort heureusement, il avait encore une cellule pour lui seul. Peut-être était-ce parce qu'il était aussi un prisonnier politique et de grande importance. Il avait surtout peur à l'idée de partager sa cellule avec l'un des orcs présents autour de lui. Mais étrangement, ils restaient plutôt silencieux, par rapport à leur nature bestiale.
Comme la paille était humide et malodorante, il s'était allongé sur le petit banc de bois retenu par les chaînes. Il était trop grand pour lui, aussi ses pieds dépassaient, mais c'était le mieux qu'il pouvait faire.
Ses poignets étaient joints par les mêmes menottes qui l'avaient arrêté. Ces menottes en acier magique, qui l'empêchaient de faire circuler ses fluides. En somme, par rapport à toutes les prisons où il s'était trouvé jusqu'ici, il n'avait aucun moyen de s'enfuir. Mais ce n'était de toute façon pas l'idée.
Il acceptait son châtiment, du moment que l'on sauvait ses filles. Taé et Thôko étaient désormais les deux seules qu'il lui restait. S'il devait leur arriver quelque chose, il ne pourrait jamais se le pardonner. Désormais, s'il avait une hâte, ce n'était plus celle d'utiliser à nouveau ses pouvoirs. C'était qu'on le condamne une fois pour tous, pour le bien de sa famille. Il espérait seulement que ce séjour dans cette cellule s'écourte un peu plus et qu'on le juge d'ici là.
Dégoûté par le pain qui traînait sur le sol, il n'essaya pas même de manger. A la place, bien qu'endormi, il se redressa et se mit en position du lotus, sur ce même banc. Autant que possible, il se mit à méditer.