La Colonne de GranitLes Cailloux Empilés
Agadesh, le soleil illuminant son visage, se réveilla paisiblement. Il avait déjà certes passé des nuits sur des couchages plus agréables, mais il avait au moins dormi sans se réveiller jusqu'à l'aube, ce qui était déjà bien assez.
Il s'assit sur son couchage et s'étendit dans un craquement d'os conséquent. Le bratien à ses côtés était toujours endormi. C'était toujours ça qui n'avait pas profité de la nuit pour l'égorger ; le lykior était donc digne de confiance.
Cependant, une chose le gênait à ses pieds. Quelque chose de doux et de chaud se faisait sentir par-delà la peau de bête. Il ne l'avait pas vu jusque là car un jeu de pli l'en empêchait. C'était un camïu ! Pas n'importe lequel, c'était celui de la veille, celui-là même qu'il avait tenté de chasser en vain. Cette stupide bestiole ayant un grand besoin de chaleur, comme toute bête du désert et elle avait dû venir se réchauffer cette nuit auprès d'eux et de leur feu !
Agadesh prit la bête brusquement par la peau arrière du cou. Le camïu soudainement réveillé lâche un faible couinement en se débattant farouchement sans succès. Extraordinaire, voilà que le déjeuner se chassait tout seul !
Mais avant toute chose, le lykior s'était montré si curieux par rapport aux animaux du désert qu'Agadesh se décida aussitôt de lui montrer.
Il réveilla le bratien en secouant son bras :
"Enki, réveillez-vous Enki, je viens d'attraper quelque chose qui vous intéressera surement !"Le bratien se bougea mollement, avant de regarder la bête couinante qu'Agadesh lui mit sous les yeux :
"Regardez donc, j'ai entre mes mains un de ces fameux camïus dont je vous ai parlé hier !"Le lykior, à cette nouvelle, se montra directement très excité et oublia aussitôt toutes ses somnolences. Il sortit son carnet de croquis et son crayon avant de se mettre à dessiner fébrilement la bête.
"Formidable ! Mais... Où l'avez-vous trouvé ?""Hé bien, aussi étonnant que cela puisse paraître... A mes pieds ! Il dormait juste là, il devait chercher un peu de chaleur... Mais ce n'est pas la première fois que je le vois, il me suit depuis que j'ai quitté le désert, je ne sais pas pourquoi... Vous avez fini de le dessiner ? Je vais vous montrer, grillé le camïu c'est un met délicieux !""Non attendez, attendez. Non pas que je doute de vos talents culinaires, mais vous voulez vraiment le faire griller, maintenant ?""Oui, pourquoi pas ? Cela nous fera de la viande séchée pour le voyage !""Hé bien premièrement parce que je trouve personnellement que faire un feu dès l'aube n'est pas forcément pertinent ; d'ailleurs je n'ai pas particulièrement faim et puis pour le symbole...""Pour le symbole ? Que voulez-vous dire ?""Et bien, en y réfléchissant un petit peu, cet animal c'est un peu vous. Vous dites qu'il vous suit depuis le début. Je ne sais pas ce qui l'anime à se comporter d'une telle manière, mais c'est certainement qu'il y a une raison puisque vous me dites que ça ne vit que dans le désert, n'est-ce pas ?""Effectivement. Ils dorment sous le sable le jour et chassent les insectes et les petits rongeurs enfouis sous le sable la nuit. Leurs vies entières tournent autour du sable, alors je vois mal comment un camïu pourrait vivre dans vos forêts.""Tout cela ne fait que renforcer le symbole. Comme vous, cette bête est perdue, ici, loin de son foyer et de ses repères. Pourquoi avez-vous quitté le désert, vous qui ne connaissez rien à ce qu'il se passe en dehors ? Je ne sais pas et honnêtement je m'en moque, mais cela m'étonnerait que ce soit de votre plein gré. Quelque chose vous a obligé à quitter le désert je présume. Pourquoi cet animal a-t'il quitté le désert pour vous suivre ? La réponse doit être la même. Tout ce que je vois, là, maintenant, ce sont deux êtres originaires du même endroit, dans la même galère, prêts à s'entretuer. Oubliez un moment que ce n'est qu'une bête. Pensez au fond et non pas à la forme. Vous ne voyez donc pas que cet animal n'est que votre reflet dans le miroir ? Avez-vous vraiment l'envie et le besoin de le tuer ?"Agadesh resta penseur. Ce genre d'idée philosophique ne lui était absolument pas venu à l'esprit. Cette humanisation de l'animal ne lui serait jamais arrivé en tête tout seul. Il n'avait jamais même essayé d'imaginer les pensées et les réflexions que pouvait avoir un animal, tellement il était ancré en lui que les animaux aient un mode de pensée différent et impénétrable à l'homme. Mais Enki était dans le vrai : Tuer cet animal, c'était un peu comme s'il se tuait lui-même. Lorsque cette phrase lui vint en tête, il lâcha faiblement :
"Vous n'avez pas tout à fait tord..."Il baissa aalors son bras au niveau du sol et en relâcha l'emprise de sa main sur le camïu, qui en profita aussitôt pour courir apeuré dans les herbes hautes.
Il resta silencieux quelques secondes avant de reprendre, comme désenvouté :
"Vous savez, relâcher un animal pour un sentiment est considéré comme un signe de faiblesse dans mon peuple. Cela veut dire que je considère mes émotions plus importantes que ma raison et mon instinct de survie. Ce genre de luxe n'est réservé qu'aux femmes et aux jeunes enfants, pas à un homme comme moi.
Ce n'est vraisemblablement pas de cette manière que l'on pense de part chez vous, je ne peux donc m'en prendre qu'à moi-même de vous avoir écouté. Cependant, je sais que je devrais me sentir humilié d'avoir fait une chose pareille mais ce n'est pas le cas... Pourquoi ?""Et bien peut-être est-ce simplement parce que vos sentiments vous ont démontrer que cela n'est pas nécessaire... Vous savez, Agadesh, il faut parfois plus de courage et de fierté pour écouter ce que dicte votre coeur que ce que dicte votre raison. Ce n'est pas un acte imbécile que vous avez fait là, c'est un acte humain.""Soit. Mais je ne peux plus considérer ce camïu comme un simple animal après cela. Comment faire ?""Il suffirait de le baptiser.""C'est une bonne idée. Alors que cela soit dit, cet animal n'est plus un bête camïu. Il est... Enkidu.""Enkidu ? Pourquoi ce nom ?""Du, en dialecte du désert, veut dire protégé. Enkidu, ça se traduit par le protégé d'Enki.""J'en suis honoré, Agadesh et je suis certain que le destin le remettra sur votre route bien assez tôt.""Si cela est la volonté des dieux..."Un silence s'imposa. Agadesh regarda longuement la direction de la fuite du renard du désert.
Le bratien respecta sa réflexion; il se voyait sur Agadesh un sentiment confus propre à toutes les véritables remises en question qu'il ne voulait pas interrompre.
Puis il se leva fièrement, le sourire aux lèvres. Le bratien se leva directement en le voyant faire.
"Enki de Jarvron, j'honore les ancêtres de vous avoir mis sur ma route. Durant le laps de temps que nous avons partagé, vous m'avez beaucoup appris et je tâcherais d'user de ce savoir à bon escient. Votre encyclopédie est un don que je protégerai farouchement, soyez-en certain. Je vous remercie encore de votre confiance et de l'hospitalité dont vous avez fait preuve envers moi, mais il est temps pour moi de quitter votre compagnie et de reprendre mon chemin.""Les remerciements oraux sont inutiles, Agadesh. Le seul fait qui comptera vraiment pour moi, c'est que vous surviviez à ce monde que vous ne connaissez pas et, qui sait, peut-être nous recroiserons-nous un jour.""Vous êtes un homme bon, Enki. Que la paix soit avec vous.""Qu'elle soit avec vous aussi, Agadesh."Agadesh avait déjà ramassé ses affaires et commencé à partir lorsqu'il se retourna brusquement :
"Oh et Enki, si durant votre périple dans le désert vous rencontrez mon peuple, le clan des Kel Attamara... Dites-leur bien qu'Agadesh est en vie et que son retour sera triomphal ou ne sera pas !"Le bratien souria, comprenant que sa quête ne devait pas être commune :
"Je ferais passer le message, Agadesh, je vous le promet."Dans un dernier sourire de reconnaissance, le sabre accroché à sa ceinture, la gourde en bandoulière, sa bourse de yus en poche et l'encyclopédie à la main, le fils du désert se remit en route, le coeur léger, vers Yarthiss.
La route fut aussi longue que la veille, mais il n'en démordait plus. Le problème de la nourriture et de trouver où dormir avant la nuit ne se posaient plus car Enki lui avait assuré qu'il serait arriver à Yarthiss avant celle-ci. Celui-ci avait su se révéler digne de confiance et lui avait même précisé le nom du lieu qui l'accueillerait contre quelques yus : L'auberge de l'au-delà.
Il se disait d'ailleurs, sans une certaine dose d'ironie :
*Du désert, je suis passé par << L'entre deux monde >> et me voilà en train de marcher vers << L'au-delà >>... Le destin est bien curieux de me mener vers des lieux aux noms si parlant...*Il pensait aussi à devoir se prendre un sac où ranger ses affaires, car devoir tout porter éparpillé sur soi et à la main était assez inconfortable et assez gênant s'il avait à devoir se battre sans avoir le temps de s'en défaire et puis pour le chemin qu'il aurait ensuite à faire jusqu'à Tulorim il aurait besoin de trouver un bon couchage et de la nourriture. Il songeait aussi à ses habits varrockiens qui décidément ne lui convenait toujours pas et qu'il troquerait bien contre quelque chose de plus chaud. Il ne faisait pas particulièrement froid dans ces légères montagnes au climat méditerranéen, mais le fond de l'air, humide et frais n'était pas vraiment dans ses habitudes d'indigène du désert.
Outre ses pensées pour le futur proche, de plus en plus de signes de vie se multipliaient sur la route. Des clôtures en bois protégeaient à droit et à gauche des arbres fruitiers bien en rang qui devait appartenir à quelqu'un, chose qui lui fut certaine lorsqu'il vit un groupe d'une dizaine d'homme remuer la terre.
Le concept de champs n'était pas étranger à Agadesh. Sur les terres fertiles des oasis et aux abords du désert se faisait des cultures principalement de blé, de figuiers et de dattiers. La travailler ici semblait ne pas être très différent de là-bas, à la différence près que l'utilisation de bêtes de sommes semblaient bien plus utilisé ici.
De plus en plus d'habitations et de gens étaient présents. Il préférait pour l'instant faire profil bas. Les gens d'ici ne vivaient vraiment pas comme dans le désert. En même temps, la vie dans le désert se résumait à une perpétuelle quête de survie globale, à devoir lutter contre les éléments et les rebelles. En cette endroit, il ne manquait ni eau, ni nourriture et n'avait pas à beaucoup craindre des caprices de l'environnement. La majorité des hommes ne possédaient pas directement d'arme sur eux, ce qui laissait à deviner qu'ils n'étaient pas souvent la proie d'attaques.
Hors, la question qu'Agadesh se posait maintenant était :
*La plupart de ses hommes ne sont pas des guerriers, c'est évident... Mais je me demande, si la question de survie n'est pas leur principale préoccupation ici, qu'est-ce qui rythme leur vie ?* La route se faisait plus respectable lorsqu'il arriva enfin en vue des murailles de Yarthiss. Ces murailles, bien plus grandes que celles qui protégeaient les quartiers royaux des Kel Attamara, le laissa pantois. La fin de la journée arrivait avec autour de lui un nombre conséquent de gens de tout âge, tout sexe et toute couche de la société qui allaient ou venaient de la ville. Des hommes en armures légères sur des chevaux faisaient leur ronde, des mulets conduits par la main de solides fermiers rentraient dans leurs enclos, de jeunes gens riaient aux éclats, une femme hurlait de colère sur son mari alcoolisé, deux compères de soixante ans étaient assis sur des chaises branlantes aux abord de la route en se faisant des messes basses, un malheureux adolescent toussait à n'en plus pouvoir, des paysans couverts de terre se dispersaient en se disant à demain et surtout, des gens qui marchaient seul ou en groupe, en tout sens. Cette ville avait l'air très peuplé, en tout cas bien plus que tout le clan Kel Attamara réuni.
Il continua le chemin en terre et finit par rejoindre les portes de la ville lorsqu'il entendit un couinement familier dans une ruelle latérale. C'était Enkidu. Le protégé d'Enki ne l'était plus à cette heure et était aux mains de deux gamins, certainement deux frères, qui ne devaient pas avoir douze ans. L'un d'eux, le plus jeune, était debout et coupait la retraite du petit animal qui tentait de se défaire sans succès de la traction de la queue effectué par l'autre. Un ciseau dans l'autre main, le sort qu'ils réservaient à l'animal était clair. La réaction d'Agadesh fut nette. Il posa son livre sur le devant d'une fenêtre, avança vers le garçon aux ciseaux, lui frappa dans la main pour qu'il se défasse de l'outil, le prit par le col et lui administra quelques claques assez violentes sans lui donner une once d'explication. L'autre s'enfuit sans demander son reste en criant à l'aide maternelle. Le bédouin ne se posa pas d'avantage de question ; il aurait fait de même pour n'importe quel fils des dunes en train de montrer un tel comportement. Et il est acquis pour tout le peuple des dunes que c'est ainsi qu'il convient de réprimander les enfants récalcitrants.
Il se baissa vers la bête qui était resté immobile durant ce sauvetage inattendue. Il l'assena d'une petite caresse se voulant rassurant et il n'en fallut pas plus pour qu'Enkidu saute volontiers dans les bras ouverts d'un Agadesh sûr du bienfondé de son sens de la justice et qui était soudainement devenu sa plus grande chance de survie dans cet univers hostile et inconnu.
La mère, alertée par les cris du benjamin, arriva aussitôt en courant. L'aîné maintenant en pleur se réfugia aussitôt dans la jupe de sa génitrice, qui regarda l'auteur de cet affront avec un air colérique :
"Vous ! Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? De quel droit frappez-vous mon gosse ? Je vais appeler les gardes vous savez !"Agadesh prit son air le plus furieux et lui cria :
"Silence, femme ! Votre enfant montrait une cruauté inutile et abrutie envers cet animal. Soyez reconnaissante de mon action, car c'est de cette manière que l'on empêche les enfants de devenir débiles et meurtriers, pas en les laissant faire ! Maintenant, à moins que votre chef de famille n'ai à me parler directement, je n'ai plus rien à vous dire. Vous avez déjà bien de la chance que l'on m'est expliqué vos coutumes car sachez madame qu'en d'autres lieux, je vous aurai sans nul doute déjà traité comme votre fils !"La femme resta muette, abasourdi, ne semblant pas véritablement comprendre ce qu'Agadesh lui disait. Elle le prit pour un fou. Quelques quidams interpellés par la dispute dans la grand-rue regardaient la scène sans intervenir. Nul doute que le sabre à sa ceinture y était pour beaucoup.
Agadesh, sans perdre plus de temps, récupéra son livre et quitta les lieux sans attendre la moindre réaction de la femme à son discours.
*C'est tout de même incroyable que les occidentaux ne sachent pas tenir leurs femmes et leurs enfants !*Heureusement pour Agadesh, les menaces de la femme était superflues. Elle n'appela pas les gardes et se contenta de rentrer avec ses fils dans la cabane qui lui servait de maison en les réconfortant comme seule une mère sait le faire.
Agadesh pût ainsi rentrer dans la ville sans encombre. Les gardes aux portes de la ville le regardèrent longuement passer mais ne lui firent au final aucune histoire.
Ça y était, il était dans Yarthiss.
Les Pierres de Taille