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Âmes sensibles, vous n'avez pas envie de lire ce texte : Violence borderline.
L'aube.
Le soleil éparpillait ses rayons sur la terre boueuse où s'activaient déjà de nombreux gaillards venus plus tôt. On dressa des tentes de fortune, une grande table fut installée en collant des tables en bois fichus dehors, à même la terre, chacun apportait sa contribution, qu'il s'agisse de bardes ou bien de victuailles.
Silmeria était dans une petite pièce de la maisonnée. La seule et unique fenêtre donnait sur les allées et venues des invités sur la route. Tous étaient très occupés et la tueuse avait elle aussi, du pain sur la planche. La cuisine n'était pas son cheval de bataille, mais dans la liesse générale et comme il s'agissait aussi selon elle de " péquenauds " elle pensait être en mesure de s'en sortir sans se faire jeter à coup de bottes.
Les poissons arrivaient en panier d'on ne savait où et les mélanges odorant de légumes terreurs, viande macérées dans le sang et les épices, de poissons frais et de poissons moins frais, tout ça dans une pièce assez petite avec une seule fenêtre, Silmeria avait à peine commençait qu'elle en avait déjà plus qu'assez. Derrière la porte de la cuisine, se trouvait un petit escalier qui menait à une cave où elle entreposerait les carcasses et les déchets. Un long travail salissant commençait pour elle. Pathée avait eu la courtoisie de lui offrir une tenue plus appropriée à un travail de la sorte.
(« Bon.. Les poissons ça se vide, les légumes ça s'épluche et ça se coupe. Jusque là tout va bien...»)Armée d'un petit couteau, elle commença à découper les têtes des poissons, ouvrir le ventre, habituée à se salir les mains, elle n'hésitait plus à chercher les entrailles directement dans le corps des poissons à l'aide de ses doigts avant de jeter ça directement dans une coupelle qui, au fil des poissons, débordait d'entrailles. Les mouches tournaient au dessus de ça tête, participant grandement à son agacement.
Elle recouvrit les filets de sel avant que les mouches ne pondent dessus. Passe le tour des légumes, toutes formes, toutes sortes, toutes odeurs et cette terre qu'elle lavait à grande eau et qui se mêlait au sang des poissons.
Elle s'essuyait le front juste derrière elle, un bruit se fit entendre. Pas un bruit éclatant, pas un meuble déplacé, quelque chose de feutré, un glissement. Un voyeur. Kay.
Silmeria n'eut aucun mal à reconnaître, au travers des espaces entre les planches qui formaient le mur qui séparait la cuisine et la grande salle. Le foyer crépitait, Kay observait Silmeria entre deux planches. La femme préféra l'ignorer, elle n'était pas habituée à fréquenter des êtres déformés et ne voulait pas que son jugement induise une relation tendue avec ceux qui lui offraient un toit. Cela dit, sa curiosité maladie risquait de ne pas tenir longtemps.
Kay s'en alla, remplacé quelques secondes plus tard par Jorn, son père qui s'assurait que tout se passait bien. Il croisait les bras et fit un petit signe de tête, satisfait, de voir qu'elle travaillait mieux que ce qu'elle pensait.
« On va vous donner un coup de main, la mariée arrive plus tôt que prévu et tout le monde semble d'accord pour fêter ça sur deux jours. » « Deux jours ? »« Il faudra plus de nourriture, mais on a bien deux trois personnes qui peuvent venir vous aider. »Silmeria ne dit rien de plus, elle n'était pas enchantée à l'idée de travailler à plusieurs dans un local aussi réduit mais les festivités vont souvent de paire avec un bon repas et une soirée entrainante.
Deux vieilles femmes virent lui donner de l'aide, elles travaillaient visiblement mieux qu'elle, plus habituées à ces tâches que la tueuse qu'elle était. Les grosses pièces de viandes furent passée au dessus du foyer en milieu d'après-midi. Silmeria commençait à en avoir assez de la cuisine, elle proposa d'aller chercher de l'eau plus loin au ruisseau, chose que les petites vieilles appréciaient.
L'air frais. Silmeria poussa un petit soupire de soulagement. Le tablier ensanglanté et les cheveux devenus un peu collants par les éclaboussures de sang et autre, elle profitait du calme olfactif et de l'air de la campagne. Non loin d'elle. Une jeune fille blonde était assise sur un muret, non loin de l'eau. Toute parée de blanc, une tenue plus riche que celle des autres péquenauds des villages voisins. Silmeria n'était pas experte en matière de mariage et des coutumes, mais il semblait bien que ça soit la mariée.
Sans plus y accorder d'attention, elle s'approcha d'elle, non pas pour lui parler ou la féliciter, plus pour accéder au cours d'eau, devant lequel elle était installée. Silmeria puisa l'eau dans un seau.
« Il y a quelqu'un ? »La voix lui caressa les oreilles. Mais c'est la surprise qui frappa davantage. Silmeria se trouvait juste devant la jeune fille, mais n'avait pas vu son visage. La gamine avait de jolis traits, mais ces yeux ne reflétaient rien qu'un bleu opaque et usé. Une aveugle. Malgré sa beauté et sa fraîcheur, Silmeria estimait que ce fardeau était en réalité une bénédiction pour la fille de ne pas voir à quoi ressemblerait Kay. Elle en eut presque de la pitié.
«.. Oui. Quelqu'un. Je n'avais pas vu que... Excusez-moi. J'aurais dû m'annoncer. » Mal à l'aise alors qu'elle s'excusait de ne pas avoir remarqué son handicap, Silmeria se sentait presque déstabilisée, mais la jeune fille ne pouvait pas le déceler sur son visage.
Elle lui fit un sourire que Silmeria ne pouvait rendre. Agitant ses jambes qui pendaient du muret, elle reprit d'une voix d'enfant
« Aujourd'hui, je vais me marier. J'ai toujours rêvé de ce jour. Pas vous ? »Silmeria soupira. Son seau était troué et elle ne risquait rien à converser un peu avec la future mariée. Elle alla s'assoir avec elle. Une brune et une blonde sur un muret.
« Je n'ai jamais envisagé ce jour.»« Vraiment ? Je me suis installée là car j'aime beaucoup le bruit de l'eau. Ca ne vous gêne pas ? »« Non. Je ne faisais que passer prendre un peau d'eau. Mais je suis d'accord. Cet endroit est très jol.. Agréable. Et reposant. » Elle se mordit la lèvre. Une aveugle ne risquait pas de voir. Parler de la beauté de l'endroit pouvait être insultant. La jeune fille souriait, sans même savoir ce qui l'attendait. Silmeria non plus.
Enchantée par cette rencontre, Silmeria sans le savoir fut frappée d'affection pour cette jeune personne avec tant d'innocence. Malgré ça, elle se posait des questions sur les raisons de ce mariage qui étaient de toutes évidences pas un mariage d'amour.
« Vous avez rencontré mon époux ? Mère dit que notre mariage sera sacré et qu'il éloignera le mal. »« Je suis arrivée ici hier, je suis une voyageuse qui cherchait un abri. J'assisterais ce soir à la fête donnée en votre honneur. Disons que cette nuit là sera à vous. Permettez, je dois retourner cuisiner..»La jeune fille posa doucement sa main sur celle que Silmeria avait laissé sur le muret. Elle lui fit un sourire de plus et hocha la tête pour la remercier. La tueuse eut un haut-le-coeur en repensant au mari de la jeune femme. Elle manqua de vomir dans le ruisseau. Elle s'éclipsa rapidement avec l'eau et rejoint les deux petites vieilles qui suaient comme des boeufs dans la pièce exiguë. Les odeurs délicates de viandes aux épices et au miel qu'on versait dessus rendaient l'air plus respirable. De solides gaillards virent récupérer les mets qui furent embarqués dehors.
Le soleil tombait, le ciel s'assombrit.
Kay avait été paré de vêtements qui lui donnaient un aspect ridicule. Il traînait sa carcasse entre les tables, se faisant saluer des invités qui lui firent tous bonne figure. Son épouse ne bougeait pas, elle levait les yeux absent vers le ciel et tenait un petit bouquet ficelé avec de la paille. Silmeria s'était changée et rincé. Elle s'était parée du mieux possible pour une femme qui n'avait rien à se mettre, ne lui restait qu'un effet noir trouvé à Omyre. Un rien austère mais c'était propre.
Elle fit offrande d'une rose rouge à la jeune mariée. Celle-ci reconnut Silmeria sans même la voir. La tueuse vit la scène à sa place. Kay qui buvait de la bière qui lui coulait le long des frusques et qui mangeait à pleines mains ce qui lui passait sous le nez. Certains rustres l'accompagnaient et Silmeria se souvint de pourquoi elle n'aimait pas les fêtes populaires.
Ce fut sa mère qui lui prit le bras et le conduit de force jusqu'à la jeune fille blonde, toujours accompagnée de Silmeria. La tueuse eut un sourire en le voyant se faire houspiller par sa génitrice devant toute l'assemblée pour avoir quitté sa promise. Ce sourire ne fut que de courte du durée. Silmeria n'avait pas prévu ce qui allait se dérouler.
La mariée non plus.
Les Dieux exigeaient des sacrifices parfois innommables.
La cérémonie de fortune eut lieux sous un bel arbre. Silmeria observait en serrant les mains la scène. Cette si jolie jeune femme empourprée de naïveté qui sans le savoir était victime d'un tour de passe-passe, un cirque. Elle aurait préféré être comme la mariée, aveugle. Ne pas voir. Rien voir était mieux.
Quelques heures plus tard. Alors que la fête battait son plein et que les esprits étaient déjà plus effrités par l'alcool et la liesse générale. Quelques hommes frappaient sur des instruments improvisés comme le cul d'une casserole ou des bouts de bois. On offrit aux deux mariés des cadeaux car c'était l'usage. Silmeria observait avec grande attention Kay. Juste en face d'elle à table, il s'était emparé d'une pièce d'oie poivrée. Le visage semblait écrasé, il avait de petits yeux ridicules et ses dents jaunes mastiquaient la chair grasse qui faisait luire son visage à la lueur des torches et du foyer central.
Silmeria le trouvait détestable. Il se comportant comme un ogre. Entraîné dans une osmose étrange, habitué à être repoussé, il profitait comme un carnassier, un prédateur de cette soirée ou personne ne pourrait rien lui refuser.
Son père prit la parole. Devant toute l'assemblée qui se tut. On fit amener la jeune fille à côté de son époux.
« Mes amis ! Mes frères. Vous qui venez de si loin pour assister à ce mariage ! Vous qui vous êtes séparés de vos biens pour faire une offrande à nos deux amis. Les Dieux seront satisfaits ! Fécondons cette terre et les Dieux la protégerons du mal qui ronge ce monde comme la gangrène.»La foule approuva. On claqua des mains et on frappait des poings à même la table. Le public prit une allure différente. Les femmes ivres gueulaient, perdant tout charme possible, les hommes qui ne tenaient pas debout étaient soutenus par ceux qui étaient moins ivres. Silmeria ne comprit toujours pas ce qui se déroulait sous ses yeux.
« Regardez ces deux êtres, rejetés pour leurs différences. Unis par cet amour pour plaire aux Dieu. Ils ne seront pleinement satisfaits que quand le ventre de la femme sera fécond. Cette terre sera le nid de la fertilité et de l'amour. Un rempart contre le mal venu de l'Est ! »La foule gronda sous les applaudissements. Silmeria ouvrit grand les yeux et n'en revint pas. La tunique de la mariée fut déchirée. Kay sautillait comme un enfant en tapant des mains tandis que son père ainsi que deux hommes maintenaient fermement la jeune femme. Ses traits avaient changés. Son visage jeune et rayonnant avait laissé place à des rictus apeurés et des grimaces qui annonçaient des larmes. Elle tenta de s'opposer sans succès, Silmeria se dressa sur elle même. Elle n'était pas armée, mis à part l'aiguille qui lui tenait les cheveux. C'était peine perdue.
(« Non.. »)La blonde fut mise à terre. Kay tenta de se déshabiller mais n'y parvint pas assez vite. On ficela la jeune fille et ce fut la mère du garçon qui termina de le déshabiller. La troupe s'approcha du spectacle. Un mur d'hommes et de femmes se mit entre la jeune mariée et Silmeria qui restait figée sur place. On entendit les derniers vêtements se déchirer. Elle ne voyait plus rien. Elle avait raison, mieux valait ne pas voir.
La tueuse recula alors que tout le monde avançait, espérant ne rien rater de ce qui se déroulait. On entendit les encouragements de quelques hommes, la plupart de l'assemblée retenait son souffle.
La mariée cria soudainement. La foule hurla plus fort, de joie, cette fois. Le cri de la jeune fille venait de perforer le coeur de la tueuse. Elle n'en revenait tout simplement pas d'assister à pareille chose.
Elle s'en alla, fulminante, prête à vomir de rage et de colère.
Seule dans la grange, elle fichait des coups de couteau dans les charpentes.
« Des dizaines de personnes tuées ! Des situations compliquées, dangereuses. Des morts par dizaines. La guerre ! La famine ! La torture ! La maladie ! Et maintenant ça ! Qu'est ce que j'ai pu faire pour mériter d'assister à ça !... Et cette enfant. Qu'est ce qu'elle avait pu faire. Je ne comprends pas... Pourquoi. »La cruauté chez elle était une affaire de perspective. Torturer un homme des jours durant ne lui faisait rien. Tuer un animal, un adversaire en combat non plus. Mais ce hurlement. Cette détresse. Cette innocence. Cette pudeur souillée. Pourquoi, ou plutôt pour qui.
La foule s'apaisait. La nuit noire et mouvementée laissait maintenant place aux premiers rayons de soleil. Silmeria n'était pas fatiguée, elle n'avait pas fermé l'oeil tant elle était rongée par la colère et son isolement temporaire n'avait en rien éteint ce brasier qui la dévorait de l'intérieur. Elle quitta la grange et s'en alla vers le ruisseau.