La langue acerbe du sous-fifre ne perdait rien pour attendre. La belle Amarante ne s'indigna pas des critiques du valet alcoolique de bas étage dont elle se ferait un plaisir de s'occuper lorsqu'il ne serait pas dans les jupes de son maître. Oui, la vengeance était un plat qui se mangeait froid, Amarante le savait pertinemment après tout ce temps passé dans des cachots humides à chercher un moyen de s'échapper. Cet imbécile mourrait avant d'être sorti de cette bâtisse, la Délicieuse en était sûre, rien ne pourrait la faire changer d'avis, elle mettrait ses forces à son service, leur imposant toute sa terrible volonté pour en finir avec ce rat d'égout. Au fond d'elle, Amarante sentait sa magie faire surface, prête à jaillir dans une tornade violente qui ne laisserait que des lambeaux de chair sur le sol de cette étrange maison. Son regard vint tout de même se poser sur cette créature pathétique avant qu'elle ne lui assène un coup verbal. «Il est évident que je suis inutile lorsqu'un buveur sans soif se met à parler. Vous devriez mieux tenir votre langue, votre maître ne sera pas toujours là pour vous protéger de ma personne.» sa voix était sibylline, retentissant comme une prophétie.
Quant à la jeune fille au loup, elle osa tutoyer ouvertement la Sulfureuse comme si elles étaient intimes, comme si elle la connaissait ! Mais pour qui se prenait cette absurdité de la nature aux yeux cramoisis. Savait-elle à qui elle avait à faire ? Apparemment non. Ainsi, Amarante remit les pendules à l'heure, fixant la demoiselle, la perçant à jour d'un feu maléfique qui dansait dans ses pupilles. «Je ne pense pas que nous ayons élevé les cochons ensemble. Sur ce je ne répondrai pas à votre question.»
Enfin, le groupe composé de l'elfe, de l'humain à la coiffure aussi ridicule que sa personnalité, de la gamine qui avait cru qu'Amarante deviendrait une de ses alliés, du prénommé Gaubert et de l'effroyable jeune fille passèrent la porte. Ils arrivèrent alors dans une salle dans laquelle étaient accrochés cinq tableaux dont deux vides. La Plantureuse se demanda quel stupide artiste pouvait bien avoir créé ces œuvres, cela n'avait aucun sens pour Amarante qui semblait avoir été téléportée dans un monde où la réalité n'avait rien de trivial. Rapidement, les peintures se mirent à se mouvoir, bougeant comme des personnes vivantes alors qu'aux yeux de la Beauté, cette situation relevait du surnaturel et même de la magie sans aucun doute. C'étaient donc ces personnes qui les avaient insultés précédemment ? De vulgaires tableaux aussi stupides que le garçon aux cheveux ébouriffés... Vraiment, Amarante ne comprenait pas pour quelle raison, elle était venue dans cette salle, il n'y avait vraiment rien d'intéressant !
Le premier cadre, une femme s'adressa au groupe. Son teint était pâle, un peu comme la Sulfureuse qui prenait soin de ne pas s'exposer trop longtemps au soleil pour conserver sa couleur de porcelaine. Ses lèvres étaient d'un rouge qui réussissait à rendre jalouse Amarante qui aurait adoré posséder les mêmes. En revanche, sa coiffure n'avait rien de rechercher et était même d'une laideur assez insurmontable. Ses cheveux bouclés encadraient son visage et quelques mèches retombèrent dans son dos. La Sulfureuse l'observait avec intérêt cherchant à savoir si elle ne tentait pas de leur cacher des choses. Tout ceci n'avait rien de net et cela commençait à rendre Amarante assez nerveuse. Elle qui aimait tout contrôler, sentait que quelque chose allait se produire, un événement qu'elle n'était pas certaine d'apprécier ce qui l'énerva davantage.
Cette femme leur souhaita la bienvenue et se présenta. Elle se dénommait Michaela et son mari qui se trouvait à sa droite Aram. Ce n'était qu'un vieux crouton sans intérêt aux yeux d'Amarante qui le regardait de haut, tentant d'instaurer sa supériorité. De longues moustaches grisonnantes s'élevaient au dessus de sa bouche qui ne cessait de grommeler. Mais, un événement encore plus étrange se produisit, il sortit du tableau et apparut en chair et en os devant le groupe. Amarante recula d'un pas devant se phénomène mystérieux qui ne présageait rien de bon. Ainsi, ces cadres étaient faits de magie, cela était évident mais Amarante ne comprenait pas encore tous les mécanismes qui pouvaient être dus aux forces élémentaires. Néanmoins, ce Aram n'avait pas l'air d'apprécier la présence du loup, tout comme la Plantureuse qui n'avait qu'une envie le tuer. «Oui, je suis d'accord avec vous, je pense que cet animal n'a pas sa place dans une si jolie demeure.» se mit à charmer Amarante.
La Plantureuse savait pertinemment que si elle voulait expulser de cette maison ces imbéciles de tableaux, il faudrait qu'elle joue de ses charmes sur les créatures imaginaires qui se trouvaient en face d'elle. Pour l'instant, Amarante savait que ce n'étaient pas de simples coups de pinceau, mais jusqu'où pouvait aller leur puissance, jusqu'à quel point étaient-ils réels ? Cela était difficile à dire, sans doute était-ce de puissants mages pouvant passer à travers les cadres, instillant un enchantement extrêmement puissant de leur propre cru.
Mais bien entendu, son équipe de larves commençait déjà à s'interroger sur les deux cadres vides, supposant qu'ils étaient destinés à certaines personnes de notre groupe. La Belle leur répondit alors d'un ton chargé d'ironie lorsqu'ils s'insurgèrent sur le fait qu'ils ne désiraient pas se retrouver collés sur le mur. «Pourtant... Moi je trouve que vous feriez de très jolis tableaux...» leur lança-t-elle amusée.
Après tout, à part décorer la salle, ils ne servaient pas à grand chose et Amarante comptait bien leur rappeler à chaque fois qu'elle en aurait l'occasion.
Cependant, Michaela sortit de son cadre pour rejoindre son mari, nous expliquant aimablement que nous étions autorisés à visiter sa bâtisse. Quelle garce ! Tout dans sa voix sonnait faux, comme si elle avait déjà préparé des réjouissances perfides auxquelles la terrible Amarante allait devoir se confronter. Mais, cela ne l'effrayait pas, la Beauté connaissait l'étendue de ses pouvoirs et ce n'étaient pas de vulgaires toiles qui lui feraient peur. Enfin, le dernier tableau ouvrit sa bouche, se présentant sous le nom de Brak. C'était un guerrier vêtu d'une armure dont certains morceaux gisaient encore sur le sol. D'ailleurs, Gaubert donna un coup de pied sur une botte qui roula sur le sol. Ce dernier avertit le groupe, sentant sans doute que le bel étalon de métal était en train de se moquer des deux jeunes filles qu'il ne cessait d'observer. Mais, pour Amarante jouer de ses charmes était bien trop tentant !
La jeune fille aux yeux rouges avait ramassé le casque du jeune homme qui se trouvait encore sur le sol et lui montra en lui demandant s'il lui appartenait. La manière dont elle l'aguichait n'avait pas vraiment d'importance, mais c'était un très bon début et Amarante s'approcha de cette fille, lui passant rapidement un bras autour de la taille et la rapprocha de son corps, tout en lui murmurant dans le creux de l'oreille quelques phrases plutôt intéressantes. «Rions bêtement, les hommes adorent ça. Avec un peu de chance il nous aura à la bonne.»
Puis, Amarante gonfla sa poitrine et se mit à pouffer comme une véritable mijaurée ayant le QI d'une huître. C'était si facile de tendre des pièges aux hommes, mais celui-ci était en train de se moquer des deux demoiselles et ça Amarante le refusait ! C'était elle qui tenait les rennes avec les hommes non l'inverse et elle comptait bien lui montrait de quoi elle était capable si son homologue aux yeux rouges acceptait de jouer le jeu, un jeu amusant qui n'avait rien de dangereux. La Belle était quelque peu révoltée à l'idée de devoir toucher la jeune fille, mais, qui ne tentait rien n'avait rien, alors elle osa user de ses charmes contre... un tableau.
La Sulfureuse passa délicatement sa main sur le casque, le caressant sensuellement, s'imaginant les pires perversions dans son esprit torturé par une soif de luxure inétanchable. Sa bouche formait un «o», s'ouvrant face à ce chapeau métallique qui surmontait en général la tête de ce guerrier emprisonné dans un tableau. Amarante ne cessait de sourire, poussant quelques rires aigus lorsqu'elle touchait une imperfection un peu moins lisse, un peu trop proéminente. Ce petit jeu l'amusait et elle espérait que cela fasse son effet, si bien entendu sa compère y mettait un peu du sien. La Sulfureuse appuyait les dires de la demoiselle d'une voix de fille sage, d'une de ces voix mielleuses qu'elle adorait utiliser lorsqu'elle était en face d'un mâle, de ce sexe aussi faible que leur intellect. «Il doit vous aller si bien. Et oui elle a raison, cette porte là, que cache-t-elle ? Peut-être est-ce votre couche messire Brak ? Dans tous les cas, il serait amusant d'aller visiter cette pièce en votre compagnie, non ?» Et puis Amarante ajouta : «Pour quelles raisons autorisez-vous des inconnus à entrer dans votre demeure ? Ce n'est pas très commun.»
Amarante prononçait ces mots sans y croire une seule seconde, ce n'était que pure fiction, que pure comédie. Mais s'il fallait qu'elle aille jusqu'au bout de ses paroles, elle n'hésiterait pas une seule seconde tant que cela lui donnait quelques avantages. En revanche, la Rousse se demandait vraiment si la dresseuse de louveteau oserait faire ce genre de choses...
Et puis bien entendu, l'autre soulard posa une question déplacée à Michaela ! Amarante espérait de tout son cœur que son petit jeu ne serait pas mis à mal par les paroles fuyantes de ce gamin un peu trop curieux !
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