"Ouah..."

C'est le seul son qui quitte ma bouche en traversant le portail, la beauté époustouflante qui se dresse face à moi me rend muet le temps d'en profiter pleinement. Une cité, perchée sur deux pics rocheux qui surplombent la plaine où nous nous trouvons.

Je rejoins Arthès pendant que les autres discutent.

"Je n'avais jamais vu un truc comme ça. J'espère qu'ils nous laisseront entrer."

Je ne m'imaginais pas perdre du jour au lendemain la cité où j'avais grandi, A la seule idée que Kendra Kâr soit détruite, je ressens un énorme noeud à l'estomac qui me cloue le bec.

Je me contente de lui donner une tape amicale sur l'épaule et me tourne vers les autres, vérifiant que personne n'a besoin d'aide.

Je reprends ma respiration, sereine que tout se soit bien passé durant la traversée du portail.
Par réflexe, je m'époussète les bras, bien que la traversée ne soit pas salissante. C'est sans doute une manière instinctive pour moi de m'assurer que tout est en ordre.
Lorsque je lève les yeux vers la cité qui se dresse face à nous, je ne sais que dire. Aucun son ne parvient à franchir le seuil de mes lèvres sèches.
Moi qui, il y a quelques jours à peine, n'avais jamais rien vu d'autre que de la verdure et une cabane, je ne sais comment décrire ce paysage majestueux.

- "Eh ben... ça en impose!"

Contrairement aux râleurs, je suis heureuse que nous ayons atterri à distance raisonnable de la ville. Nous n'aurions jamais pu estimer sa grandeur si nous y étions directement entré. Car la vue est imprenable...

De plus, nous rencontrerons peut-être des autochtones sur le chemin qui nous mènera à la ville. Ca nous permettra de prendre la température des gens face aux étrangers...

Curieuse d'en découvrir davantage, je suis pressée d'allonger la jambe.

- "On y va?"

Le chemin s'étend devant nous, laissant supposer une marche relativement longue. Le soleil pointe à peine le bout de son nez, et, si la journée promet d'être belle, la chaleur ne se fait nullement ressentir.
La fraicheur encore planante de la nuit qui vient de s'écouler laisse derrière elle des bestioles volantes en tous genre. Moi qui aspirait au calme après les journées atroces qui viennent de s'écouler, un bourdonnement incessant m'agace les oreilles. D'un geste énervé, je tente de l'envoyer valser.

- "Rha tu me bassines! Rentre chez ta mère hein!"

je secoue ma crinière brune pour élargir mon mouvement, espérant que l'intrus s'en prenne à d'autres que moi. Mes plumes s'ébranlent, j'ai un sensation de frais qui me fait le plus grand bien.

Mais la bestiole persiste, et mes oreilles vibrent à nouveau.

- "Saleté de moustique!"

Et comme pour le semer, j'accélère le pas et prends la tête de la voie. Je ne suis pas d'humeur très causante, ce matin. Je profite du calme, de l'air frais, de la beauté des lieux.

Lorsque nous parvenons au pied des roches, il faut à nouveau procéder à un choix.

- "Je serais d'avis de ne pas séparer le groupe, puisque c'est déjà une décision prise précédemment. Et je contournerait les roches, vers les habitations, pour trouver un chemin. Nous aurons plus de chance d'y faire des rencontres et de ne pas sembler trop intrusifs et gênants."

Alors que je désespère de trouver âme qui vive avant le sommet de la montagne ou un au moins, un chemin y menant, un être étrange nous barre la route.
Je ne peux décrocher mon regard de sa silhouette longue et svelte, et de tout l'apparat qu'il possède.

(Si tous les habitants sont comme lui, ça nous promet de sacrées richesses là-haut!)

D'un ton neutre et monocorde, il s'adresse à nous, nous demandant plus nos intentions que nos identités. Je suis incapable de déterminer son genre, ce qui rend les choses d'autant plus troublantes. A tel point que je lui répond sans me ménager et sans chercher à savoir s'il aurait été préférable qu'Arthès, par exemple, prenne la parole à ma place, de façon certainement plus diplomate. Les mots qu'il emploie me frustrent. Ils me donnent l'impression de déjà nous juger négativement alors qu'il ne sait rien de nous, de l'horreur que nous venons de vivre et dont nous venons les prévenir.

- "Des chasseurs? Des pillards? Des rejetés? Mais pour qui vous prenez-vous à nous parler comme ça?"

Et sans que je ne maitrise mon flux de parole, je déverse tout. Toute l'atrocité vécue ces dernières heures, comme si le fait de tout évacuer alors mieux me faire accepter la chose. Comme si, à tout raconter, ça amoindrirait ma souffrance interne.

- "Je vous signale qu'on vient vous prévenir! Vous prévenir qu'une troupe de monstres carnassiers et sanguinaires envahit votre monde! Car oui, certains ici viennent MÊME d'un autre monde, pour vous venir en aide! Alors je ne vois vraiment pas comment vous pouvez vous permettre de vous adresser comme ça à des personnes qui sont là pour vous, aussi étrangers soient-ils!"

C'est la sauvageonne qui m'habite, qui a parlé. Et je me rends soudain compte que j'ai été trop loin et que je viens peut-être d'anéantir tous liens futurs avec ce peuple. Mais la rage de mon regard ne se désemplit pas. Alors je serre les poings, et attend que quelqu'un sauve les meubles.

Impossible de se perdre en suivant les pics rocheux, nous avançons tout droit, ou presque, évitant simplement les obstacles trop gênants. Keya mène la marche. Légèrement derrière, je l'aperçois en prise avec un insecte volant. Je réajuste le sac de provision sur mes épaules en riant et accélère le pas pour rejoindre la tête du cortège.

Après une bonne heure de marche et le contournement d'un des piliers de roche à la recherche d'un passage, on tombe enfin face à une espèce humanoïde. La peau de bronze, une paire de corne, une apparence plutôt humaine, paré de cuir, d'or et de fourrure. Il, ou elle, transpire la richesse et surtout la classe.

En travers du passage, il nous fait face et s'adresse à nous, nous demandant qui nous sommes d'une façon qui semble déplaire à notre sauvageonne, car elle lui répond aussitôt avec véhémence. Après sa tirade, un silence s'installe, tandis qu'elle sert les poings, le regard encore enragé.

Je me poste à côté d'elle mais me résigne à poser une main sur son épaule en guise d'apaisement, craignant de prendre un coup. Je me contente de prendre la parole d'un ton bien plus posé et amical :

"Comme vient de le dire Keya... nous venons vous prévenir. Nous venons d'abandonner Esseroth qui est tombée sous l'assaut d'une immense armée. Nous avons besoin de vous pour accueillir les survivants." Je désigne d'une main les gens derrière moi avant de continuer. "Nous ne venons pas foutre le bordel, nous avons besoin de votre aide."

Eva avait suivit le groupe sans rien dire. La fatigue d'hier était à peu près passer et elle se sentait de nouveau en état de lancer des sorts.

Les Esserothèens accompagnés des aventuriers tombèrent nez-à-nez avec un individu à l'apparence étrange. Étrange oui, c'était le mot qui lui sied le plus d'après Eva. Habillée d'une sorte de tenue de cuir teintée en rouge et portant un masque qui lui voilait la vue, un mystérieux anneau dorée flotté autour de la créature. Homme ou femme ? Telle était la question que se posait maintenant la demie-elfe.

(Et bien, si ils sont tous comme ça ...) s'étonna la mage dans ses pensées.

Il ou elle posa une question. Eva n'eut pas le temps de répondre que l'archère se lâche. Reprenant les termes de la demande, elle reprocha à l'individu son manque de politesse total.

Keya, n'attendant visiblement pas de réponse, enchaîna en expliquant ce qu'ils venaient faire ici et ce qui était en train de se passer.

Le mage de vent, essayant d'apaiser légèrement la sauvageonne, expliqua d'un ton plus calme et d'une façon légèrement plus claire les faits.

"Et bien, elle est bien polissonne cette archère... J'espère qu'il ne la mal pris." chuchota Eva, un peu à distance de Keya, de façon à ce qu'elle ne l'entende pas.

"Xël a tout dit. Nous venons en paix et sûrement pas pour semer la discorde et la guerre. Moi et les autres sommes là pour vous prévenir." termina la mage de glace en complétant les paroles du jeune homme.

Le, ou, la cornue lève une main nonchalante avant de nous répondre, en gros, qu'il s'en fout de ce qu'il se passe sur sa planète. Puis il se tourne vers Keya, la fixant du nez en lui annonçant qu'elle ne pourrait sûrement pas entrer dans la cité dû à son manque de sagesse.

Je me mordille la lèvre, légèrement irrité avant de m'avancer de quelques pas vers lui et de lui répondre à mon tour, toujours d'un ton tranquille.

"Elle n'a pas besoin d'entrer. Nous non plus" Dis-je en me désignant avec Eva.

"Nous avons encore un endroit où rentrer. Mais eux, non. Leurs maisons sont en flammes. Alors dites leur comment prouver leur sagesse si c'est tellement important. Mais en tant qu'observateur et grand génie, vous devez déjà savoir s'ils sont assez sages ou non. Vous devez aussi savoir qu'on vient d'assister à des évènements dramatiques et épuisants. Nous ne sommes pas frais comme des gardons ce qui explique la colère de notre amie."

Celle ou celui qui semblait être un habitant de la légendaire ville leva une de ses mains et répliqua aux aventuriers qu'ils, en parlant au nom de ses semblables, n'étaient pas impliqués par ces choses-là. Il déclara aussi qu'ils savaient tout, et que personne ne viendra attaquer cette ville. Semblant comprendre que le petit groupe chercher un abri, il leur appris qu'il fallait d'abord montrer ce qu'ils valaient pour pénétrer dans la somptueuse ville.

Tournant son étrange visage vers la sauvageonne, il lui répondit qu'elle ne semblait pas être habitée par la sagesse requise pour passer les portes de Nagorin.

Après ces quelques paroles de l'étrange individu, le clochard qui se disait mage de vent s'avança légèrement pour répondre d'un ton calme aux propos de la créature.

"Elle n'a pas besoin d'entrer. Nous non plus"

Telles furent ses mots.

"Bien dit. Ça lui apprendra à nous parler avec ce ton outrecuidant." chuchota Eva, espérant ne pas être entendu par l'habitant. Il serait en effet, malvenu de le vexer.

Après ces quelques mots, Xël continua, expliquant à l'individu ce qu'ils venaient de vivre et que les Esserothéens avaient besoin d'un endroit où se poser.

Donc, je n'ai pas la sagesse requise pour pénétrer cette ville... Cela me vexe au plus profond de moi-même, car cet individu ne sait strictement rien de ce qui m'habite, de ce que je ressens, de ce que j'ai pu vivre et de ce qui a influencé mon parcours. Pour arriver ici, en ce moment, je crois que nous sommes tous, bien plus sages et plus vaillants que la plupart des gens. Il prend un ton impérieux et semble tout savoir? Bien, il me suffit de marcher dans son jeu et de lui lécher les bottes. Qui sait, ça fonctionnera peut-être. Car même si Xël prétend que nous n'avons pas besoin d'entrer, je ne suis absolument pas de cet avis. Nous devons trouver de l'aide, ou des informations.

Faisant un pas vers notre interlocuteur, j'use de politesse et roucoulement pour me montrer sous mon meilleur jour. Et bizarrement, je n'ai même pas l'impression d'en faire trop. En fait, je culpabilise de m'être emportée, et mes excuses sont plus que sincères...

- "Enchantée, Triman. Je me nomme Keya. Si je puis me permettre, vous n'êtes sans doute pas sans savoir que nous venons d'un autre monde... Votre sagesse devrait être en mesure d'évaluer la nôtre, sans tenir compte de mon emportement, donc je m'excuse le plus platement... Nous venons de vivre des choses difficiles, épuisantes, et qui nous marquerons à jamais psychologiquement. Alors, j'imagine qu'aussi grand soit votre savoir, vous n'êtes pas devin. S'il me faut vous relater ma vie entière pour vous laisser juger de ma sagesse, allons nous asseoir autour d'un rafraichissement et entamons le récit..."

Je la joue un peu culot, finalement. S'il souhaite qu'on se désaltère, il nous fera entrer...

Quand l'Ouessien fait référence à mon altruisme, je me pointe du doigt d'un air légèrement ahuri alors que derrière lui la roche ce tord jusqu'à devenir un escalier qui grimpe à perte de vue et je me fais même mal à la nuque en essayant d'en apercevoir la fin.

Les Esserothiens s'y engagent à la suite de Triman qui avait fini d'énoncer les conditions. Des conditions assez banales ; interdiction de foutre le bordel et de s'engager sur le pic où se dresse le palais.

Je laisse passer devant les réfugiés, rassuré de les savoir en sécurité dans une cité qui me paraît imprenable et à en croire son habitant, hors de danger.

En réalité je ne compte pas rester très longtemps et c'est pour une raison particulière que je patiente tandis que les autres prennent l'escalier, ce n'est qu'en voyant Fin' que je me joins à eux pour lui adresser la parole après une tape amicale dans le dos :

"Il a suffi d'une belle tirade de Keya pour le convaincre, j'imagine que tu es pressé de voir ce qui a là-haut !"

Je souffle après quelques marches, aussi fatigantes qu'elles en avaient l'air, avant de reprendre.

"En faites, j'ai quelque chose à te demander, j'aimerais retourner à Fan-Ming prévenir de ce qu'il se passe, je pense que c'est urgent. Quand est-ce que tu penses pouvoir nous emmener là-bas ?"

Je suis à moitié essoufflé en terminant ma phrase, mais je tiens bon continuant de parler avec des mots plus espacés et un souffle plus irrégulier.

"Et il faudra sûrement prévenir d'autres cités maintenant que les autres sont en sécurité. Ils ont dû se faire chier pour s'installer là haut, costauds les gars ..."

Je me tais finalement pour reprendre mon souffle en continuant de grimper et laisser Fin' répondre.