Nous descendons de cheval et nous confions les rennes aux deux miliciens Taheltiens. Nous pénétrons, mon père et moi, dans la grande tannerie de Karadël laissant les deux gardes de la cité au pas de la porte. L'odeur caractéristique pénètre nos narines, me donnant des haut-le-cœur. L'elfe, occupé à coudre au milieu de la pièce, ne semble pas plus déranger que ça, sans doute plus habitué que moi à ces senteurs âcres. Il se redresse et nous adresse un sourire avenant sans cesser son ouvrage pour si peu.
"Que puis-je pour vous?"Je sors ma gemme émeraude de ma bourse. Celle-là brille d'une lueur dorée, montrant toute sa magie au Sindel qui lève alors la tête pour nous regarder.
"J'aimerais faire sertir cette pierre sur le col de ma cape, et assez rapidement, le service de la Reine n'attend pas."Il regarde alternativement la gemme, la cape, mon pourpoint et mon visage, ne sachant pas quoi faire.
"Manifestement, votre équipement n'a rien, mais absolument rien de Naorien. En fait, il viendrait de Nyr que cela ne m'étonnerait pas plus que ça... Qui êtes-vous?""Des vagabonds qui reviennent de mission après un long temps auprès des peuples extérieures.""Au point d'adopter leur vêtement? Pensiez-vous que votre accoutrement cachera votre couleur de peau?""Non, certes, nous ne sommes point stupides à ce point, marchand.""Enfin, comme vous voulez, faut avouer que les artisans de la ville volante font du bon travail. Donnez-moi cette gemme et pour deux cents yus, je vous la sertie."Je sors l'argent de ma bourse, deux pièces d'or qu'il regarde l'oeil mauvais avant de les poser sur une balance de précision. Je hausse un sourcil en voyant l'acte du marchand, ne comprenant pas sa méfiance face à ma monnaie.
(Il vérifie qu'elle pèse bien ce qu'elle devrait peser.)(Mais pourquoi?)(C'est de la monnaie étrangère... Elle a la même valeur, mais les marchands naoriens sont réputés pour être hésitant, autant que les nains en fait.)Satisfait de son examen, il empoche mes deux cents yus et me demande ma cape que je lui tends. D'un geste rapide, il crée un petit bijou fait de cuir et de fourrure où il vient inclure ma pierre. Elle s'y incruste d'ailleurs à la perfection, le travail est manifestement d'excellente qualité, comme je m'y attendais de sa part. Cela fait, il vient entailler la peau d'ours du col de ma cape, créant un emplacement pour le nouveau bijou. Il le glisse alors, protégeant le bijou sans déformer le col pour si peu, ni l'alourdir. Une fois fait, il achève son travail par une couture qu'il dissimule astucieusement avant de me tendre l'ouvrage achevé.
"Votre cape vient de Nyr 'tel Ermansi. Je ne sais pas qui vous êtes, ni d'où vous venez mais la Reine peut me pendre si vous êtes une vagabonde.""Me traîteriez-vous d'exilé?""Parce que ce n'est pas ce que vous êtes? Enfin cela n'est pas mes affaires, mais tous dans la cité ne sont pas aussi conciliant que moi."En sortant de la boutique, je ne peux pas m'empêcher de songer à ses paroles, il a raison, je suis une exilée et mes vêtements me trahissent. Durant ces années à vivre avec des humains, des elfes blancs et autres j'ai pris des habitudes d'autres peuples et cela doit trahir mes années hors de la ville. J'espère juste que, pour la suite, les gardes continueront à croire que je suis une vagabonde de retour au pays et pas une errante.
((( vers les ruelles)))