Lorsque nous débarquons, c’est la mort dans l’âme que je mets les fers aux poignets de mon père. Le ramener ainsi me pèse sur le cœur, surtout en sachant tout ce que je sais. J’espère juste que nous ne croiserons personne entre ici et la milice. Heureusement, nous avons atterris alors qu’il fait nuit. Normalement il n’y a pas de repos pour les braves de la milice, ainsi il n’y aura pas de raison que l’on soit à la porte du bâtiment.
On prend notre temps pour marcher et on se raconte des anecdotes diverses d’un temps où la vie me paraissait plus simple. Un temps où les choses étaient pourtant déjà faussées. Lorsque l’on passe devant le marché, il me rappel le premier jour où il m’avait emmené avec lui pour chercher de nouvelles armes à réparer. Ce jour-là avait marqué mes premiers pas vers la carrière militaire.
Ce souvenir est à la fois doux et douloureux. Et finalement, au détour d’une ruelle, ce que je ne voulais pas qu’il se produise, arrive. L’une de nos vieilles connaissances, un forgeron concurrent de mon père, croise notre route. Son haleine empeste l’alcool. Je l’avais toujours soupçonné d’avoir la bouteille facile, mais à ce point-là, je ne l’avais pas imaginé !
"Nom de nom !!! Doraën Caliëel !! Alors tu t’inities à des jeux coquins !, lui dit-il en lui faisant un clin d’œil avant de porter son regard sur moi. Oups…"
"Vous devriez arrêter la boisson, Igëim ! Enfin, pour ce soir ! Allez vous écrouler dans un coin."
"Ohlala mais quelle rabat-joie ! Mais dis-moi, c’est pas toi qui t’es faite exclure de l’école, Elyria !", me lance-t-il en chancelant.
"Je ne vais pas perdre mon temps à parler avec vous ! Nous avons des choses à faire."
"Fous-nous la paix Igëim ! Tu ne voudrais pas que je rapporte à Alänia l’histoire de la prostituée…"
Je ne connais pas cette histoire, mais elle semble réveillée des souvenirs plus ou moins avouables dans la tête d’Igëim, vu la tête qu’il fait. Sitôt dit, le saoulard tourne les talons et s’effondre dans un coin deux cent mètres plus loin. Ce comportement n’est pas commun sur le Naora et je dois avouer que je suis surprise, mais après tout, on en croise partout…
Nous reprenons notre route, le cœur un peu plus léger. Cette diversion nous fait sourire et nous fait oublier un instant la destination qu’est la nôtre et qui ne tarde pas à se dresser devant nous. Je m’arrête sur le seuil de la milice de Tahelta.
"Nous voilà arrivé père… Je suis sincèrement désolée…"
"Ne le sois pas ma fille, mais… Tu pensais ce que tu as dit avant de dormir ? Que tu me sortirais de là ?"
"Oui, bien sûr que je le pense !"
"Alors je tiendrais le coup… Merci ma fille !"
Sur ces mots, il commence à monter les marches du condamné.