Pour moi, la distinction de la fantasy par le critère de la présence de magie est foireux.
Le problème repose sur les univers des divers récits étiquetés fantasy : à l'inverse de nombreux récits étiquetés science-fiction, l'auteur/le narrateur ne prend pas la peine de préciser l'univers/la dimension dans lequel se situe le récit, ou le situe dans un univers résolument différent du nôtre. Par univers je n'entends pas ici un ensemble de codes esthétiques, d'éléments de narration et autres qui donnent un cadre au récit, mais la notion dans son acceptation physique, le tout qui contient nos galaxies et tout le toutim.
Or, dans cet univers différent, il est tout à fait possible de postuler des lois différentes, des contenus différents (par exemple des éléments qui n'apparaissent pas dans notre tableau périodique). Les éléments qui pourraient passer pour surnaturels dans notre univers ne le sont donc plus, ils sont naturels, et peuvent faire l'objet d'une manipulation explication différente des possibilités offertes par notre univers, en vertu de lois différentes. Cela vaut pour les phénomènes dits magiques, mais aussi pour les créatures présentes, et tout l'ensemble. Harry Potter relève du récit merveilleux, pour le contenu surnaturel qu'il pose, parce que l'ensemble du récit est situé dans notre univers. C'est aussi le cas de tous les récits aux composantes mythologiques, nous nous plaçons dans le récit merveilleux.
La magie n'est pas opposable à la science, loin de là. Elle offre un cadre d'explication, de compréhension et de manipulation du monde perçu par les individus au même titre que la science et la technologie. A plus forte raison dans un univers différent dans ses lois et ses contenus.
Aussi, dans le récit de fantasy, situé dans un univers différent du nôtre, ce qui peut nous apparaître comme surnaturel n'est jamais qu'une partie du monde naturel, non expliquée par l'auteur narrateur dans une forme qui nous paraît "scientifique". Ce qui distingue alors le récit étiqueté fantasy du récit étiqueté science-fiction n'est pas tant la présence ou non d'éléments surnaturel, mais le cadre d'explication et organisation du monde fourni par l'auteur dans son récit : la magie, ou la science.
Dire "ça c'est de la fantasy parce qu'il y a de la magie" ou "ce n'est pas de la fantasy parce qu'il n'y a pas de magie" est selon mon point de vue incorrect. En revanche, je suis plus en accord avec une affirmation qui prendrait la forme : "ce qui distingue la fantasy des autres gens littéraire est une explication/organisation dominante du monde par la magie".
Je dis dominante, parce qu'au fil de mes lectures il m'apparaît que les récits de fantasy contiennent également des explications/organisation du monde appuyées sur des éléments que nous appellerions techniques à la hauteur de l'époque de référence considérée pour construire l'esthétique dominante du récit. Ainsi, dans les récits étiquetés medieval-fantasy, comme par exemple sur Yuimen, on trouve des éléments d'anatomie, mais aussi de mécanique pour les machines de siège par exemple, ou la construction, sans compter toute la dimension du progrès technique occupée par le travail des métaux et des alliages. De cette composante technique à une approche dite scientifique, il n'y a qu'un pas, souvent franchi. D'ailleurs, les phénomènes que nous jugeons surnaturels, et appelons magiques, font aussi l'objet d'une recherche/théorisation dans certains récits, dont le déroulement est très proche de la définition parfois retenu de ce qu'est la science (expérience, reproduction, et tout le toutim).
Il n'est donc pas impossible que l'explication/organisation du monde par la magie cède le pas, ou se combine, à une explication/organisation du monde par la science, au point que l'on peut se demander si la différence entre les deux n'est pas qu'une question de vocabulaire.
Ce qui revient à ce que je disais hier soir : la différence entre le récit étiqueté fantasy et le récit étiqueté science-ficton ne tient pas tant à la présence ou non de magie qu'aux choix de l'auteur en matière d'explication de l'univers dans lequel il place son récit, et la part de l'explication/compréhension/organisation du monde par un champ de la connaissance (étiqueté magie/science) dans le récit.
Peut-être qu'on peut aller fouiller de ce côté pour se demander pourquoi la fantasy semble majoritairement cantonnée à des univers médiévaux. Outre le fait que les pionniers en la matière ont peut-être jalonné le chemin, peut-être la référence à notre période médiévale est-elle plus commode : plus avant, dans le monde européen tout du moins, les différentes explication mythologies du monde intégraient des éléments surnaturels comme naturels ; plus après, l'époque est assimilée au développement des sciences. Au milieu, on trouve des références à une époque, un cadre de société, où les monstres et autres éléments surnaturels ne sont plus intégrés de la même façon, où les techniques sont déjà bien développées, ainsi que divers aspects sociaux, économiques, commerciaux, etc. Mais qui dispenses de fournir des cadres explicatifs du monde par la science. Or, comme il faut bien expliquer des phénomènes, il reste la magie.
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C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ;
par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables.
Proverbes, 24, 3-4