Etrange, saugrenue… la réaction du vieil homme, si elle avait été d’un autre, aurait déclenché un mouvement de protection naturel de la jeune femme. Les doigts électriques de l’érudit parcouraient le pelage de ses mains et de ses bras, comme un aveugle qui apprend à reconnaître une personne.
N’Kpa, ferma un court instant ses yeux, la bouche entrouverte, laissant libre court à l’impression et les sensations que produisaient cette inspection au premier abord suspecte. Pourtant, elle ne ressentait pas d’agression et ouvrait à l’homme sa personne. Elle absorbait cette énergie impalpable que diffusaient les mains ridées du personnage et en comprenait la puissance dissimulée.
« Mes parchemins de terre sont dans les rayons 2A et 5B. »
La phrase sortie comme ça, laissa la jeune femme interloquée. S’adressait-il à elle ? Puis il enchaîna l’explication du contenu des deux fioles et les lui rendit, sans même attendre qu’elle lui pose une question. N’Kpa une fois de plus chercha l’aide en ses compagnons, mais trouva que le silence. L’homme avait reporté son attention sur Nark, comme s’il avait déjà oublié ce qu’il c’était passé. L’épéiste dépité d’avoir perdu le premier rôle l’espace d’un instant, enchaîna sur sa demande, l’air un brin gêné. L’Humoran regarda ses deux fioles, fronça les sourcils et en tendit une à Thalo qui tenait sa besace pour qu’il la range. Elle garda celle qui était la source de ses interrogations, se cala contre le comptoir, esquissant une grimace de douleur en réponse au contact d’une blessure.
(Pourquoi, m’a t-il donc répondu comme si je connaissais quelque chose sur les éléments, ou la magie ?)
(((Cette question que je me posais me renvoya à des sensations similaires perçues lorsque j’étais en compagnie de mon vieil ami Thilytanataë. Comme l’érudit de Bouhen, il avait le chic à chaque fois que nous étions en contact de décharger une énergie discrète qui me transportait vers des horizons que je ne comprenais pas. Ses mots sur mon avenir étaient tout aussi mystérieux pour moi, comme si le simple fait de me toucher lui donnait accès à une vision de mon destin. A cette époque, je n’en comprenais pas le sens, ni la portée… Aujourd’hui guère plus, mais une chose nouvelle venait de naître en moi, ou plutôt l’absence de cette chose, venait de se révéler à moi. Une énergie intérieure propre à chacun, enfoui au plus profond de ses cellules, que l’absence dans certain cas conduisait à sentir un malaise, une vulnérabilité… Chantelière venait de m’en révéler le vide, comme si je n’étais pas entière....)))
L’observation plus poussée de cette petite bouteille étrange et de son contenu tout aussi mystérieux, lui laissait comme une impression d’attirance, de besoin, comme si tout son être attendait de trouvé une énergie dont-elle était dépourvue pour l’instant. Les sensations ouvertes par le savant faisaient leur petit chemin et ses paroles résonnaient encore à son oreille. Mais des questions restaient en suspends.
Sur l’intervention de Nark, Chantelière avait changé de ton, d’attitude et soudain semblait plus désinvolte. La réalité commerciale revenait sur le devant de la scène. Elle jeta un regard à Rosa, puis à Nark, elle avait l’impression d’être une inculte, d’autant qu’elle était incapable de déchiffrer quoique ce soit sur les grimoires éparpillés sur les tables, ou sur les parchemins emplissant les étagères de l’échoppe. L’épéiste ne semblait pas lui non plus dans son élément. Cependant, malgré ses réflexions, elle avait un besoin d’une confirmation sur ses doutes. Si une question brûlait ses lèvres, elle ne se sentait pas vraiment d’en débattre devant tout ce monde, un par honte...
N’Kpa sentit tout de même un profond élan curieux monter en elle :
Pardonner moi Maître, qu’entendiez-vous en me parlant ainsi, tout à l’heure, d’un « fluide de terre à ingurgiter rapidement»… pourquoi… pour quel utilité ?
Elle tendait sous les yeux de tous la petite fiole mystérieuse au contenu terreux.
_________________
|