Kerkan a écrit:
Le griffon tendit son cou dans ma direction comme pour observer dans quel état je me trouvais, lorsqu'il s'aperçut que j'étais lacéré en de nombreux endroits, je le vis s'abandonner à ma douleur, compatissant à mon mal causé en partie par ses frasques. Je ne lui en voulais pas, il ne cherchait qu'à s'amuser un peu, j'aurais fait de même si j'avais été dans son cas, malgré tout je crus comprendre qu'il s'inquiétait pour moi. Après m'avoir jeté un regard rempli d'émotion, il poussa un roucoulement lyrique, passionné par une empathie qui liait nos sentiments. Peut-être se faisait-il plus de souci que moi ? Pourquoi ? Pourtant ce n'était pas lui qui souffrait, je ressentais quelque chose d'étrange, cela faisait si longtemps que l'on ne s'était plus occupé de moi... Depuis...
(Non, Kerkan, laisse le passé où il est, cela ne t'avance à rien. La mort est une étape de la vie... La dernière ou alors... La première ? Comment savoir ? Comment devenir fort... Comme Andorian ? Il le faut, les remords ne l'ont jamais hanté, pourquoi ? Ca suffit ! J'en ai assez qu'il y ait autant de «pourquoi» dans ma vie !)
Il fallait laisser aller les choses, la vie, le cours de ce fleuve appelé destin dans lequel je me noyais parfois, dans lequel je me perdais si facilement. Laisser aller son amour, sa confiance, ses pas, ceux qui avaient le mystère de pouvoir nous transporter là où nous devions être sans en connaître les raisons. Le griffonneau attira mon attention, il se mit à chercher une présence ou un autre élément dans l'obscurité de la forêt. Quelqu'un serait-il en train de nous espionner ? J'espérais me tromper de tout coeur, je n'étais pas prêt à réagir face à un nouvel ennemi, je n'en avais plus le courage, plus l'énergie, j'étais exsangue de toute cette agitation. Après quelques secondes d'attente, l'animal se décida à agir et se dirigea vers les fourrés, peut-être qu'il allait débusquer un homme ou tout simplement s'enfuir en s'apercevant que je n'étais vraiment pas doué.
Mais, comme à mon habitude, j'avais tort, il n'avait nulle envie de m'abandonner et je le regardais examiner un arbre enrobé dans une écorce grise, tirant sur l'argent. Je crus d'abord reconnaître un peuplier, néanmoins ma vue me jouait des tours, ses feuilles divergeaient amplement de l'espèce que je connaissais. En regardant plus attentivement, j'aperçus de minuscules baies bleues décorées les longues branches du végétal. Le griffon sauta et attrapa une branche bien garnie et la plia jusqu'à ce qu'elle effleurât le sol. Voulait-il que je m'approchasse pour ramasser les fruits azurs ? Avaient-ils un quelconque intérêt ? Décidément je me reposais trop facilement sur cet animal, d'ailleurs, je me rendis compte qu'il était loyal et qu'il n'était plus vraiment sauvage à mes yeux.
Je me levai difficilement, suivant l'ordre du griffonneau et m'exécutai : c'était l'heure de la cueillette. Je croyais que j'avais déjà tout fait dans mon inintéressante et courte vie, mais il n'en était rien, je devais cueillir des baies en plein milieu de la nuit en compagnie d'une créature mi-oiseau mi-féline. Je pris celles qui se trouvaient à ma hauteur, j'avais des difficultés à me baisser, mes côtes me faisaient souffrir, évidemment, j'avais fait une chute de plusieurs mètres !
Cependant, que devais-je faire de ces fruits, les manger ? Rien ne me disait qu'ils n'étaient pas empoissonnés, je ne désirais pas mourir dans d'atroces souffrances, me vidant de tout ce qui me composait.