Jamais œuvre de magie ne s'était ainsi imposée à Elris, et jamais elle n'eût peu croire sans grand mal que cela eût été possible ; car elle naquit fille de Loup, et Fenris ne se voyait pas honoré par une messe occulte et spirituelle dirigée par des entités invisibles, mais bel et bien par les forces tangibles des hommes, le ruissellement ininterrompu du pourpre sang, et leur long équipage de feulements d'agonie. Jamais elle n'avait pris part à tourment qui ne se pût résoudre par les armes, jamais elle n'avait fait face à ce pouvoir redoutable contre lequel le poing n'a pas de prise, jamais elle n'avait eu à affronter un ennemi qu'elle ne pouvait pas voir. Mais aujourd'hui, le monde semblait avoir basculé, et elle connaissait désormais les affres de la magie.
Tandis que la femme verte vêtue de la tunique élimée du Sieur Ybeild saisissait le nouveau Pipapoum par le col, Elris passa par habitude la main dans sa nuque – non sans entendre crier l'emmanchure de sa robe, craquement sonore comme sinistre glas. Et quelle ne fut pas sa surprise ! D'une part, les muscles puissants qui se faisaient maintenant siens ne se gouvernaient que par acharnement, et d'autre part, la brûlure sacrificielle qui la marquait comme enfant de Fenris n'était plus que souvenir évanescent, car sa peau, à l'endroit où elle eût dû s'imprimer de violents reliefs, était lisse – quoique rude, et pileuse.
La petite dans son corps étranger entreprit d'apaiser les heurts de son cœur et la houle de son souffle, dont la cadence forcissait avec la peur. Elle se vit, au loin, perdue dans une sombre bure qui lui était bien trop grande, et des sandales qui ne tenaient qu'à peine ses petits pieds opalescents. Si tant est que cette vision fit sourdre en elle un torrent d'épouvante, elle ne put que s'attacher à contempler ainsi cette pâle figure qu'elle n'avait jamais aperçue que dans le reflet ourlé d'un cours d'eau ténu : un soupçon de nostalgie la saisie, car elle vit sur la peau de cette fillette – qu'elle ne connaissait que trop peu, en réalité – les lactescentes neiges des Monts Éternels, et dans son œil, l'incarnat brasier vespéral qui la vit quitter son peuple, en ce jour funeste où malgré elle sa terre bien aimée lui dit adieu. Toutefois lui restait-il, sinon l'aspect de son peuple, du moins ses propres effets : Elris sentait en effet les crocs du loup effleurer son front, et elle se réjouit un instant de constater que dès lors sa cape ne serait plus un trop long fardeau – elle était, sur le corps qui appartenait au Sieur Ybeild, d'une proportion parfaite.
Alors qu'Elris tentait un pas vers la scène qui se déroulait non loin, plusieurs événements se produisirent en parfaite concomitance : il eut un éclair soudain, d'aveuglante lumière, elle se sentit attrapée tout entière par un vertige étrangement inversé, et le pas qu'elle avait préludé se finit dans une cacophonie burlesque. Elle chut, de tout son long, à l'entrée d'un village qu'elle n'avait jamais vu que dans quelques songes irréels.
« Aaarg », fit-elle d'une voix masculine.
Il lui faudrait du temps pour manier de telles jambes, de cela seulement elle pouvait être certaine.