Elle avait les yeux verts. Qui aurait pu croire, en la voyant pour la première fois que cette femme eut été mauvaise. Elle n'était pas laide, mais en elle, c'était les abysses. Là où la candeur et la pureté des femmes pourrissait. Lors de nombreuses aventures, je n'ai jamais rencontré pareille chose. La beauté se voulait assassine, et elle l'était. Ses terres n'étaient qu'un immense champ de bataille. Je la damne et l'admire, car elle fait preuve de force, mais le fait à grand renfort d'une cruauté hors du commun.
Un garde de caravane marchande, de passage au château.
La nuit était tombée, depuis déjà de nombreuses heures. La nature s'était faite silencieuse. Le monde dormait, les oiseaux cessaient tous de piailler et enfin... Les nuages s'éclipsaient pour laisser apparaître l'astre de rêve. C'était ainsi que la Baronne nommait la lune. L'astre de rêve... Le village de Börgo était un des plus riches de Keresztur. Il comptait près de cinq-cents âmes, fortes et travailleuses qui faisaient presque la fierté du commerce aux vues de sa productivité.
Le lieu se trouvait à la croisée de deux grands axes importants, très utilisés par les commerçants et les échanges de produits. Le marché y était grand, riche et attirait les vendeurs des terres voisines. Il était aussi le principal lieu d'attaque des hommes de montagne. Les exilés de Kendra Kâr qui venaient se réfugier vers Bouhen et qui profitaient de la nuit pour attaquer les moulins et les dépôts de nourriture. Dans le petit bosquet qui donnait une vue imprenable sur les roches descendantes du col de Börgo, se trouvait Erzébeth accompagnée de Lydia... Et de soixante cavaliers du contingent militaire de Zalina. Les montures crachaient la buée, les hommes patientaient, prêt à intervenir. Selon les éclaireurs, de nombreux hommes s'étaient rassemblés, armés de façon rudimentaire, prêts à venir piller une seconde fois le dépôt. Une petite bâtisse à l'allure d'une grange fermée éclairée de plusieurs torches en était la cible. Lorsque la nuit tombait, les paysans rassemblaient toute la production et partaient se coucher. Il n'y avait aucun garde, les lois étaient claires et les punitions se soldaient toutes par la mort. Aucun habitant du domaine n'aurait osé y toucher. En revanche, les exilés, les malades et les traîtres... Ceux des monts n'avaient aucune connaissance des sentences, pour la plupart. Il allaient de chemin en chemin, de villages en villages, s'alliaient parfois même avec des bandits de grands chemins.
« Erzébeth, je ne sais pas si c'est une bonne idée... » « Comment pourrais-je paraître telle que je suis, si je ne montre pas qui commande. »
La générale de l'armée n'était pas rassurée. Toutes deux connaissaient assez mal les forces contre lesquelles elles allaient être confrontées. Selon Katalina, restée au château, il n'était question que de bouseux armés de bouts de bois et de pierres taillées. La Baronne n'était pas de cet avis. Sa présence était une de ces raisons, elle voulait voir elle même comment agissaient les combattants adverses pour mettre en place un plan radical. Fallait-il les poursuivre dans les montagnes ? Les piéger ? Mettre quelques gardes pour les dissuader d'attaquer ? Toutes ces questions méritaient réponse. Quant bien même la menace soit faible, elle ne laisserait jamais une bande de sauvages s'attaquer à ses terres et ses ressources sans punir sévèrement les coupables.
Le pieu silence cessait, on entendait des glissements de pierres, des roches claquer. La pierre grouillait de mouvements et d'ombres, telle une grosse charogne dont les vers remuaient sans arrêt. Timidement, les hommes s'avançaient. Au bout de quelques heures d'attente, elles étaient enfin récompensées. Les armures noires des cavaliers d'Erzébeth cliquetaient. Le plus discrètement possible, ils s'approchaient de l'orée des bois pour contempler la menace. On voyait une quarantaine d'hommes armés s'aventurer, le dos courbé, vers le dépôt.
« Est-ce là tout ? » « Les paysans s'effarouchent d'un rien, Lydia. »
Tout en caressant le flan de Calpurnia, elle tira la Scélérate de son fourreau de daim. D'un geste de la main, la Baronne fit s'approcher une ligne de cavaliers. Elle n'allait pas tous les faire intervenir. Se gardant une réserver de soldats dissimulés au cas où les mécréants viendraient à se montrer plus nombreux.
« Le village est bien vide, comme je l'avais ordonné ? » « Oui, Erzébeth, seules restent les lumières pour faire croire que les habitants s'y trouvent encore. Rien d'autre. »
Les hommes étaient maintenant bien visibles. On pouvait distinguer clairement qu'ils n'étaient pas si miséreux, contrairement à ce que pensait Katalina. Armés d'épées et de haches, ils étaient vêtus de combinaisons de tissus ou de cuir pour certains. Les mieux équipés portaient une arbalète à la ceinture et un bouclier de bois ou de fer. Tout ceci n'était probablement que le fruit de pillages et de larcins. Ses soldats à elle, étaient formés et équipés en conséquence. Une armure sombre pour se cacher la nuit, un long bouclier et une épée de facture Elfique, légère et tranchante, faite pour les attaques à cheval.
Les forces ennemies s'approchaient plus vite, ils abandonnèrent la discrétion et hurlèrent en courant pour effrayer les habitants disparus. Le piège se refermait et le claquement des doigts de la Baronne provoqua une première volée de flèches dont les pointes étincelantes allèrent pour quelques secondes remplacer les étoiles dans ce ciel devenu vierge de nuages. L'astre de rêve pleura ses nombreuses tiges tranchantes et cruelles qui allèrent frapper et ouvrir les chairs des miséreux. Il était trop tard pour fuir. Les montures rapides allèrent très vite couper la retraite des malfrats. Deux groupes s'étaient formés. Lydia galopait suivie de huit cavaliers jusqu'aux roches empêchant les bandits de se réfugier dans les pierres, là où les chevaux ne pourraient aller. Erzébeth quant à elle, conduisait quatorze soldats jusqu'au dépôt dont les alentours grouillaient de cette vermine. Certains d'entre eux allèrent même derrière le petit pont du moulin à eau pour empêcher les cavaliers d'approcher tant son bois était vieux et fragile. Désordonnés, les truands se rassemblèrent afin d'assembler les forces dans un dernier espoir. La Baronne sous sa cape avait la ferme intention de faire payer le prix fort à ces hommes. Elle n'était plus réputée pour faire de prisonniers, lors des raids, il n'y avait derrière ses soldats que des morts.
Le groupe de Lydia s'était déjà mis en position. Aucune retraite n'était possible et les cavaliers tirèrent leurs arcs sous les ordres de Lydia, canardant à distance les soldats rassemblés qui se protégeaient avec ce qu'ils trouvaient, couvercles de tonneaux, sacs de farine... Dès lors que les hommes d'Erzébeth vinrent, cette alternative n'était plus possible. Cependant, Lydia préféra faire cesser les tirs. Bien que sa confiance en ses soldats soit des plus grandes, elle ne souhait prendre aucun risque pour les troupes personnelles d'Erzébeth.
La Baronne s'arrêta à quelques mètres des hommes qui, agglutinés, l'attendaient, ayant tous tirés les armes hors des fourreaux. Elle se laissa tomber au sol. Ses soldats l'imitèrent. Elle n'avait jamais apprécié le combat à cheval, et ne voulait pas que Calpurnia soit blessée lors d'une attaque. D'autant plus qu'elle se montrait capricieuse parfois, un ordre mal interprété et sa monture pouvait la conduire à la mort. Elle n'appréciait pas cette ironie du sort et l'ignora. Son cœur palpitait, ses tempes se faisaient chaudes et ses yeux se plissèrent, comme avant tout combat, elle se demandait ce qu'aurait bien pu faire Hrist. La réponse vint de sa Faera qui lui avoua que Hrist aurait fait pleuvoir des centaines de flèches sur eux avant d'envoyer des hommes ramasser les corps. Elle avait toujours aimé les solutions simples, radicales et expéditives. Erzébeth quant à elle, s'ennuyait au château et cet affrontement si différent de l'entrainement était un moyen de passer le temps pour elle et que ses soldats prouvent leur force.
Les voleurs quittèrent les rangs et virent s'attaquer à eux. Erzébeth su parer le premier coup d'épée à l'aide de la Scélérate, mais un cran acéré de sa lame vint se coincer dans le métal abimé de l'épée du vaurien, ce qui fit perdre la garde des deux combattants. Elle n'eut pas le temps de dégager son arme qu'un de ses soldats lui administra un remarquable coup d'épée dans le menton. Le corps tomba immédiatement, la mâchoire ouverte, le nez absent, il ne fit qu'une compote de sons avant de s'éteindre définitivement dans ses fluides. Les pulsions se firent plus fortes. Ils étaient plus nombreux que ses soldats mais moins entrainés, c'était le moyen de prouver ce que valait des heures de combats par jour... Elle avait foi en son armée et en ses méthodes.
Lydia, observait anxieuse le manège funèbre à une centaine de pas de là, et décida d'envoyer cinq de ses hommes au combat, assister Erzébeth. Les soldats dissimulés dans les fourrés avaient envie d'intervenir, mais faute d'ordre autorisant cette manœuvre, ils ne purent que sortir les épées en attendant impatiemment qu'une des deux femmes en donnent l'autorisation.
Brutaux, dépourvus de tout entraînement à l'escrime martiale, ils s'attaquaient aux soldats comme des bêtes enragés. Donnant des coups d'épaule dans les boucliers, ils se montraient violents mais désordonnés. Le concept du combat chez la Baronne et ses soldats était qu'il y avait un attaquant et un défenseur. Un soldat protégeait les arrières d'un autre tandis qu'il était au combat. Un principe très complexe mais qui s'avérait des plus efficace lorsque les forces adverses étaient plus nombreuses.
Les duos se mettaient en place rapidement, les voleurs tombaient les uns après les autres. Erzébeth en tête, protégée par un garde progressait. Un immense barbu armé d'une hache fendit l'air juste en face de son visage, elle n'eut qu'à reculer pour esquiver l'assaut. Les manants étaient mal entrainés et se trouvaient vite en déroute. La Baronne cherchait le chef, l'homme qui dirigeait cet assaut. Car selon elle et son expérience, il y en avait toujours un. Au fil des estafilades, son choix se porta sur un homme qui semblait plus prompt au combat que les autres. C'était lui qui braillait quelques directives et qui poussait des hommes à se diriger à un endroit ou à un entre dans un semblant de retrait. Grande taille, visage mal rasé, cheveux longs et décoiffés, il portait une armure de cuir noire, rien de très original, si ce n'était son arme, une hache relativement bien ouvragée dont la lame se différenciait des autres de part son côté anguleux qui ressemblait plus à une lame de dague. Les regards se croisèrent. Le temps du combat semblait se ralentir, on entendait les râles des voleurs s'élever au cieux après le chuintement des épées noires des militaires de Zalina. Erzébeth et lui marchèrent parallèlement. Elle ne savait pas trop où il souhait aller, se dirigeant vers le pont, cela lui couperait toute retraite mais le rapprocherait d'un de ses hommes qui s'était protégé des tirs de Lydia contre la porte du moulin.
Le chef ne tarda pas à forcer le pas et s'en alla courir jusqu'à passer son compagnon derrière le pont. Les planches craquaient sous les bottes de la Baronne suivie de près par son garde. Néanmoins, celui-ci abandonna son poste lorsqu'il fut assaillit par deux truands. La tueuse se trouvait donc seule face à un homme armé d'une longue lame rouillée où quelques lanières de cuir brun s'enroulaient. Il se protégeait derrière un tonneau hérissé de flèches et attendait la femme qui s'approchait doucement. La cape noire brodée de pourpre cachait la majeur partie de son armure et de ses armes, en définitive, il ne pouvait voir que la Scélérate violette qui pointait sa lame ensanglantée vers le sol.
Il frappa d'un coup de pied le tonneau qui s'en alla rouler vers elle, elle l'évita en pas chassé et s'apprêta à se défendre. Le tonneau cessa de rouler lorsqu'il se coinça dans le passage étroit du petit pont du moulin. Ses attaques étaient fortes et désordonnées, son corset léger lui permettait des mouvements plus souples mais elle souhaitait dans son fort intérieur que le reste de son armure fasse de même. Ce que la Scélérate ne pouvait parer, c'était sa garde qui le faisait, malgré ses protections elle craignait le mauvais coup et attaqua à son tour. Une frappe latérale entailla le bras du malheureux qui recula, pressant sa main contre son biceps saignant, ses expressions changeaient. L'idée de se faire battre par une femme se voyait régulièrement dans les yeux des hommes. La femme aimait ces moments là, lorsque la victime réalisait que tout risquait de se finir. Parfois cela arrivait dès la première entaille, après, il y avait eu des spécimens plus téméraires qui s'acharnaient. Le riche boudin de Kendra Kâr et son harem de catins scandaleuses en était un souvenir des plus désagréables pensait-elle. Furieux, sa cible tenta de l'embrocher comme une vulgaire pintade à l'aide de son bout de métal rouillé, mais à avoir pris trop d'élan, il perdit l'équilibre et la Baronne se glissa comme un serpent derrière lui et lui plongea l'intégralité de sa lame sous l'aisselle, là où l'armure était des plus faibles.
« Avoue tout de même, que tes passes-temps sont peu communs ! »
Les interventions de Cèles étaient des plus inconvenantes lors des combats, perturbant parfois la femme. A supposer que dans la fièvre de la bataille elle n'y prêtait pas attention. Sa cible n'était pas encore morte mais il avait lâché son arme sur le plancher de la petite berge. Derrière le cours d'eau, la bataille faisait rage, les hommes de la Baronne se battaient avec rage contre les mécréants des moins en moins nombreux. Elle rangea son arme, presque satisfaite d'un combat aussi rapide. Il fallait considérer la surprise et le manque d'entrainement de son adversaire. Ses doigts se glissaient doucement sur sa nuque, caressant les cheveux de l'homme pour aller glisser jusqu'à sa gorge. Les doigts crochus allaient épouser la forme du menton tout en maintenant fermement la pression sur la gorge... Elle bascula le menton sèchement, brisant les cervicales de son infortunée victime venue pour une poignée de pain. Le corps eut un dernier sursaut lorsque les muscles se secouaient une dernière fois avant de plonger dans le sommeil éternel. Elle fit choir le tas de chairs mortes sur le sol poussiéreux et couvert de farine et entra dans le moulin. Ses yeux n'avaient pas à s'habituer à la pénombre, elle qui jouissait de cette facilité de sa race. L'air ambiant puait très clairement, c'était indéniable, l'homme patientait, en face d'elle, confortablement installé sur un sac de farine, l'arme servant de repose main tel un seigneur le fondement posé sur son trône.
« Erzébeth, la Baronne de Keresztur... Si je m'attendais à un tel adversaire, j'aurai fait mander plus d'hommes à ma cause. »
Elle ne dit mot, se contentant de balayer du regard la pièce dans l'idée de trouver de quoi bloquer la porte, elle ne souhait pas que ses troupes fassent irruption dans le moulin tandis qu'elle se battait. Le chef était à elle, et à elle seule. Tant pis si elle devait périr, elle n'arrêterait pas la course de sa propre destinée.
Il y avait une longue tige de métal qui était utilisée pour déboucher le silo lorsque l'humidité créait un bouchon de farine. Elle s'en saisit pour le planter profondément entre les planches juste derrière le pas de la porte, afin de l'empêcher de s'ouvrir. Ce n'était pas un excellent moyen de condamner une porte éternellement, mais ça devrait suffire à contenir les visiteurs quelques temps, tout en sachant bien sûr, que le bruit du combat qui faisait rage derrière la porte indiquait que ses hommes avaient d'autres priorités pour l'instant. Dans le doute et faute de savoir où était Erzébeth; Lydia donna l'ordre que l'on fasse venir vingt hommes en renfort.
« Votre réputation dans ces terres fait peur à voir pour des hommes comme moi. Votre imagination quant à la torture... Brrr. Comment donc ces idées morbides vous viennent-elles ? »
Il se leva, visiblement amusé de la situation et loin de tomber dans un stress ou une crainte quelconque, il engageait la conversation avec la femme dont les expressions de langueur indiquaient tout sauf une envie de causer entre deux sacs de farines et des rouages graissés à l'huile de poney des collines.
« Mettez-vous donc à la tête d'une Baronnie où vos sujets exaucent vos désirs, ça vous donnera le temps de penser à toutes ces choses là... »
Elle tourna doucement autour du jeune truand qui la taquinait, souriante, elle contractait ses muscles, prête à se défendre ou à bondir comme un serpent sur sa cible lors du moment propice. Elle continua d'une petite phrase assassine : « Mais visiblement trop occupé à rassembler les clochards et mendiants des terres voisines, vous avez oublié de penser aux conséquences qui surviennent pour les voleurs. »
Il ria, toujours amusé de sa compagne ténébreuse, il tapota le creux de sa main avec son arme, l'air déjà plus menaçant. Il tournait sur lui même, suivant Erzébeth du regard, ne la perdant pas une seule seconde de vue, ne connaissant en rien ses talents à l'arme tranchante, il faisait en sorte d'éviter toute mauvaise surprise et tira de son second fourreau, situé au bas du dos, une petite dague nettement moins ouvragée que sa hache.
« Cette arme, elle me vient d'un officier de Kendra-Kâr, un homme bien, à n'en pas douter, il avait essayé de me tuer lorsque je pillais un marché avec quelques uns des hommes qui se trouvent dehors, dans la petite fête improvisée que donnent vos soldats. Une troupe de choc, j'admire. »
Tout en applaudissant doucement avec une certaine ironie, il montra la seconde arme, la dague au manche rouge : « Celle-ci, elle vient d'un homme trouvé en venant de la cité blanche. Un homme humble. Laquelle préférez-vous que je plante dans votre poitrine ? »
La capuche d'Erzébeth tomba, les pans de sa cape s'ouvrirent et elle en tira la petite arbalète, envoyant un carreau entre les jambes écartées de son adversaire qui, par surprise, claqua des talons. Il envoya son regard en arrière, voyant le carreau planté au sol, l'homme grimaça devant la tueuse, visiblement déçu de ce manque de loyauté, il ne manqua pas de faire remarquer qu'il ne disposait que d'armes de corps à corps.
« Celle-ci me vient d'Omyre... Combien d'orques déjà... Une quinzaine ? Dont deux chefs de clans ont payés de leurs vies pour me l'offrir. Un bien maigre bultin vous ne trouvez pas ? D'ailleurs, elle a manqué aujourd'hui, de vous priver du peu de virilité dont vous faites exemple. »
Elle jeta son arme sur un sac, sa manœuvre d'intimidation lui avait offert malgré tout un désavantage, il avait sans doute remarqué la seconde lame dissimulée au fourreau à sa hanche. Son adversaire pointa sa hache vers elle et annonça d'un air solennel :
« Mon nom est Goldrik, et je jure devant Yuimen qu'en ce jour, je tuerai la Baronne de Keresztur et priverait ses terres d'une femme cruelle et cupide, et ce, pour le bien de toutes les âmes affamées qu'elle prive et étouffe ! »
Le sourire de la femme se fit grandissant, et enfin, le combat commença. Elle n'était pas spécialement douée pour les attaques à deux armes, préférant largement utiliser sa seconde main pour griffer le visage ou attraper les lanières de cuir qui serraient les armures, de façon à les détacher et distraire le combattant. Toutes ces petites choses sournoises qui faisaient qu'elle était toujours en vie malgré les dizaines d'affrontements à son actif.
Goldrik attaquait en alternant hache et dague, des enchaînements rapides mais répétitifs ce qui facilitait les parades, cependant selon la Baronne, ça semblait trop facile et cette technique était sans doute faite pour anesthésier l'attention du défenseur pour que l'attaquant puisse changer subitement de frappe et faire mouche, c'était en effet ce qui suivit. Il fondit sur elle prêt à lui trancher le crâne à l'aide de la hache dans une frappe ascendante. Elle réussit à éviter ce coup mais ne pu parer le coup de botte qui suivit la frappe et qui alla se perdre dans son abdomen, lui coupant le souffle et la faisant reculer.
« Pas trop mal pour une femme que j'imagine assise à longueur de journée à observer les mendiants et les nécessiteux souffrir de la faim. »
En réalité, les villages de Keresztur n'étaient en rien aussi pauvre, il faisait allusion à la grandissante population de mendiants qui venaient sur ces terres pour profiter d'une halte entre les chemins de Kendra-Kâr et de Bouhen...
« Qu'êtes-vous donc alors, un bon samaritain qui vient tuer les nobles pour le grand plaisir des pauvres. Vous faites fausse route. » « Vous apprendrez Baronne, que moi, Goldrik pour ne pas vous servir, a parcouru le monde entier en qualité de mercenaire et de marchand. Et que ce que j'ai pu voir, entendre au fil de mes voyages n'a pu alimenter que ma haine lorsque je vois des gens comme vous. Vous terrorisez la population. Vos habitants sont partagés entre mourir sous les raids Orques ou sous votre justice au moindre faux pas ! » « C'est tout l'art de gouverner, à leurs yeux, je suis pire que les Orques. N'ai-je pas fait preuve de clémence envers eux, en envoyant mes troupes ravager vos rangs tandis que vous voliez leurs ressources ?» « Par Yuimen, comment osez-vous parler de clémence ? Il n'y a aucune clémence dans la barbarie, mes hommes ses font trucider par vos guerriers pour le seul crime d'avoir faim et de vouloir y remédier ! » « Laissez donc votre Yuimen régner sur ses sujets et moi sur les miens ! Vous n'êtes en rien les bienvenus sur mes terres ! »
Elle attaqua et jetant un chiffon farineux au visage de Goldrik qui en eut les yeux atteint. Elle frappa en montant la lame au ciel, la pointe en avant et entailla son armure sur la poitrine. N'ayant probablement pas touché les tissus de l'homme, elle frappa de nouveau mais cette fois-ci, il su parer l'attaque à l'aide de sa dague. Se protégeant en repoussant la tueuse d'une frappe latérale à l'aide de la hache, il recula et manqua de se prendre les pieds dans une marche. Sans pour autant en perdre l'équilibre, il se rattrapa à l'une des nombreuses cordes qui pendaient en l'air. Chacune d'elle était relié à un sac de facile. Un moyen inventé par les paysans pour verser de la farine dans les silos et dans les engrenages sans avoir à monter à chaque fois tout en haut du moulin et gagner à la fois temps et productivité.
En tirant dessus, il fit tomber une pluie épaisse de farine entre lui et la Baronne. Les armures sombres des deux protagonistes se teintaient de gris à la pénombre de la nuit. Les seules lueurs venaient de l'extérieur, par les nombreuses crevasses du moulin. L'aspect en était presque terrifiant. Le maraudeur grimpa dans les escaliers, l'équivalent d'une dizaine de marches et attendit Erzébeth en la provoquant.
« Quelle Baronne digne de ce nom torturerait ses sujets pour en gagner le respect ?! » « Rhalala, qu'il est pénible. Tu as vraiment le chic pour tomber sur des phénomènes de foire toi, ma belle. »
La situation changeait. Si elle s'aventurait dans les escaliers, elle se trouverait immédiatement dans une position de faiblesse car son arme avait moins de portée que la sienne. Elle se souvint de combat avec Tisis lorsqu'elle était montée elle même dans les escaliers pour handicaper la combattante. Cette fois-ci, elle était l'handicapée. Rien ne lui servirait dans les alentours à faire descendre l'homme. Résignée à tomber dans son piège, elle grimpa les marches et vit son agresseur tenter un coup de pied tout en se tenant à la rampe des escaliers. L'instant d'une fraction de seconde, elle fut partagée entre l'idée de frapper la jambe à l'aide de son arme, au risque de frapper trop juste et qu'elle ne se retrouve projetée hors de portée, et celle d'éviter simplement le coup de botte. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit, elle sautilla sur le côté, regrettant de ne pas avoir préféré grimper quelques marches pour se trouver à sa hauteur. La réaction de l'homme fut étonnante pour elle, car au lieu de profiter de la situation dominante, il continua à gravir les escaliers, lui tournant même le dos dans un manque de respect et de loyauté martiale des plus acerbe.
Au dehors, les mécréants se trouvaient dans la déroute la plus totale. Décontenancés et perdus, ils s'étaient rassemblés et avaient déposés les armes dans l'espoir futile d'une clémence. Lydia avait galopé jusqu'à eux, s'assurant elle même que chacun d'eux avaient été fouillés et que personne ne dissimulait une arme...
Le second étage du moulin était déjà plus occupé. C'était ici que les machines broyaient le grain de blé et qu'il tombait dans les sacs avant d'être collecté dans le silo. Goldrik attendait au milieu de la pièce, le grincement des engrenages cassait le silence pesant dès lors que le vent soufflait. Les immenses palmes du moulin tournaient lentement dans un grincement de bois.
« Imaginez quel héros, quelle légende je serais lorsque vous serez morte sous mon arme... » « Quant bien même vous me tuiez, vous ne sortirez pas de ce moulin vivant, à moins de vous tourner en oiseau et de voler à des lieux de mes soldats qui vous attendent dehors... » « On peut être une légende même morte, savez-vous ? » « En garde ! » conclue la petite Cèles, amusée par les conversations de deux enragés. Le sang lui montait à la tête et Erzébeth sentait de la rage et de la fureur, cet inconnu pouilleux qui venait lui faire des leçons de morale. Tout juste bon à se battre, il était d'une impertinence des plus immonde, il la répugnait...
Les échanges de frappes continuaient dans la pièce poussiéreuse. Esquivant la plupart des assauts de l'adversaire, les deux venaient à comprendre que finalement, ils étaient l'un et l'autre d'un niveau d'escrime presque égal. Seule différence était le sadisme de la Baronne qui préférait frapper plus précisément mais moins régulièrement et Goldrik qui aimait à faire pleuvoir les coups dans l'espoir que l'un d'eux touche sa cible. Il projeta Erzébeth au sol d'un furieux coup d'épaule qu'elle ne réussit à anticiper. Sur le dos, elle se releva juste à temps, la hache terrible vint éclater le bois et souleva la poussière au moment où elle s'extirpait du danger. Dans un excès de rage et d'adrénaline, elle réussit à planter sa lame dans le haut de la cuisse de Goldrik qui de douleur, lui envoya son coude dans le menton. Elle fut projetée contre un engrenage géant, obligée de se tenir au mur pour ne pas tomber. La tête lui faisait mal et sa vision était légèrement troublée à cause du choc. L'homme quant à lui hurlait de rage et de douleur avant de sauter sur elle malgré la blessure, lui agrippant les épaules des deux paluches dans l'espoir de lui projeter la tête contre la machine et lui briser le crâne.
« Laisse toi tomber ! »
Suivant le conseil de Cèles, c'est ce qu'elle fit, elle abandonna ses muscles et laissa son corps sans énergie, comme un cadavre. Surpris de cette action peu considérable, Goldrik tomba avec elle. Cependant; malgré cette astuce qui lui avait évité de mourir la tête dans un mur, Erzébeth se trouvait encore en position de faiblesse, il était sur elle, elle de dos et lui, lui tirant les cheveux pour relever sa tête et l'égorger. Dans un effort soudain, elle réussit à se rouler sur le côté, lui faisant de nouveau perdre l'équilibre mais dans sa chute, il avait entaillé sa gorge. Aucune veine n'était ouverte mais le sang coulait. La plaie avait provoqué une douleur rare, un picotement intense s'en suivait et, colérique comme jamais, elle se releva avant lui et lui administra un violent coup de botte dans les parties.
Goldrik fut plié de douleur. L'arme de la Baronne était toujours à terre, tombée lors du combat à côté de la hache du maraudeur. Elle tira la lame elfique, bien plus légère mais moins cruelle que sa bien-aimée-Scélérate. Elle se jeta sur lui, les genoux lui écrasant la poitrine, la lame longue et fine, droite et claire plongée doucement vers la gorge. Il avait attrapé ses bras et poussait de toutes ses dernières forces pour empêcher la mortelle descente de l'arme sur sa gorge. Son armure absente sur cette partie du corps offrait une cible juteuse. La pomme d'adam bougeait, il avait peur, il avalait sa salive d'une crainte sans nom, les yeux rivés sur la pointe étincelante du métal glacé qui n'attendait plus que de se réchauffer dans un linceul de chair et de sang bouillant de combattant dominé.
Elle appuyait de toutes ses forces, la lame descendait peu à peu, le genou droit pressait sa blessure à la cuisse, lui arrachant de terrible grimace. Il abandonna une main pour la lancer vers le menton de la femme, lui soulevant le visage pour essayer de l'aveugler. Rien n'y fit. Elle continuait sa pression, elle même étonnée de la force qu'elle exerçait dans ce combat...
Elle appuya trop fort de son genou sur sa coupure, si bien qu'il réussit au dernier moment à se défaire de l'emprise mortelle de la Baronne. Usant de sa jambe pour la faire passer au dessus de lui. Elle tomba à la renverse mais n'en perdit pour autant pas son arme. Toujours en possession de la lame elfique, elle fit volte-face et frappa directement le visage de son ennemi qui se retournait sur elle, lui ouvrant la face du menton à la joue. Un hurlement de plus dans le moulin, en bas, la porte éclata, dans le feu de l'action, elle n'avait pas entendu les soldats se presser derrière la porte. Une fois défoncée, ils accoururent à l'étage. Exténuée de l'affrontement, elle vit deux hommes en armure noire relever le corps au visage ensanglanté. L'un d'eux lui envoya son poing directement dans le ventre.
« Assez. Tuez le sans plus attendre, tranchez lui la tête ! »
L'ordre était donné, il fut jeté au sol, l'un des soldats tira une dague, l'autre son épée, le premier ne l'égorgea qu'à moitié juste avant que le second ne fasse tomber son épée sur sa nuque, désolidarisant le visage lacéré du corps meurtri.
C'était la fin de Goldrik, le maraudeur qui alla rejoindre les Dieux.
_________________
|